Quels champs d’action et d’activités pour les infirmiers anesthésistes ?

Anesthésie et Réanimation

Ouardirhi Abdelaziz

La note adressée par le ministre de la Santé Khalid Ait Taleb le 7 septembre 2022 aux responsables de son département, aux niveaux central, régional et local, et dont le contenu vise à garantir la continuité des actes d’anesthésie générale par les infirmiers anesthésistes au profit des citoyens, continue de susciter un très grand intérêt de la part des infirmiers anesthésistes. Les infirmiers anesthésistes, se posent plusieurs questions, qui nécessitent des réponses claires de la part de la tutelle, sans oublier les réticences exprimées par les médecins anesthésistes-réanimateurs pour qui l’acte d’anesthésie est  de leur ressort.

Le droit à la vie

Tout a commencé par le refus de certains infirmiers anesthésistes de ne pas exécuter les actes d’anesthésie générale demandés par les chirurgiens pour réaliser des opérations au niveau des blocs opératoires de certains établissements hospitaliers.

Face à cette situation, le ministre de la Santé et des affaires sociales a été très clair, mettant en garde les infirmières et infirmiers spécialisés en anesthésie réanimation, qui refusent d’assurer les actes d’anesthésie. 

Le professeur Khaled Ait Talab, a rappelé que la non-assistance à personne en danger est un délit punissable par le code pénal et que son châtiment est bien plus sévère que la responsabilité civile découlant des actes d’anesthésie.

Que stipule la loi ?

Dans l’histoire de la pratique médicale au sein de nos hôpitaux, jamais pareille situation n’a été vécue. Durant les années 70 et 80, c’était les infirmiers anesthésistes, qui s’occupaient d’endormir les malades pour les interventions chirurgicales dans le secteur public et le secteur privé. Jamais ces infirmiers anesthésistes n’ont refusé de faire leur travail, et tout se passait dans le meilleur des mondes.

Pourquoi donc aujourd’hui, certains infirmiers anesthésistes refusent d’exercer les tâches qui leur sont assignées par leurs responsables ?

La réponse se trouve dans la loi 43 /13 relative à l’exercice des professions infirmières, et plus particulièrement son article 6, qui stipule que : « les infirmiers anesthésistes ne peuvent exercer leur activité d’anesthésie qu’en présence effective d’un médecin anesthésiste réanimateur. »

Tout en mesurant et en respectant les appréhensions des infirmiers anesthésistes, quant au contenu de l’article 6. Et se voulant rassurant, le ministre de la Santé Khaled Ait Talab, a tenu à rappeler que la grande majorité des infirmiers en anesthésie et réanimation disposent de toutes les compétences nécessaires pour effectuer en toute sécurité pour les malades des actes d’anesthésie et de réanimation.

La position des infirmiers anesthésistes  

Les infirmiers anesthésistes diplômés des instituts supérieurs des professions de santé et techniques sanitaires (ISPITS), sont les proches collaborateurs des médecins anesthésistes-réanimateurs.

Ce sont des infirmiers spécialisés, qui ont tous leur bac scientifique.  Apres avoir réussi au concours, ces étudiants suivent durant trois années une formation très solide tant théorique que pratique, avec des milliers d’heures de stages sur le terrain au niveau des blocs opératoires, des services de réanimation et des soins intensifs.

Apres l’obtention de leur diplôme, et quelques années d’ancienneté, ils sont habilités à effectuer les actes relevant de leur seule compétence. De ce fait, leur activité doit être à la mesure de leur qualification.

Contacté par nos soins, monsieur Abdelillah Saissi, président de l’association  Marocaine des infirmiers anesthésistes réanimateurs (AMIAR ) , a voulu de suite  que les choses soient claires .

Tout d’abord, il insiste pour dire, que les infirmiers anesthésistes réanimateurs sont des professionnels de santé dont les prérogatives sont connues. De ce fait, ils n’ont, et n’auront jamais la prétention de se substituer aux médecins anesthésistes-réanimateurs.

Au contraire, les infirmiers anesthésistes sont des collaborateurs indispensables des médecins anesthésistes réanimateurs. Nous les assistons, mais nous ne les remplaçons pas. Nous travaillons en binôme car l’anesthésie réanimation est plus facile à réaliser avec quatre mains. Notre souci, notre but, c’est la qualité des soins que nous prodiguons et de la sécurité des patients.

Malheureusement, nous n’avons pas de statut clair, précis, où l’on est reconnu à notre juste valeur et où la plus-value qu’on apporte au système de santé est valorisée. On manque de visibilité. L’autre chose qui nous fait de la peine, c’est que notre profession est méconnue du public, qui connaît le chirurgien.

Pourtant quand le malade arrive au bloc, pour l’anesthésie et tout au long de l’intervention, c’est l’infirmier qui assure, qui contrôle les paramètres vitaux du malade, qui surveille en permanence, qui assure le réveil du malade, son extubation, sa bonne ventilation et qui l’accompagne en réanimation ou au service….

Ce qu’en pense la fédération nationale des médecins anesthésistes réanimateurs du Maroc  

Afin de mieux cerner les différentes facettes, les réactions suscitées par les différentes parties concernées par la note adressée par le ministre de la Santé Khalid Ait Taleb le 7 septembre 2022 aux responsables de son département, aux niveaux central, régional et local; le contenu de cette note vise à garantir la continuité des actes d’anesthésie générale par les infirmiers anesthésistes au profit des citoyens. Nous avons contacté le professeur Jamal Kohen, spécialiste d’anesthésie réanimation, et membre responsable de la fédération national des anesthésistes réanimateurs du Maroc (FNAR).

Pour ce spécialiste en anesthésiste réanimation, cette spécialité a connu d’énormes progrès au Maroc. Aujourd’hui, l’acte d’anesthésie n’est plus synonyme d’une intubation, c’est un travail qui est entrepris par le médecin anesthésiste, qui prend en charge le malade plusieurs jours avant l’intervention. C’est la consultation pré-anesthésique qui est un contacte très important. 

La consultation pré-anesthésique est un moment très important pour le patient, le médecin anesthésiste est présent auprès du malade. Il étudie son dossier complet, les bilans biologiques, radiologiques, électriques, les antécédents médicaux cardiaques, respiratoires et chirurgicaux du patient, pour éviter tout risque au malade.

Il explique tout le processus et déroulement de l’acte d’anesthésie pour établir un lien de confiance en tenant compte de l’état psychologique du malade. Aujourd’hui, la consultation pré- anesthésique pour toute intervention opératoire programmée est une obligation pour le médecin anesthésiste réanimateur.

Concernant les produits utilisés pour procéder à l’anesthésie des patients, il y a lieu de noter que les protocoles pour sécuriser au maximum les actes d’anesthésie, ont beaucoup évolué depuis quelques années, différents types de produits dont le médecin anesthésiste réanimateur maitrise parfaitement les dosages, les actions, les effets indésirables et les effets secondaires sont utilisés.

 On comprend mieux dès lors, que pratiquer l’acte d’anesthésie seul sans prendre en considération tous ces éléments représente un très grand risque pour le malade et pour le professionnel de santé et l’établissement sanitaire.

Concernant les infirmiers anesthésistes, il y a lieu de noter que la Fédération nationale des anesthésistes réanimateurs (FNAR ), et partant les médecins anesthésistes réanimateurs du Maroc, tous respectent et estiment à leur juste valeur les compétences des infirmiers anesthésistes, qui sont des collaborateurs, des assistants précieux, qui contribuent à la réussite des actes opératoires et à la sécurité des malades, le médecin et l’infirmier anesthésiste forment à eux deux une équipe, un binôme indispensable pour les actes d’anesthésie réanimation . 

Mais il n’en demeure pas moins vrai que chaque professionnel de santé, a un profil bien propre, des compétences particulières, une formation distincte, et des prérogatives et responsabilités codifiées .

Lors de son XXe congrès national (février 2007), la Société marocaine d’anesthésie et de réanimation (SMAR), avait élaboré et émis des recommandations. Parmi lesquelles, il y a celle relative à l’acte d’anesthésie.

De ce fait, qu’il s’agisse d’une anesthésie générale, locorégionale, ou d’une sédation, elle doit être l’œuvre d’un médecin anesthésiste réanimateur qualifié. L’acte peut être effectué par un infirmier anesthésiste, mais à condition que le médecin spécialiste soit présent sur le site d’anesthésie et qu’il ait examiné le patient.

Ce qui n’est pas possible partout sachant pertinemment que le nombre de médecins anesthésistes est en deçà des besoins réels. Et comme dit l’adage, « la plus belle femme au monde, ne peut donner que ce qu’elle a. »

Les sous effectifs des anesthésistes

Il est évident que le nombre très insuffisant de médecins anesthésistes réanimateurs exerçant dans le secteur public et dont le nombre n’excède pas 200 pour tous les établissements hospitaliers, ne permet pas une prise en charge médicalisée de tous les malades nécessitant une intervention chirurgicale respectueuse du protocole anesthésique en vigueur pour chaque type d’intervention, de ses spécificités, de l’Age du malades, du sexe, des facteurs de risque…..

Outre l’insuffisance en nombre des médecins d’anesthésie réanimation (400 secteurs privés et 200 secteurs publics ); cette insuffisance est marquée par une très mauvaise répartition de ces effectifs entre les différentes régions du Maroc, entre les différentes villes et différents hôpitaux.

Ces sous effectifs résultent des politiques des différents gouvernements qui se sont succédés et qui n’ont jamais accordé une réelle importance aux problèmes des ressources humaines du secteur de la santé.

De nombreux médecins, chirurgiens, anesthésistes réanimateurs quittent le secteur public pour d’autres horizons plus valorisants et sécurisants. Cette situation ne peut durer au moment où le Maroc entreprend une grande reforme du système de santé, où la couverture sanitaire universelle sera effective dans quelques mois.

Le ministère de la Santé construit des méga-projets hospitaliers, des hôpitaux futuristes, multidisciplinaires, avec de centaines de lits, de nombreux blocs opératoires, des services de réanimation ….

La question qui est posée, où sont les ressources humaines pour faire correctement fonctionner toutes ces structures, sachant que le service est continu 24 H / 24 H.

Au final, la question qui mérite des réponses claires, c’est celle de savoir ce que compte faire aujourd’hui les responsables pour palier à la pénurie des ressources humaines dans le secteur de la santé,  au moment où le chantier de la généralisation de la couverture sanitaire universelle (CSU) doit être effectif avant fin 2022. Un énorme projet voulu par sa Majesté le Roi Mohamed VI que Dieu le glorifie.

Un projet qui a nécessité de très grands investissements, afin de permettre à tous les citoyens d’avoir accès aux soins de santé de qualité, prodigués par des professionnels de santé qualifiés, dans des structures sanitaires adaptées.

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