AbdelKarim Elazhar, l’interview

Repères plastiques et intellectuels d’un peintre

Par Mustapha Labraimi

* Selon vous, la création picturale a-t-elle une fonction dans notre société ?

La créativité est la véritable mesure qui donne une idée du degré de développement civilisationnel et humain des peuples. Par exemple, quand on voit les peintures murales laissés par les Pharaons, comme un reflet de leur vie quotidienne, l’étendue de l’évolution des premières civilisations de l’Egypte ancienne apparaît clairement ; ce qui signifie que sans ces peintures qui en sont encore des témoins, nous n’en aurions pas eu connaissance. Les faits sont tangibles, contrairement à l’écriture, qui ne donne que des impressions ouvertes à l’interprétation.

* Estimez-vous que votre production picturale réponde aux besoins de notre société ou qu’elle est seulement l’expression de votre rêverie ?

Ce qui m’importe est de travailler profondément et honnêtement au développement de mon expérience plastique, avec des suggestions esthétiques, soumises à une composition plastique dont l’équilibre est obtenu à travers les couleurs, les formes, les lignes et autres éléments plastiques. Ensuite, lorsque je signe l’œuvre, je laisse au spectateur la possibilité d’en profiter selon ses qualifications, sa culture et son degré d’intérêt. Alors, qu’est-ce que j’essaie d’accomplir pendant cette période ? La pratique plastique consiste à oublier ce qui est académique, en exploitant le moment du travail en toute spontanéité afin d’obtenir ce qui est souhaité avec d’éventuelles suggestions visant le plaisir de recevoir.

* Seriez-vous d’accord pour dire que la peinture agit sur la conscience ?

L’effet est relatif, il se manifeste visuellement à des degrés divers, et cela est dû à l’importance du destinataire et à l’étendue de ses affections, de ses intérêts et de ses goûts. Avant cela, l’œuvre doit avoir une charge créative équilibrée en termes de formes et de contenus.

* Quelles relations faites-vous entre la peinture et la spiritualité ?

La relation est très forte surtout en ce qui me concerne et ce que j’essaie de réaliser ; car je me trouve adhérer à ce qui est spirituel et émotionnel en vertu de ma foi et de ma croyance auxquelles je m’attache. Après mes études universitaires (académiques) et d’autant plus que je me sens préoccupé par l’être humain pour aborder ses problématiques par un style qui caractérise ma démarche artistique ; et ce, en m’appuyant sur le ressenti et le subconscient pour traiter le thème, plongeant profondément en moi jusqu’à ce que l’œuvre soit accompagnée d’une particularité créative où je me vois honnêtement avant de l’achever et procéder vers des expressions qui se renouvelles selon des moments dirigés suivant le facteur du temps et du lieu pour que l’œuvre s’adresse au sentiment et à la conscience.

* Quelle que soit sa modalité (brute, naïve, figurative, abstraite, calligraphique …), la peinture serait-elle fondamentalement liée au réel ou beaucoup plus le fruit d’un imaginaire abstrait ?

La créativité reste toujours la créativité, car elle est liée à l’addition et à la spécificité, à travers de multiples mouvements et écoles avec un style et une technique particulière. Tant que tel est le cas, le processus créatif se réalise en adoptant la réalité et l’imagination avec des exigences qui servent l’esthétique selon la composition de l’œuvre et ses exigences.

* Dans quelle mesure votre technique de peindre est-elle personnelle et en quoi elle consiste ?

Ma pratique en art plastique est spontanée car j’utilise les éléments de mon travail d’une manière stylisé par rapport au thème des visages avec uniquement des yeux, parce que pour moi le regard remplace le reste des sens. Mais ce qui s’est passé pendant « Corona », c’est que je me suis trouvé à adopter la technique d’effacement de ces yeux d’une manière expressive qui recherche la profondeur de l’identité humaine qui a été terriblement occultée par tout ce qui est matériel. J’ai essayé de travailler avec des touches poétiques, sur différents supports préparés avant, avec du papier et des magazines mis au rebut, avec différents images et écrits que je colle sur le support pour obtenir un fond qui me donne un effet esthétique expressif au sujet de mon travail.

*Estimez-vous que l’art de peindre est un métier ?

Pour moi c’est professionnel. Après avoir d’abord misé sur mon talent inné au primaire, au collège et au lycée, j’ai rejoint l’école de Tétouan pour étudier les beaux-arts, puis à Bruxelles et à Liège en Belgique pour les études académiques. Après l’obtention de mon diplôme, mon objectif était d’oublier tout ce qui est académique, en gardant le ressenti ainsi que le subconscient, afin d’avoir mon propre chemin, par un style qui propose ma propre démarche artistique.

*Quels sont les rapports qu’entretient votre pratique de la peinture avec les autres arts, la science, la philosophie et la nature ?

C’est un aspect très important et je trouve que cela enrichit mon expérience plastique. J’ai parié là-dessus très tôt en m’ouvrant au reste des genres créatifs, comme la littérature, la musique, le théâtre et autres. Leur préoccupation est l’obsession de la création et de la créativité. Seulement chaque domaine artistique a ses propres outils et matériaux de travail. Lorsque vous ouvrez l’œil et l’esprit pour voir les caractéristiques créatives de chaque domaine, la vision est intégrée avec des ajouts qui enrichissent l’expérience et l’approfondissent avec d’autres dimensions qui incluent l’ajout.

*  Comment appréciez-vous l’état de l’art plastique au Maroc ?

La réalité est que l’art marocain connaît un mouvement important de par sa diversité, mais il y a des aléas qu’il faut maîtriser pour pouvoir bénéficier du domaine de l’art comme d’une créativité qui contribue au développement culturel du Maroc, d’autant plus que l’intérêt s’est accru. Cet intérêt est grandissant parmi certains observateurs marocains et auprès d’institutions privées qui ont compris l’importance de l’exploiter positivement pour cela. Il faut prendre le temps de véritablement bénéficier du développement de ce domaine dans l’intérêt du pays, avec le ministère de la culture, aux côtés du ministère de l’Éducation nationale, les conseils municipaux, les associations et les médias.

* Quelle est la part de l’authenticité marocaine dans votre peinture ou inscrivez-vous dans l’universalité pour traduire votre approche de la modernité ?

L’authenticité s’impose dans le travail, sans recourir à aucun moyen, qu’il s’agisse d’un travail sur l’artisanat, les symboles de la décoration marocaine ou de la « fantasia ». L’authenticité se vit dans notre seul présent actuel, et notre présent est une aspiration vers l’avenir. L’authenticité est ce qui a défié le temps. L’authenticité vient de l’œuvre et non de ses superficialités. L’œuvre à l’état final est celle qui permet de réaliser une œuvre originale, qu’elle soit au henné ou à l’aquarelle. L’artiste Farid Belkahia a réussi d’utiliser le henné et Ahmed Cherkaoui utilise des symboles marocains. Ce n’est pas le travail du henné ou de l’ordinateur qui fonctionne dans le domaine plastique, mais le travail lui-même. La méthode de composition des éléments plastiques et la vision claire qui crée l’originalité sont idéales à cet effet. Pour ceux qui écrivent en français, il y a ceux qui les prennent à partie pour cela et les traitent de « franconistes » ; mais si on prend le romancier Driss Chraïbi, on le trouve original dans ses écrits au point qu’on sent la profondeur de sa marocanité. Par conséquent, les moyens, le sujet et la technique ne sont pour moi rien d’autre qu’un moyen de produire une œuvre de création avec des spécifications esthétiques que l’on ressent et construit profondément en les fusionnant dans un contexte créatif.

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Né en 1954 à Azemmour, vit et travaille à Azemmour.

1976-1979 : Ecole des Beaux-Arts, Tétouan (Maroc).

1979 – 1981׃ Académique des beaux-arts, Bruxelles (Belgique).

1981-1982׃ Académie des Beaux-arts, Liège (Belgique).

EXPOSITIONS

Nombreuses exposition au Maroc- Belgique (Bruxelles, Liège, Verviers) – France (Limoges, Chamalières, Laon, Sarcelles) -Turquie (Istanbul)- Egypte (Le Caire) – U.S.A. (Philadelphie)- Italie (Pisa, Pontevedra) – Liban (Beyrouth) Portugal (Ponte de Sor, Odemira, Oéras, Castro-Verde) – Cap-Vert (Ribera Grande, Sao Filipe, Maio, Brava, Tarafa) – Tunisie (Tunis) Espagne (Alcazar de San Juan).

COLLECTIONS   PUBLIQUES

1982, C.G.E. R. Banque de Liège-Belgique.

1988,1995 la Fondation de la Banque Commerciale du Maroc.

1992, la Fondation Wafa Banque.

1993 : Ministère des affaires culturelles-Maroc.

1995 : la fondation Omnium Nord-Africain (O.N.A.) Maroc.

2012 : Caisse de dépôt et de gestion (C.D.G.).

2012 : Crédit agricole

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