Arts plastiques
Par Abdeslam Khatib
Quand on évoque le nom de Farid Belkahia, on parle automatiquement de l’un des artistes plasticiens qui ont jeté les ponts entre les premiers pionniers et les générations qui ont suivi.
Son itinéraire en dit long, en en effet, sur son souci constant de ne jamais perdre les repères, lui, qui a côtoyé les artistes européens lorsqu’il poursuivait ses études en France ou encore en Italie. A l’époque les idées foisonnent et la France, Paris surtout, était ce lieu privilégié de rendez-vous et de rencontres entre intellectuels du monde entier. D’autre part, les souvenirs du protectorat étaient encore vivaces et être présent à Paris à la fin des années soixante étai plutôt synonyme de révolte contre ce qui se passait dans le monde : guerre d’Indochine, guerre d’Algérie, guerre du Vietnam, ce qui allait déboucher par la suite sur les événements de mai 68 en France et sur un grand mouvement de contestation ‘’hippy’’ aux Etats-Unis.
C’était un passage obligé et la quasi-totalité des intellectuels de l’époque était contre le système établi, contre le capitalisme.
Belkahia, à l’instar des autres de sa génération, a vécu cette ‘’révolution’’, mais sans jamais vraiment l’adopter puisque en pleine effervescence parisienne, il rentre au Maroc pour diriger l’Ecole des Beaux- Arts de Casablanca. Rebelle jusqu’à la moelle, il n’a jamais accepté de jouer le jeu des français, ni pendant le protectorat, ni après et s’était toujours employé à produire un art authentiquement marocain, alors qu’on voulait donner une image négative de l’art et des artistes considérés par les autorités du protectorat comme tribal et sous développé.
Pourtant à cette époque, d’autres peintres se donnaient toute la peine pour plaire à ces mêmes français en voulant ‘’copier’’ les grands maîtres européens de la peinture, soit par aliénation, soit par opportunisme.
Belkahia a dû retourner en France après son passage à la tête des Beaux-Arts, mais au lieu de suivre le mouvement, il a choisi, comme à son habitude de se démarquer en produisant un art propre à lui dont les thèmes et les matériaux sont puisés dans la nature marocaine, la société marocaine et la civilisation marocaine. Après avoir appris les secrets des peintures composées et chimiques, et après avoir percé dans le monde de la toile et compris ses forces et ses faiblesses, il a décidé de prendre du recul vis-à-vis de toutes ces matières importées.
Agir de la sorte, ne veut-il pas dire que le personnage est très à cheval sur sa culture et ses origines qu’aucune migration ou influence ne peut remettre en question. Au lieu de ces peintures et de ces supports, peut-être, trop épuisés à son sens, il a préféré utiliser le henné, l’écorce de grenade, le cuir, le bois. Bref, tout ce qui n’avait encore jamais été tenté. A cela, il faut ajouter les thèmes qui évoquent dans quelques traits, quelques signes et quelques contours, les soubassements d’une culture millénaire et d’une terre sacrée et généreuse à souhait. Cela n’a jamais été facile et l’on a eu beaucoup de mal au début à cerner et à comprendre cette démarche au point que certains ont cru y voir l’expression d’un sous-développement latent, que ce soit au Maroc ou à l’étranger. Ne se souciant guère de cette conception étriquée des choses, Belkahia a continué sur sa lancée et a peaufiné et parfait son style au point d’en faire une école à part entière.
Aujourd’hui, ceux-là mêmes qui le dénigraient, ont comprisl’homme et la démarhe et se sont finalement rendus compte que Farid Belkahia ne peint pas maiscrée à partir de ses propres repères et ses racines.
A propos, Farid Belkahia est un peintre marocain, né le 15 novembre 1934 à Marrakech et mort à Marrakech le 25 septembre 2014. Il est l’un des artistes contemporains les plus importants du Maroc contemporain. Il est connu pour ses œuvres peintes sur les cuirs avec des matériaux naturels.
Né au sein d’une famille bourgeoise à Marrakech, Farid Belkahia grandit à Amizmiz où son père MhamedBelkahia tient un commerce. Son éveil artistique se fait auprès du cercle d’amis de sa famille, parmi lesquels se trouvent les peintres OlekTeslar et Jeannine Guillou. Par son intermédiaire, il rencontre Nicolas de Staël, peintre français d’origine russe, lors de son séjour au Maroc en 1937.
Dans son adolescence, il devient apprenti dans l’atelier d’OlekTeslar et se distancie des styles orientalistes qui persistent dans l’enseignement artistique académique. Après des études secondaires à El Jadida puis Marrakech, Farid Belkahia enseigne la peinture à Ouarzazate. Après une première exposition à Marrakech en 1953, il part pour Paris où il est accueilli par l’écrivain François Mauriac. Ici, il fréquente de 1955 à 1959 les Beaux-Arts de Paris. Il s’intéresse alors aux œuvres de Rouault et de Klee. De 1959 à 1962 une bourse lui permet de compléter sa formation et d’étudier la création de décors de théâtre en Tchécoslovaquie. A Prague, il rencontre Henri Alleg, Elsa Triolet, Louis Aragon, et Pablo Neruda.
Durant ces années, il réalise un ensemble d’œuvres expressionnistes à propos de la guerre d’indépendance algérienne (dont Tortures 1961-2) et il exprime son soutien à la révolution cubaine avec son tableau Cuba Si 1961.
De retour au Maroc en 1962, il est nommé directeur de l’Ecole des beaux-arts de Casablanca, fonction qu’il assume jusqu’en 1974. Il commence à cette époque à travailler le cuivre. Il participe en 1966 à la revue Souffles et organise en 1969 une grande exposition sur la place Jamaâ El Fna de Marrakech et à Casablanca, avec Mohamed Hamidi, Mohamed Ataallah, Mohamed Chebaa, et Mohamed Melihi. Après 1974, il se consacre entièrement à son art, utilisant pour ses œuvres le cuivre, la peau, les bois découpés, les colorants naturels, recréant, notamment à partir des signes berbères, des symboles graphiques universels. « Le henné, la peau, ce sont mes souvenirs, ma grand-mère, le milieu dans lequel j’ai grandi, les odeurs que je connais », confie-t-il.
Il cofonde le Groupe de Casablanca avec des artistes tels que Mohammed Chabâa et Mohammed Melehi.
Farid Belkahia effectue de nombreux voyages au Moyen-Orient, dans le Sahel, la Chine, l’Amérique latine. Il construit en 1980 une maison en terre avec l’architecte AbderrahimSijelmassi. Vivant et travaillant à Marrakech, il épouse en 1990 l’écrivaine RajaeBenchemsi.
Belkahia impose l’idée d’une peinture indépendante de l’héritage colonial et instaure des valeurs contemporaines qui vont influencer des générations d’artistes au Maroc et lui donner une présence internationale. L’artiste participe à l’exposition Partage d’Exotismes et son œuvre est collectionnée par les musées internationaux, notamment le Mathaf, Musée Arabe d’Art Moderne à Doha, ainsi que par la Fondation ONA et la Société Générale.
JilaliGharbaoui (1930-1971) et Ahmed Cherkaoui (1934-1967) sont deux autres peintres non figuratifs marocains contemporains de Farid Belkahia.
LEGENDE
L’artiste peintre feu Belkahia en compagnie du journaliste et critique d’art Abdeslam khatib