Dans le débat sur la crise de l’écriture pour le cinéma en particulier et pour l’audiovisuel en général, deux idées reviennent le plus souvent dans certaines interventions émanant la plupart du temps de milieux universitaires ou de sphères culturelles généralistes.
La première trouve une première explication pour l’absence d’une grande consistance dramatique qui caractérise de nombreux scénarios dans le fait que ce sont souvent des textes au départ rédigés en français, dans une langue étrangère en somme. On ramène ainsi toute la problématique de l’écriture scénaristique à une question de code linguistique. Bénéficiant d’un large consensus idéologique, cette assertion fait l’objet rarement de remise en question ou du moins sujet à débat. Elle passe même chez certains pour le principal handicap de notre cinéma.
Ce qui nous amène en fait à nous interroger sur ce qu’est l’essence du cinéma. S’agit-il d’une simple transposition d’un code à un autre ? S’agit-il tout simplement de mettre des images au service d’idées exprimées initialement par le biais de code linguistique ? En fait, raisonner en de tels termes signifie tout simplement nier le cinéma en tant que langage spécifique dont le linguistique et le verbal ne constituent qu’une composante appelée par ailleurs extra-cinématographique. Ce qui est largement significatif.
C’est dénier en fait au cinéma son autonomie en tant que forme d’expression artistique. Faut-il rappeler que le premier film cinématographique est né sans scénario ? Et il y a tout un cinéma expérimental qui vit très bien sans écriture préalable. Faire du scénario l’alpha et l’oméga de la production cinématographique est une dérive littéraire qui exprime le rapport de forces actuel défavorable au cinéma dans l’échange symbolique qui caractérise le champ culturel. Un bon scénario offre le canevas général du film; il est une étape importante mais non essentielle. D’ailleurs jamais un bon scénario, en fait une belle histoire, n’a été le garant d’un bon film à l’arrivée. Entre-temps en effet, il y a la touche du réalisateur; il y a tout ce qui caractérise le contexte de production dans une période donnée.
D’ailleurs, la deuxième explication va encore dans le même sens de la première en avançant cette fois comme argument, l’absence de communication entre les cinéastes d’un côté et les romanciers locaux de l’autre. C’est un autre aspect d’une certaine emprise idéologique. On sait qu’une des conséquences de l’idéologie est de mythifier le réel. Quel est en effet le réel de la production romanesque dans le pays ? Combien de romans sortent chaque jour ? Chaque mois ? Chaque année ? Quels sont les romans qui marchent et qui proposent une histoire, une fiction, un univers diégétique ? Ce que l’on constate, c’est que le peu de romans qui émergent portent les mêmes caractéristiques dramaturgiques du cinéma : ils sont plus descriptifs que narratifs ; ils sont plus intellectuels, construisant davantage des univers mentaux accessibles à une lecture jouissance qui se donne le texte comme finalité plutôt qu’à une lecture plaisir portée sur la diégèse, les héros et offrant des possibilités d’identification. Ce que le grand cinéma attend justement du roman.
En fait, on peut poser la question en termes d’économie politique de la fiction, en termes de rapport de l’offre à la demande. Le cinéma des années 90 a été très demandeur de fiction ancrée dans le social avec des thèmes porteurs comme ceux de la femme. Qu’en est-il en matière de roman ? Quel est le roman majeur des dernières années ? A ma connaissance, il aura fallu attendre un certain lieutenant Raïss pour rencontrer un récit fort, suivi de celui de Marzouki dans le même registre sur le thème de la tragédie de Tazmamart. Tous les cinéastes vous le diront, ils rêvent tous d’en tirer un film. C’est une question d’économie, avions-nous dit. La loi d’airain du guichet détermine aussi le rapport cinéma-roman.
Cependant, à la périphérie de cette littérature de grande consommation, il y a de te magnifiques textes que je ne décrirai pas comme très cinématographiques mais comme très cinéphiles : les romans de Abdellah Laroui, les récits de Mohamed Berrada de Hassan Aourid ou de Mohamed Achaari.
Mohammed Bakrim