Il y a quelques jours, l’enseigne hôtelière mauricienne a annoncé qu’elle se retirait pour confier la gestion de son hôtel à une autre marque de luxe appartenant au Groupe Accor- Fairmont. Seulement trois ans après le démarrage de l’exploitation du Domaine Royal Palm à Marrakech, Beachcomber jette l’éponge au profit du Groupe Accor qui maîtrise les arcanes et les rouages du tourisme marocain. Retour sur un échec annoncé.
Nous sommes en 2014. Alors que plusieurs adresses de luxe à Marrakech font face à des difficultés, ou baissent carrément le rideau, le Royal Palm comptait bien se faire une place au soleil. Et pour cause : si les adresses de luxe se multiplient à Marrakech, celle-ci semblait, pour le moins, singulière. Non pas que le domaine Royal Palm Beachcomber dispose d’atouts jamais vus jusqu’à présent, comme n’a de cesse de le répéter son management depuis quelques semaines, mais son historique le met dans une position à part sur le marché.
Ce projet a d’abord été lancé par le Groupe CDS/Fernton co-présidé par Robert et Jacques Azoulay, actionnaire du Domaine Royal Palm. En 2006, ils signent une convention avec Beachcomber Hotels pour développer ce concept résidentiel éco- conscient. L’ouverture était prévue en 2009. «Seulement,le partenaire de Beachcomber, qui avait la gérance de DRP depuis 2006, n’a pas trouvé les financements nécessaires au développement du projet et n’a pas augmenté sa contribution à hauteur des investissements de Beachcomber», affirme un professionnel du secteur. Il en a résulté un quasi-arrêt du chantier de la partie immobilière pendant deux ans rendant impossible pour Beachcomber l’ouverture du Royal Palm, dont les travaux de gros-œuvres finalisés à 80% ont dû être ralentis et pénalisant fortement la vente des villas. «Le Domaine Royal Palm aurait pu faire partie de cette longue liste de projets luxueux «mort-nés»», poursuit la même source. Mais BeachcomberHotels a investi et acheté l’ensemble des parts en avril 2011. Et c’est ce qui était censé donner au projet toutes ses chances, contrairement au Samanah ou au Delano qui ont fini par sombrer.
Un départ sur la pointe des pieds?
«Ce que nous avons conclu avec Fairmont est un contrat de gestion et nous restons propriétaire de l’hôtel et du Domaine. L’ensemble des charges d’exploitation restent du ressort de Beachcomber», explique…. Cependant il est à noter que le Groupe Beachcomber qui opère depuis 65 dans l’hôtellerie de luxe dans l’Océan Indien et plus précisément à Maurice et aux Seychelles n’a pas vocation à construire des hôtels pour ensuite les confier en gestion. D’ailleurs, c’est la première fois dans l’histoire du Groupe qu’une telle opération a lieu. «Il y a deux raisons à l’origine de cette décision. La première est l’éloignement géographique. Comme vous le savez, notre base est en Océan indien où nous avons nos 8 hôtels et le Royal Palm de Marrakech est le seul établissement hors de nos frontières. L’éloignement rend cette gestion très difficile d’autant plus que la clientèle n’est pas la même. La deuxième raison est que nous souhaitons augmenter nos taux d’occupation pour les porter à 65% au lieu des 40% actuellement. Et Fairmont est mieux placé que nous et peut surtout s’appuyer sur la force de frappe commerciale d’Accor, très alignée avec ce que le Maroc recherche comme clientèle- pour réaliser cet objectif », poursuit…. Sauf que pour ce qui est de l’éloignement la donne est loin d’être nouvelle, et le Groupe Beachcomber en s’implantant au Maroc a sans doute procédé à des études avant de consentir un tel investissement. Des études qui ont sûrement révélées que Marrakech était loin de l’Océan Indien et que les touristes friands du Maroc avaient d’autres attentes que ceux des Seychelles &co. «Il est vrai que nous avons subi une conjoncture où plusieurs éléments se sont entremêlés. A Maurice, nous avons beaucoup investi dans la rénovation de notre hôtel le Trou aux Biches, hôtel mythique du Groupe Beachcomber et durant la même période, nous avons lancé le projet du Royal Palm à Marrakech. Avec la crise économique mondiale, les arrivées touristiques en baisse, nous avons eu un niveau d’endettement élevé par rapport à nos souhaits. D’où un plan de restructuration », concède le CEO de Beachcomber. Mais dit-il, la cession de la gestion ne rentre aucunement dans le cadre de ce plan de restructuration. Sans compter que la cession ne compte pas uniquement l’hôtel. En sus du contrat de gestion classique d’une durée de 15 ans avec un pourcentage sur le chiffre d’affaires, le management affirme qu’un second contrat en cours de signature avec le même gestionnaire et qui concerne cette fois-ci la gestion des locations des villas du Domaine. Ceci dit, Gilbert Espitalier-Noel, CEO du Beachcomberr assure : «Nous restons propriétaire de notre domaine et nous continuerons nos investissements comme prévu.Notre projet reste inchangé. Ce qui est dédié à l’immobilier reste à l’immobilier et je vous informe que nous avons quasiment atteint nos objectifs». En réalité, pas tout à fait….
Une histoire d’hommes….
«Le point de départ du projet imaginé par Robert Azoulay et Herbert Couacaud, PDG de Beachcomber à l’époque, était, en effet, de construire sans détruire pour préserver la beauté du site, de limiter au maximum les énergies fossiles, de retraiter les eaux usées, de récupérer les eaux de pluie et de bâtir des villas et un hôtel dans la tradition berbère», affirmait Laurent Piat, DG du Domaine Royal Palm, au moment de l’ouverture en 2014. C’est tout à leur honneur! Le Domaine Royal Palm reste exceptionnel de par sa superficie. Bâti sur 231 hectares, le domaine propose des modèles de villas d’architectes de 203 à 498m2 de surface habitable sur des terrains allant de 1.000 jusqu’à 10.000 m2. «Le prix d’appel pour une villa type Loft de 2 suites est de 5.430.000 dirhams», reprend Laurent Piat. Selon les experts, ces prix sont beaucoup plus raisonnables par rapport à ceux pratiqués en 2006 et 2007, quand les villas de luxe se négociaient à au moins 10 millions de dirhams. Les 250 villas du projet ont-ellestrouvé preneurs pour autant ? « Sur les 95 villas construites, nous avons procédé à 75 ventes. Il y a eu en effet une reprise significative du tourisme à Marrakech et qui s’est reflétée également sur l’immobilier. A partir de cette année, nous allons démarrer la deuxième phase du projet immobilier qui comprend 106 villas avec comme objectif, la commercialisation de 20 unités par an », rétorque Gilber Espitalier-Noël.
En plus du positionnement vert, le mauricien a choisi de se différencier, «grâce à des ser- vices de grande qualité signésBeachcomber, avec une conciergerie dédiée, une épicerie fine, cinq restaurants sous la direction du Chef Philippe Jourdin, Meilleur Ouvrier de France et multi étoilé, un golf de référence et son country club», d’après Piat. Une stratégie a fortiori pertinente car le concept vert est citoyen certes, mais ne déclenche pas à lui seul la décision d’achat. «Les gens résolument orientés résidentiel touristique vert restent rares. Ce n’est pas pour l’heure un facteur décisif dans l’acte d’achat. Ce sont des éléments de séduction – équipements ludiques, espaces verts, loisirs, piscines, sports… – qui peuvent faire pencher la balance», remarque un expert. L’hôtel, le golf, le country club… ont convaincu la centaine d’acheteurs actuels, et puis le Groupeavait activée sa force de frappe internationale via ses bureaux de représentation (France, UK, Alle- magne, Italie, Espagne, Scandinavie, Russie mais aussi Afrique du Sud, etc.) qui permettent de communiquer sur l’ensemble de ses établissements.Sur le marché marocain, le top management du Domaine Royal Palm Beachcombera redoublé d’efforts depuis trois ans avec une large campagne de relations presse et de communication. Selon les professionnels, la grande majorité de la clientèle marocaine classe A serait déjà servie en termes de résidences secondaires à Marrakech. Et Pour ce qui est du palace composé de 135 clés (suites et villas), spa, centre de sport et club enfants, Beachcomber espérait un taux d’occupation de 50%. Les professionnels, eux, demeuraient sceptiques. «Le Marrakech qui marche reste l’hivernage et sa région proche de l’animation de la ville, ainsi que la palmeraie et ses abords. Une capacité de l’hôtel à 135 clés me paraît bonne, mais un peu risquée loin du cœur de vie de la ville : 90 à 100 chambres aurait été plus raisonnable », affirmait un professionnel. Et il n’a pas eu complètement tort, puisque le Royal Palm n’a pas dépassé les 40%.
« Il est à noter que le modèle de ces projets est d’exercer une péréquation gagnante entre résidentiel et hôtellerie pour faire face au déficit potentiel de l’hôtel. Si le promoteur arrive à vendre les 250 villas en totalité, il aura largement de quoi amortir l’hôtel, même si celui-ci est déficitaire. Tout le projet repose sur la capacité de commercialisation des villas. Un Groupe tel Beachcomber a bien étudié le potentiel de la destination avant d’y mettre pied. Marrakech reste une destination sûre et durable et devrait reprendre en 2016-2017», conclut le même professionnel. Vraisemblablement la péréquation n’a pas réussi, alors quele fait que Beachcomber soit à la fois propriétaire, développeur et gestionnaire du projet devait faire toute la différence. Probablement que le changement à la tête de New Mauritius hôtel (détenteur de l’enseigne) effectif depuis 2016 a pesé dans le retrait du Domaine Royal Palm. Car ce projet portait l’ambition de deux hommes : Robert Azoulay et Herbert Couacaud qui a officiait à la tête de New Mauritius Hôtels pendant 41 ans et a donné à l’enseigne toute la notoriété dont elle jouit aujourd’hui. Désormais les rênes du Groupe retournent aux mains du fils du fondateur Hector Espitalier-Noël, qui, semblerait-il, a une vision différente quant à la stratégie du Groupe.
Soumayya Douieb