Annoncée tambour battant il y a quelques années, la stratégie de franchise à l’international de Kitea semble connaître une fin précoce. Avec la fermeture programmée du magasin de Kinshasa en RD Congo et les lourdes incertitudes sur celui de Malabo en Guinée Equatoriale, les deux implantations de Kitea hors du Maroc, le géant marocain du meuble en kit voit ses rêves de franchises africaines partir en kits.
Les derniers développements dans la stratégie internationale de Kitea peuvent surprendre si l’on omet qu’il y a un peu plus d’un an et demi, le PDG du groupe, Amine Benkirane, annonçait sa volonté d’ «agir différemment». En effet, celui-ci déclarait à un confrère en février 2016: «L’Afrique constitue un débouché intéressant pour Kitea. Nous y sommes déjà, mais nous voulons conforter cette présence en visant une ouverture dans 3 pays à l’horizon 2020. Pour cela, nous allons agir différemment. Nous travaillons sur un projet d’envergure pour l’Afrique ; il sera révélé au moment opportun». Cette déclaration préfigurait-elle le changement de stratégie que le groupe distille depuis quelques temps? De toute évidence, le PDG de Kitea semblait avoir concédé, à cette époque déjà, l’échec de la stratégie des franchises lancée en fanfare en 2012.Les révélations sur la fermeture prochaine de son magasin à Kinshasa (République Démocratique du Congo) permettent aujourd’hui de mieux décrypter ce message.
Exit la franchise …
Passée presque inaperçue dans les colonnes d’un confrère, l’information sur l’arrêt de son contrat de franchise et son départ de la RDC n’a pas fait l’objet d’une annonce officielle du groupe. Pourtant, il s’agit là d’un tournant décisif dans sa stratégie de développement à l’international. Ouvert début mars 2012 dans la capitale congolaise, avec une année de retard sur le calendrier initial, le magasin de Kinshasa marquait l’entrée sur la grande scène africaine en même temps qu’elle symbolisait la maturité de Kitea sur son marché domestique. Kitea nourrissait à travers cette première implantation hors des frontières du Maroc un grand espoir en matière de relais de croissance, mais surtout d’exportation d’une marque qui a réussi à séduire les nationaux. D’autant plus que cette internationalisation intervient à une période où des enseignes d’ameublement turques ont fait du Maroc leur port d’attache dans le Maghreb voire en Afrique.
A l’époque, emporté par l’engouement de cette première sortie hors du Maroc, le management du leader marocain du meuble en kit annonce pour les années suivantes des visées sur Malabo (Guinée Equatoriale), Bangui (Centrafrique), Nouakchott (Mauritanie), Ouagadougou (Burkina Faso), Douala (Cameroun), Dakar (Sénégal), Brazzaville (Congo) et à Luanda (Angola). Puis l’Algérie, la Tunisie, la Libye et l’Egypte au Maghreb, et l’Arabie Saoudite, l’Irak et l’Iran au Moyen-Orient. De ces prévisions, seule Malabo accueillera la deuxième franchise du groupe hors du Maroc, en 2014, avec deux années de retard sur le calendrier initial. Là aussi, Kitea serait en voie de mettre fin à cette implantation du fait de performances commerciales décevantes. Dès ses débuts donc, la stratégie de la franchise a marqué le pas et la formule a eu du mal à prendre. Pourtant, cette démarche procédait pour le groupe d’une approche prudente.
En effet, l’adoption de la franchise s’inscrivant dans une logique voulue progressive par le groupe. Kitea qui ambitionnait d’implanter sa marque dans le continent comme il en a réussi le tour de force au Maroc, disposait depuis des années de revendeurs dans de nombreux pays de l’Afrique. La franchise avait donc été pensée comme un modèle devant servir de test à la notoriété de la marque. Puis, dans d’autres pays, le groupe avait annoncé être « en négociation pour des partenariats plus larges avec partie prenante dans la gestion aux côtés du franchisé ». Cette démarche devait aboutir, in fine, à l’implantation en propre dans les marchés du continent. Mais, avec l’échec de la franchise, Kitea va devoir passer à la phase finale de son plan, celle des implantations en propre, sans avoir réellement testé en grandeur nature le poids de son concept de produits sur ces marchés.
… Place à la filiale
Malgré ce revers, l’Afrique reste pour le groupe une vraie terre d’opportunités. Et Kitea continue de miser sur ce marché pour les années à venir. Le top management prévoit désormais des implantations en propre. Le groupe serait en cours de finalisation de ses implantations au Sénégal, en Côte d’Ivoire et en Tunisie, et aurait déjà mis au point ses plans de communication pour l’ouverture de ses filiales.Notons qu’une implantation de Kitea Géant en Tunisie avait été déjà annoncée en 2010 avant que la révolution tunisienne ne mette une pause à ce projet. Avec le retour au calme dans ce pays depuis quelques années, Kitea remet son projet sur la table et semble bien avancer pour une concrétisation. L’enseigne marocaine s’abstient pour le moment de précisions sur ces plans futurs et ses déploiements directs dans les pays du continent.
Contrairement à ses tâtonnements sur le marché africain, Kitea se porte plutôt bien sur le marché national (cf. encadré). Sans pour autant se recentrer exclusivement sur son marché domestique, le groupe d’Amine Benkirane ne semble pas faiblir quant à de nouveaux investissements sur le marché marocain. Et le coup de mou d’il y a quelques 3 à 4 ans semble être derrière Kitea. Difficile d’en dire autant de la deuxième marque maroco-marocaine du secteur, Mobilia. L’enseigne créée en 1997 par Mohamed Soulaimani Idrissi souffrirait-elle plus que sa grande sœur de la conjoncture actuelle ? Mobilia, qui avait annoncé en 2013 un chiffre d’affaires de 240 millions, est classée en 2015 à la 18ème place du classement Maroc 1000 (classement des 1000 premières entreprises du secteur bois-meubles-ameublement) avec un chiffre d’affaires de 124 millions.Soit une baisse de plus de 93% en deux ans. Kitea, au contraire, réalisait une progression de son chiffre d’affaires de plus de 18% en 2015 à plus de 512 millions et se classe à la 3ème place du secteur.Assiste-t-on à la fin d’une des fiertés marocaines en matière d’ameublement en kit, alors qu’à la suite des marques turques, Ikea s’est elle aussi créé son «petit» marché au Maroc ?Les résultats de l’exercice 2017 de Mobilia seront, à cet effet, indicatifs de son avenir sur le marché.
Soumayya Douieb
Le Maroc tient la barre
Si les déboires des deux franchises africaines de Kitea contrarient à ce jour son plan de développement d’une image de marque sur le continent, ils n’entravent pas pour autant le développement de l’enseigne sur son marché principal, le Maroc. Kitea semble reprendre du poil de la bête après un passage compliqué de quelques années. Alors qu’elle affichait un chiffre d’affaires de 600 millions en 2010, les revenus de Kitea avaient chuté suite à des investissements entre 2011 et 2012 (451 millions en 2012) età une concurrence des enseignes turques, conduisant l’entreprise dans des difficultés de trésorerie. Depuis lors, l’enseigne d’Amine Benkirane a redressé la barre et se trouve sur un trend haussier. Son chiffre d’affaires avait bondi de 18% en 2015 à 521 millions, et Kitea a terminé l’année 2016 sur une progression de 12%, et ce malgré l’hécatombe annoncée sur le secteur avec l’arrivée du géant suédois Ikea.
Mieux, le lauréat des Morocco Awards 2010 se renforce et se développe sur le marché marocain. L’enseigne s’est lancée dans une politique de relifting de sa marque, avec des magasins renouvelés et agrandis dans les petites villes. Dans les grandes villes, Kitea s’apprête également à lancer un nouveau concept, “Kitea City“, résultant de la transformation des magasins classiques dans les villes accueillant déjà les Kitea Géant. Objectifs de ces investissements : rendre les magasins plus attractifs, étoffer la gamme des articles de décoration et de petit mobilier, etc. Six des magasins sont prévus pour passer au concept Kitea City d’ici la fin 2018 et 10 au total seront inaugurés à l’horizon 2020. Quant aux Kitea Géant, l’enseigne prévoit d’en ouvrir deux autres, à Agadir et Casablanca.
Pour combler ses faiblesses au niveau de l’accessoire, Kitea a également conclu depuis 2015, un contrat de franchise exclusive avec l’enseigne belge Casa, numéro 1 de l’accessoire en Europe, spécialisée dans la vente de produits de décoration, d’articles cadeaux et de mobilier d’appoint. Casa adopte le modèle shop-in-shop et dispose déjà de plusieurs magasins intégrés dans les Kitea.
Pour rappel, Kitea, leader de l’ameublement en kit au Maroc a été fondée en 1993. L’enseigne dispose d’une cinquantaine de magasins, toutes gammes confondues sur 17 villes du Maroc. Kitea a été récemment classée par la London Stock Exchange Group parmi les «PME les plus prometteuses en Afrique». Cette étude regroupe 343 entreprises issues de 42 pays africains.