Portant sur ses épaules durant de longues années l’image du tourisme marocain notamment à travers les marques du portefeuille d’Accor comme tête de gondole, le fonds d’investissement touristique Risma serait-il désormais à bout de souffle ? Le gouffre financier que représentent ses nombreux investissements et l’absence de distribution de dividendes depuis une quinzaine d’années pourrait expliquer la cession de trois hôtels Ibis au Groupe Benaboud. Risma serait en quête d’une remontée de cash et cette cession pourrait constituer, à terme, le premier pas d’un lent désengagement de l’investisseur de nombreux actifs.
Révélée en janvier dernier, la cession de trois hôtels Ibis (Tanger Free Zone, Fnideq et Agadir) au Groupe Benaboud (voir encadré) a pris de court l’ensemble de la place. Cette cession intervient après celle de deux parcelles de terrains situés dans les encablures de Casa Port, près d’Ibis et du Sofitel Tour Blanche pour, selon un confrère, 43 millions de dirhams. Mais en réalité, cette surprise n’en est une que pour ceux qui ne suivent pas rigoureusement Risma depuis un moment. Car en réalité, la cession de plusieurs Ibis de la chaîne Accor avait été lancée en 2017. La vétusté relative de ces établissements aurait motivé ce désir de cession. Risma avait déjà procédé à la cession « d’actifs hôteliers non stratégiques » en 2012, notamment les Ibis Essaouira, Coralia Club Agadir et Mercure Ouarzazate. Ces unités, structurellement déficitaires, justifiaient que Risma s’en déleste. L’investisseur chercherait également à se débarrasser d’un Ibis à Marrakech et serait à la recherche d’un repreneur pour son Sofitel Tour Blanche de Casablanca.
Des besoins de cash
Cette nouvelle vague de cessions aurait été lancée sous la pression des actionnaires de Risma, lassés d’attendre des dividendes qui ne viennent pas et s’inscrirait donc dans une stratégie globale de désendettement du groupe. Elle intervient également à une période où Risma a lancé une large opération de rénovation d’un certain nombre d’unités hôtelières à travers le Royaume. C’est le cas de l’Ibis Rabat Agdalet de l’Ibis Casa Voyageurs. Risma avait aussi engagé un important programme de rénovation du Sofitel Marrakech, Ibis Casablanca City Center et d’Ibis Casablanca Sidi Maârouf. D’autres unités étaient appelées à subir les mêmes travaux de rénovation pour se mettre au diapason avec la nouvelle valeur sûre de l’investisseur, l’Ibis de Rabat Agdal, à l’horizon 2019.En somme, une politique de montée en gamme serait en cours. Mais selon un confrère, ces travaux de rénovation ne concerneraient que les hôtels les plus rentables. Ceux qui n’entrent pas dans leurs frais sont laissés dans leur état, accélérant par là-même leur détérioration et inévitablement, une baisse de leur valeur marchande. Risma préparerait-elle le terrain pour une sortie en douceur ? Dans tous les cas, l’investisseur se retrouve aujourd’hui étranglé à la faveur de choix d’investissement qui aujourd’hui semblent tous contestables. Des investissements coûteux, qualifiés parfois de hasardeux, auront creusé un trou béant sous les pieds de Risma.
Car, avec l’entrée d’institutionnels marocains importants dans son tour de table, Risma s’est sentie confortée dans ses programmes et a investi énormément dans le maillage du territoire, au point même de prendre 40% des actions de SAEMOG, la société d’aménagement de la station azur d’Essaouira. Un projet qui n’a enregistré, depuis son lancement, que des pertes. Sa participation dans cette société coûterait à Risma quelque 50 à 60 millions de dirhams par an ; un gouffre financier suffisamment important pour impacter les autres besoins de l’investisseur, notamment la remise à niveau de toutes les unités sous son aile. SAEMOG aurait ainsi perdu jusqu’à 120-50 millions de dirhams par an depuis son lancement. Mais Essaouira n’est pas la seule raison de l’endettement important de Risma.
Le luxe “m’a tuer“
Il faut aussi compter un autre facteur important, le développement sur le segment luxe. En effet, pour en revenir aux racines du groupe Accor, celui-ci a fait son beurre et s’est forgée une réputation solide sur le segment de l’hôtellerie économique. A sa création par Accor, Risma devait porter les murs de son développement au Maroc, donc essentiellement sur un segment de produits accessibles au plus grand nombre, l’hôtellerie économique. La rupture est venue avec les ambitions de Risma, galvanisée par un actionnariat de poids. Ainsi, l’investisseur s’est lancé dans un développement aussi rapide que coûteux sur le segment luxe avec les Sofitel là où il devait, à l’origine, ne posséder que quelques petites unités, 2 à 3 tout au plus.
L’acquisition du Hilton de Rabat à quelque 1 milliard de dirhams illustre bien cette “petite“ folie des grandeurs. Les investissements tous azimuts ont fini par plomber les résultats de Risma dont l’endettement avoisine les 2 milliards de dirhams.En rénovant certains de ses murs, Risma contente certainement son exploitant exclusif Accor, mais en profiterait-elle pour améliorer son image pour une éventuelle cession!
Dans tous les cas, une page est en train d’être tournée dans le couple Accor-Risma. D’ailleurs, Accor avait entamé une mue depuis quelques années déjà. Confortablement installé dans le paysage touristique marocain depuis le milieu des années 90, la concurrence et les soubresauts de la conjoncture internationale ont fini par tâcher l’époque rose d’Accor. L’hôtelier français est obligé de se serrer la ceinture et de parler remontée de cash-rentabilité encore plus maintenant qu’il ne l’a fait par le passé. Loin donc l’époque faste des années Thépot; l’arrivée en 2011 de Christian Rousseau, redoutable financier, en tant que DG d’AGM, marquait déjà un tournant important dans la course d’Accor. Celui-ci avait pour mission de veiller sur les chiffres, couper dans les budgets, etc.
Avec son départ et la nomination d’Antoine Guégo, lui aussi parti depuis plusieurs mois, le groupe Accor avait confirmé son intention d’axer sa politique désormais sur la rentabilité. Sous la coupe de Sébastien Bazin, PDG du groupe Accor, les exigences de cash sont devenues le paramètre principal et l’indicateur ultime. Une page a été tournée et les prochaines années promettent de gros chamboulements aussi bien dans l’attelage Risma-Accor que dans le secteur touristique national tout entier.
Soumayya Douieb
Zoom sur le Groupe Benaboud
Installé dans le nord du Royaume, le Groupe Benaboud intervient dans plusieurs secteurs et se spécialise dans la promotion immobilière et touristique, l’importation et la distribution des meubles de luxe et des meubles en kit, de l’électroménager. Il est également présent dans l’assurance entre autres. Le Groupe détient Ranimob, Goldenkit, Dream’s Hôtel, Hôtel Safir, Marina Smir, Puerto Marina, Vite Nord et est présent dans les villes de Tétouan, Tanger, Fès et prochainement à Casablanca et Rabat. L’acquisition par le groupe tétouanais auprès de Risma des murs des Ibis de Tanger Free Zone, Fnideq et Agadir s’inscrit, selon celui-ci, dans son programme de développement d’une nouvelle chaîne hôtelière à vocation nationale du nom de «Senator». Ces trois acquisitions constitueront ainsi le noyau de cette nouvelle chaîne et le groupe dispose déjà d’autres actifs hôteliers dont le Natinal et Chams à Tétouan et un autre à Martil. Le deal a été mené en partenariat avec un groupe saoudien et a été conclu il y a près de 3 mois. Le groupe a pour objectif de mettre sur pied une chaîne tournée vers le tourisme intérieur, avec un parc d’une trentaine d’hôtels à terme sur les segments des 3 et 4 étoiles. L’essentiel de ce développement se fera par l’acquisition d’unités existantes. Les hôtels acquis chez Risma feront l’objet, selon le Groupe Benaboud, d’une opération de remise à niveau afin de les mettre au standard de la prochaine chaîne hôtelière. Les travaux de rénovation et de rebranding de ces unités devrait démarrer incessamment. L’ouverture officielle de «Senator» est prévue pour ce mois de février 2018. Il faut noter que le Groupe Benaboud est très présent dans le nord du pays et jouit d’une certaine réputation, notamment à travers les activités développées par Mustapha Benaboud, patron du groupe éponyme et l’une des plus importantes fortunes de la région. En 2003, Mustapha Benaboud avait fait l’objet d’une arrestation dans le cadre d’un coup de filet de la police pour son implication “supposée“dans un réseau trafic de drogue.
Chassé croisé Risma – Accor