Après moult tentatives, le ministère de l’équipement et du transport semble tenir les prestataires qui auront la charge de fournir et d’assurer la maintenance des radars de circulation prévus depuis de longues années. Une nouvelle qui tombe à pic, dans une période où les finances publiques ont besoin de souffler. L’occasion de remettre sur la table les prévisions de bonnes recettes, en comptant sur l’incivilité des concitoyens sur la route!
L’éternel marché des radars semble sur la voie d’un dénouement « heureux ». Enfin ! dira-t-on tant ce marché a, depuis de longues années, manqué d’attirer des offres jugées suffisamment intéressantes par la tutelle pour être retenues. À en croire un confrère, le groupement Alomra-Vitronic serait en bonne position pour remporter l’appel d’offres portant sur l’acquisition, l’installation et la maintenance de 552 radars. Montant de l’opération : 275 millions de dirhams.
Ce consortium composé d’une entreprise marocaine (Alomra) et de la multinationale allemande Vitronic était en concurrence avec un autre groupement, cette fois-ci marocain, recalé pour non conformité de sa documentation technique. Si le groupement est finalement retenu, il devra installer, en l’espace d’une année, la totalité des radars dans l’ensemble des 12 régions du pays. Pour rappel, ce marché concerne les radars fixes à l’intérieur et hors agglomérations : radars de vitesse classiques, portiques, franchissement de ligne continue, voie interdite. Sa prestation (maintenance) s’étalera sur 10 années, après lesquelles un nouvel appel d’offres sera lancé. À l’horizon 2026, l’objectif du ministère est d’installer quelque 1200 radars pour lutter contres les accidents de la circulation. C’est dire que le ministère semble désormais tenir le bon bout de cette histoire. Mais la protection des automobilistes est-elle le seul moteur de cette avancée énorme sur ce dossier?
Des recettes à attendre…
Car il faut le noter, le nombre d’essais qu’il a fallu au ministère pour trouver «sa perle rare» se compte sur les doigts des deux mains, 10 au total, avance ce confrère. Étrange coïncidence, l’annonce sur des premiers résultats de cette consultation tombe parfaitement durant la période de présentation du projet de loi de finances 2019. Coïncidence ?! Pas tout à fait. Car les radars constituent en soi des canaux de recettes non négligeables par ces temps de tensions sur les finances publiques. Et connaissant l’aisance des automobilistes marocains à ne pas lever le pied de l’accélérateur, leur ministère se prépare à ramasser quelques centaines de millions voire quelques milliards de dirhams en recettes. En effet, constataient les agents de la police et de la gendarmerie, rapportés en 2014, «la vitesse vient largement et de loin en tête des contraventions les plus fréquentes relevées par les radars fixes et mobiles».
À l’époque, le ministère affirmait qu’en moyenne, chaque radar transmet 240 messages d’infractions brutes par jour. Et les infractions ont une valeur variable selon leur nature. Certains s’étaient amusés à estimer combien pouvaient rapporter les radars opérationnels à ce moment, soit au total 126. Les calculs portent à 30.240 le nombre d’infractions moyennes par jour. En gardant cette moyenne tout au long de l’année, le nombre total d’infractions peut être évalué à plus de 11 millions sur une année civile pleine de 365 jours. Un calcul rapide, en rapportant cette masse d’infractions à la pénalité la plus faible prévue par le code de la route de 2010 fixée à 300 dirhams, fait ressortir des recettes qui devraient s’élever à plus de 3,3 milliards de dirhams, sur une année. Notons que cette estimation ne prend en compte que la pénalité la plus faible d’entres toutes. Et que, de surcroît, elle n’inclut pas les contraventions que capteront les radars mobiles de la Police et de la Gendarmerie. Avec le marché en cours, les recettes pourraient tout simplement exploser.
Un investissement pour les années à venir
En extrapolant ces mêmes données sur les années à venir, le business des radars pourraient rapporter gros, notamment à partir de 2020, lorsqu’ils seront tous déployés sur l’ensemble du territoire. Sur la base des 240 infractions en moyenne par jour et par radar, on aurait 132.480 pour l’ensemble des 552 radars, soit plus de 48,3 millions d’infractions par an et plus de 14,5 milliards de dirhams de recettes. Evidemment, ces recettes n’intègrent pas celles des radars existants. À un coût de revient unitaire (acquisition et installation) de 500.000 dirhams, plus une garantie du prestataire sur la première année d’exploitation, l’investissement est parti pour être rentable pour le ministère.
Douieb Soumayya
Le consortium encore en lice
Alomra Group International, qui est en bonne position pour remporter le marché des radars du ministère, est un acteur marocain qui exporte son expertise en Europe, Afrique et au Moyen-Orient à travers ses filiales. Fondée en 2004, l’entreprise marocaine s’est spécialisée dans la sécurisation du personnel, des matériels et des infrastructures au travers d’offres couvrant l’intégralité du spectre sécuritaire. Ainsi, la société offre des prestations en matière de Conseil en ingénierie de défense, de sûreté-sécurité et en intelligence stratégique. Sa clientèle se compte aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Il est d’ailleurs l’attributaire du marché de la vidéosurveillance de 11 des 17 prisons marocaines pour un montant de 62 millions de dirhams en 2017. Driss Benomar, patron d’Alomra Group International, était l’ancien directeur de la cellule internationale au ministère de l’Intérieur. Son partenaire allemand Vitronic est un acteur mondial dans deux métiers : l’automatisation industrielle et logistique d’une part, et l’ingénierie du trafic routier d’autre part. Dans ce dernier métier, Vitronic s’est positionnée sur la surveillance de véhicules en circulation avec des systèmes de mesure de vitesse, de contrôle de franchissement de feux rouges et de reconnaissance de plaques d’immatriculation. Tous ses systèmes s’appuient sur la technologie de mesure par scanner laser Light Detection and Ranging (LIDAR), dotée d’une extrême précision sur plusieurs voies de circulation en simultanée. Fondée en 1984 et située à Wiesbaden en Allemagne, la société emploie quelque 900 personnes dans le monde, 560 à son siège dont 260 ingénieurs et est présent sur tous les continents à travers des succursales. En 2017, son chiffre d’affaires s’est élevé à 172 millions d’euros, contre 148 millions d’euros en 2016.
Quid des radars mobiles et de leurs recettes?
Le dispositif global de contrôles routiers comprend outre les radars fixes du ministère, les radars mobiles de ces deux corps de sécurité qui en assurent eux-mêmes l’acquisition et l’entretien. La DGSN possédait, en 2014 déjà, quelques 327 radars mobiles acquis pour 120 unités en 2011, 120 unités en 2012 et 87 unités en 2013. Ces nouveaux radars sont venus remplacer les 340 dont disposait la direction avant 2010 et l’entrée en vigueur du récent code de la route. Ce code a rendu obsolète ces 340 radars par la fixation de nouvelles caractéristiques que devraient embarquer les radars : mesure de vitesse, photo de la plaque minéralogique du véhicule en infraction. Dans le même temps, la Gendarmerie nationale comptait déjà en 2011 quelque 230 nouveaux radars dont 30 montés sur véhicules. Nul doute que depuis lors, son parc de radars s’est considérablement garni de nouveaux bijoux. Quant aux recettes, elles sont réparties de manière précise. « 40% du montant des contraventions payées dans les mains de l’agent verbalisateur sont versés à la DGSN. Le reste est versé au budget général de l’État. Mais lorsque ces contraventions sont payées directement à la Trésorerie Générale, la DGSN n’en perçoit aucune partie », expliquait la DGSN. La même formule est de mise pour la Gendarmerie nationale.
Les péripéties d’un appel d’offres