Ce mardi, c’est par 25 voix contre 6 que le Sénat local de l’Alabama a voté en faveur de l’adoption d’un texte interdisant totalement l’interruption volontaire de grossesse et criminalisant les médecins qui pratiqueraient des «avortements illégaux» en prévoyant, à leur encontre, des peines de prison allant de 10 à 99 ans.
Considérant, en outre, que même dans les cas de viol ou d’inceste, l’interruption volontaire de la grossesse sera assimilée à un crime et que seules celles qui prouveront que leur vie est en danger auront le «droit» d’y recourir, force est de reconnaître que, dans cet Etat du Sud-Est des Etats-Unis, le législateur n’y est pas allé de main morte et qu’il frappe fort, voire même très fort.
Mais le timing n’est pas fortuit et le vote de cette loi est intervenu dans un contexte de très forte dégradation du droit à l’avortement. En effet, à en croire l’Institut de Statistiques Guttmacher qui défend les droits de la reproduction, ce sont plus de 300 mesures restreignant l’avortement qui, en 2019, ont été adoptées dans 28 Etats américains.
Ainsi, si au Kentucky et au Mississippi, l’avortement est interdit «dès que les battements du cœur du fœtus sont détectables» donc dès la sixième semaine mais qu’au Kentucky un juge a, tout de même, bloqué la mise en œuvre de cette loi, celle-ci va entrer en vigueur en Juillet au Mississippi alors que la Georgie, l’Ohio, le Missouri et le Tennessee sont sur le point de l’adopter.
Sur le plan fédéral, les ultra-conservateurs tentent, par tous les moyens, de porter le débat au-devant la Cour Suprême pour remettre en question un droit fixé par le fameux arrêt «Roe vs Wade» rendu le 22 Janvier 1972 par la Cour Suprême des Etats-Unis; ce qui ne risque pas de rencontrer une quelconque résistance après les récentes nominations, par Donald Trump, des conservateurs Brett Kavanaugh et Neil Gorsuch à la plus haute juridiction de l’Etat.
En établissant que les restrictions à l’avortement sont inconstitutionnelles si elles imposent un «fardeau indu» à la femme qui demande une interruption volontaire de grossesse avant que le fœtus soit viable, l’arrêt «Roe vs Wade» a marqué le débat sur l’avortement et sa légalisation aux Etats-Unis en divisant le pays entre les «pro-choice» (pro-choix) qui sont pour le droit à l’avortement et les « pro-life » (pro-vie) qui sont résolument anti-IVG.
Le vote de ce mardi est donc, pour les défenseurs du droit à l’interruption volontaire de grossesse, un terrible pas en arrière; ce qui a fait dire à Bobby Singleton, le chef de file des démocrates du Sénat local : «Vous venez de violer vous-même l’Etat de l’Alabama. Vous dites à ma fille : tu ne comptes pas dans l’Etat de l’Alabama… Les hommes peuvent te violer et tu auras ce bébé si tu tombes enceinte!»
Et si, pour le «New York Times», jamais aucun Etat américain n’est allé aussi loin dans la répression de l’avortement et que la Gouverneure d’Alabama, républicaine farouchement opposée à l’IVG, va, sans l’ombre d’un doute, ratifier la loi, celle-ci sera immédiatement contestée par la justice fédérale et il reviendra alors à la Cour Suprême de trancher. Et c’est, justement, ce que cherchent les pourfendeurs du droit à l’avortement car, comme l’écrira le «Washington Post», ils donneront, ainsi, à la Cour Suprême l’occasion de remettre dans la balance l’arrêt «Roe vs Wade» qui, depuis 1973, est le cadre jurisprudentiel qui confère aux femmes américaines le droit d’avorter. Autant dire que, même dans un pays aussi «démocratique» que la plus grande puissance mondiale, les femmes n’ont toujours pas le droit, en cette année 2019, de disposer librement de leur corps en arguant que tout enfant à naître devrait être désiré. Ainsi, même aux Etats-Unis d’Amérique, le débat sur l’IVG s’annonce encore long et la bataille ardue, alors attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi