Amoureuse et possédée des planches, Latefa Ahrrare est sans aucun doute l’une des figures importantes de la scène théâtrale nationale. Très jeune, elle aimait déjà monter sur scène, jouer et faire du théâtre à la Maison des jeunes à Guercif. Et malgré les déplacements de son père, elle a toujours gardé cette flamme créatrice et cette passion interminable pour le père des arts.
De la télévision aux planches…
Au début, Latefa a entamé sa carrière à la télévision avant de revenir à son premier amour, le théâtre. C’est en 1990 que la comédienne joue son premier rôle dans le film «Bent Lafchouch» (Fille gâtée) d’Abdelatif Ayachi. «J’ai commencé à faire du théâtre à Guercif. A l’époque, je ne le faisais pas pour devenir actrice, au contraire, je le faisais par compensation. En d’autres mots, je me découvrais. Pour moi, c’était un moment de découverte. Mais quand je suis venue surtout à Rabat, j’ai intégré l’université où j’ai entamé des études en littérature française. Entre temps, un réalisateur qui n’est qu’Abdelatif Ayachi voulait une jeune fille, une adolescente pour jouer un premier rôle dans le film «Bent Lafchouch». Après avoir joué avec Larbi Doghmi, Habiba El Madkouri et bien d’autres, qui me disaient que je suis douée, ils ont fini par me conseiller d’intégrer l’institut. Donc je suis passée à l’Institut supérieur des arts dramatiques et d’animation culturelle», nous confie Latefa Ahrrare.
La comédienne intègre l’ISADAC en 1992 où elle décroche son diplôme de comédien-metteur en scène en 1995. C’est là où elle découvre en effet les disciplines et les différentes sensibilités théâtrales. «J’étais la dernière candidate à soumettre mon dossier. C’était le dernier jour du délai, à la dernière heure. J’ai été admise et puis, j’ai commencé à faire du théâtre. Par la suite, j’ai reçu des propositions pour jouer dans des films à la télévision et le cinéma. Mais je refusais parce que pendant les deux premières années de formation, nous étions interdits de jouer ailleurs. Ce qui tombait bien parce que cela me permettait de me concentrer sur mon travail», a-t-elle ajouté.
Très dynamique, pleine d’énergie et toujours souriante, Latefa Ahrrare savourait le théâtre autrement, notamment en l’étudiant. «Je découvrais que le théâtre que je faisais au début par compensation était une science, surtout avec des professeurs magnifiques comme feu Jamal Eddine Dkhissi, Moulay Ahmed Badry. On faisait un théâtre basé sur la création libre. On jouait comme des Américains. On excellait dans toutes les disciplines du dessin en passant par la danse. Je suis quelqu’un qui n’aime pas les règles. Par exemple dans le cours de la danse, je n’aimais jamais suivre les pas. Mais quand mon professeur me demandait d’improviser et de créer librement, j’excellais. Et le théâtre me permettait cela», raconte-t-elle.
Elle fait un passage en France, en Hollande, en Belgique et en Espagne où elle rencontre de nombreux artistes et comédiens, ainsi que d’autres écoles de théâtre. Dans cette optique, elle joue dans la pièce «La comedia del Arte» du metteur en scène Carlo Damasco ou encore «Les caprices de Marianne» de Thomas le Touareg. Ensuite, elle revient au Maroc pour commencer sa carrière en participant à des pièces mises en scène par des ténors du théâtre marocain dont Tayeb Seddiki. «Je suis partie à Avignon où j’ai rencontré de nombreux artistes. Puis, j’ai commencé à découvrir les univers du théâtre. En revenant, j’ai collaboré avec Tayeb Seddiki dans la pièce ‘’Molière, ou pour l’amour de l’humanité’’ et j’ai retravaillé avec lui. Tayeb avec son caractère rude, m’a adorée parce que c’était une personne qui aimait les gens intelligents et qui ont du caractère », fait-elle savoir.
En revanche, sa collaboration en 1997 avec Nabil Lahlou dans sa pièce intitulée «Les tortues» n’a pas lieu. «C’est quelqu’un que j’aime. C’était un comédien qui a toujours fait du monodrame. Il jouait souvent seul sur scène, c’est pour ça qu’il était un peu solitaire. Aujourd’hui, on pourrait peut être collaborer ensemble parce qu’on a plus de recul et de maturité », explique-t-elle.
Le corps…un instrument universel
Latefa Ahrrare estime que le corps est important pour le théâtre, sinon c’est de la radio. «Le corps, soit mobile ou immobile, existe sur scène. Le corps sur scène est l’une des questions qui m’ont interpellée depuis mon enfance. C’est quelque chose d’important pour moi parce que j’ai vécu l’absence de mon père par son corps. C’est une des questions existentielles qui m’habitent depuis toujours», a-t-elle souligné. Le corps poétise la scène, il a son propre langage et ses lettres de noblesse. «Je travaille sur le mouvement et la chorégraphie. Le corps est primordial sur scène, c’est-à-dire moins de texte et plus de visibilité. C’est aussi une manière de dire non aux stéréotypes, aux clichés de la société. C’est dire aussi que le corps de la femme et le corps humain asexué existent parce que c’est un instrument, une expression, une voix, une langue et un langage universel».
Loin de la polémique, près du débat…
Latefa a fait plusieurs mises en scène entre autres «Parle-moi comme la pluie et laisse-moi écouter» de Tennessee Williams, «Iphiginea auf tauris» de Werner Fassbinder, «C’était hier» de Harold Pinter, «Last Night» de Mohamed Said Aldanahani. Actuellement, elle travaille sur la mise en scène d’une nouvelle pièce de théâtre «Don kichouh» avec la troupe Tifswin. «‘’Last Night’’ est une pièce écrite par Mohamed Said Aldanahani. Il y avait une actrice lituanienne et moi-même qui travaillions sur le même texte, mais nous avions deux versions différentes. Les gens ont adoré la mienne parce que je maîtrise mieux l’univers musulman et arabe. C’était une pièce qui a fait le tour du monde et qui a remporté plusieurs prix», a-t-elle confié. Sans oublier la pièce «Kafar Naoum» qui a suscité énormément de débat et de polémique.
«J’ai travaillé sur une autre pièce «1, 2,3» où je racontais l’histoire des couples et les non-dits dans la société. J’aime bien parler des choses qui dérangent parce qu’elles me dérangent et évidemment parce que j’appartiens à cette terre, et pour moi, un artiste doit soulever des débats et donner aux gens l’occasion de rire et de pleurer, mais aussi de réfléchir. Je suis très spontanée dans mon travail, je ne cherche pas le buzz, il se fait de lui-même. En revanche, je ne cherche pas non plus à passer inaperçue » conclut-elle.
Mohamed Naît Youssef