Par Amal TAZI (MAP)
En danse contemporaine, le nom de Sidi Larbi Cherkaoui résonne comme une référence en Belgique. Cet anversois d’origine marocaine est même plébiscité comme «le chorégraphe favori des Belges». D’ailleurs, c’est sous ce qualificatif bien attractif que le prestigieux Cirque Royal de Bruxelles annonce le retour très attendu de celui qui avait fait un triomphe en 2017. Après Puzzle, il revient avec deux autres de ses plus belles créations : Faun et Memento Mori.
Programmé pour trois dates (19-21 septembre), le nouveau spectacle affiche déjà complet, un privilège auquel Sidi Larbi Cherkaoui est habitué.
«J’ai beaucoup de chance d’avoir toujours un public curieux de voir les dernières choses que j’ai réalisées», dira humblement cet artiste hors-pair dont les créations inédites ont sillonné le monde.
Tokyo, Londres, New-York… les théâtres et salles de spectacle les plus sélects ont accueilli Sidi Larbi Cherkaoui et ses danseurs. Il continue à s’y produire que ce soit en tant que danseur et chorégraphe ou dans le cadre de collaborations sur des projets artistiques.
Memento Mori (Souviens-toi que tu vas mourir), la première pièce que sa troupe présentera à Bruxelles, est le dernier volet d’une trilogie qu’il avait créée d’abord, précise-t-il, pour les fameux Ballets de Monte Carlo, avant d’être reprise l’année dernière par le Ballet de Flandre dont il est le directeur artistique.
A travers cette œuvre «à la fois légère et puissante», le chorégraphe invite à considérer la mort avec un œil neuf, pour ne pas se laisser enfermer dans une fatalité passive, mais plutôt chercher à «se réapproprier quotidiennement notre réalité».
«Même si c’est un spectacle abstrait et très esthétique, il y a aussi un côté beaucoup plus relié à une philosophie qui est connectée à la nature et au côté éphémère de la vie», explique-t-il dans une interview avec la MAP.
Poussant la métaphore plus loin, Sidi Larabi présente Memento Mori «un peu comme une fleur qui s’ouvre, qui fane, puis se dissout», à l’image de la vie qui nous voit apparaître, créer des interactions, puis soudain disparaître».
Pour élucider cette idée, il utilise ses danseurs comme «des fantômes qui apparaissent et disparaissent dans l’espace», montrant «à quel point nos mouvements sont peut-être un peu liés aux étoiles et à la nature».
La thématique de la nature est également présente dans l’autre opus au menu de sa grande soirée de retrouvailles avec le public bruxellois, avec comme toile de fond la forêt et toute la portée symbolique inhérente à son exploration.
«Faun», une pièce qu’il avait écrite il y a dix ans à Londres, est une libre adaptation du célébrissime Après-midi d’un faune, créé par le danseur étoile et chorégraphe des Ballets russes Nijinski en 1912 sur la musique de Debussy.
«C’est un spectacle certes inspiré par la comédie Faune de Nijinski, mais j’ai travaillé ma propre version de l’idée et du personnage de Faune», fait-il remarquer.
Aussi a-t-il créé une relation entre un faune et une âme qui «se rencontrent dans la forêt, l’explorent ensemble, s’entremêlent et deviennent âme à un moment donné».
La présentation de ces créations s’annonce d’ores et déjà comme le spectacle phare de la rentrée culturelle à Bruxelles, offrant au public une occasion unique de plonger de deux manières dans l’univers magique de la danse contemporaine propre à Sidi Larbi Cherkaoui, avec son lot de chorégraphies fluides interprétées par Ballet Vlaanderen.
Techniquement, le chorégraphe belgo-marocain s’inspire notamment de formes complexes en spirales à même de refléter le vertige suscité par sa pensée. Il n’hésite pas dans Memento Mori de tenter le mélange de genres, où ballet classique et tango se côtoient harmonieusement, le tout sur une musique de l’artiste pop Woodkid, à la fois mélancolique et puissante. Avec Faun, il opte pour une musique recomposée par Nitin Sawhney qui emmène subrepticement d’un style à l’autre, d’une culture à l’autre, d’un siècle à l’autre.
«Ma danse est inspirée par le tango, la danse de contact, l’improvisation contact, la danse contemporaine, le classique, et même des influences de la danse urbaine. Il y a beaucoup d’influences qui font en fin de compte cet univers très particulier qui est vraiment le mien», relève l’artiste.
Et l’influence des racines marocaines ? «Bien sûr» elle est fortement présente dans l’œuvre de Sidi Larbi Cherkaoui qui affirme être «constamment en recherche du corps : ondulations, membres inversés – tête à l’envers comme chez les gnaoua, travail sur la respiration…».
Ce sont autant de sources d’inspiration qui distinguent le travail créatif du chorégraphe belgo-marocain dont le nom est désormais associé à de grands succès. A n’en citer que quelques-uns, il évoque avec fierté sa collaboration avec le chorégraphe Damien Jalet dans Babel (2010), une pièce qu’il considère comme «très importante» dans son répertoire – qui lui a valu le prix «Olivier», ou encore celle avec l’artiste visuel Antony Gormley et les moines Shaolin dans Sutra (2008). Cette production, présentée pour la première fois au Sadler’s Wells Theatre de Londres, a été raflé de nombreux prix et continue sa tournée dans le monde avec un grand succès.
Il a également travaillé avec le réalisateur anglais Joe Wright sur son film Anna Karenina pour lequel il assure la chorégraphie. Plus récemment, il signe les chorégraphies du film belgo-néerlandais Girl, présenté l’année dernière à Cannes, de même qu’un clip de la célèbre chanteuse américaine Beyoncé.
Sa devise pour réussir dans un domaine aussi évolutif qu’exigent que la danse contemporaine, c’est rester créatif. «Quand les choses vont mal, il faut savoir rester calme et analyser, mais aussi il y a le facteur chance : il faut avoir de la chance mais aussi se l’offrir», insiste-t-il.
Le succès phénoménal à l’international de Sidi Larbi Cherkaoui ne lui fait pas pour autant oublier son pays d’origine dont il reste très attaché. Il s’est déjà produit il y a trois ans au Festival International de danse contemporaine à Marrakech «On marche». Et il aimerait bien revenir pour un nouveau spectacle au Maroc.
Né à Anvers en 1976, d’un père marocain et d’une mère belge, Sidi Larbi Cherkaoui commence la danse vers l’âge de 15 ans. Il suit sa formation professionnelle de danse contemporaine à PARTS (Performing Arts Research and Training Studios), une école bruxelloise fondée par la chorégraphe belge, Anne Teresa De Keersmaeker.
Il a débuté comme chorégraphe en 1999 dans Anonymous Society, une comédie musicale contemporaine d’Andrew Wale. Depuis lors, il a signé plus de 50 chorégraphies, qui lui ont valu une série de prix parmi lesquels deux Oliviers Awards, trois titres de meilleur chorégraphe de l’année par le magazine Tanz (2008, 2011, 2017) et le Kairos Prize pour sa vision artistique et sa recherche d’un dialogue culturel (2009).