La prise de contact avec une œuvre plastique revêt différents aspects quant à la réflexion affective qu’elle peut susciter. Devant les œuvres de Said Labiad un sentiment de joie prend le dessus.
De cette joie inhérente à une approche spécifique de la couleur caractérisée par un savoir faire artistique. Et le contact est pris dans le sens d’un message qui s’infiltre par petites touches après la confection d’un tableau et après l’avoir conçu, sommairement ou en détail. La conclusion artistique est toujours heureuse, car rendant accessible un univers coloré à dessein, prodiguant le plaisir de palper le secret de la confession par l’art qui n’a rien à cacher et tout à montrer, ou au moins une partie. Une carrière étant tributaire du temps.
Toutefois, le résultat final nous enseigne plus ou moins sur les étapes suivies qui ont permis d’offrir un tel constat d’accomplissement satisfaisant. Mais on le devine. Pour y arriver, il faut réussir à capter ce point de recherche qu’est l’harmonie dans un tableau, cet équilibre qui unifie tous les éléments en un tout signifiant par sa manière de créer de l’émotion visuelle. Surtout via les couleurs vives : jaune, vert et orange, placées par préméditation créative comme les seules à même de donner libre cours à ce qui se meut intérieurement chez l’artiste comme désir et penchants. Là, l’abstraction lyrique dont s’inspire grandement l’artiste en dit assez sur ce qui le pousse à peindre.
Et du lyrisme, il y en a, rendu par une répartition des composantes de chaque œuvre en trois plages de couleurs dans la plupart des cas, chacune ayant un volume propre, sans aucune observation d’une dimension standard. C’est selon la dictée émotionnelle enfouie sous l’autorité de laquelle agit le geste pictural de Saïd Labiad. Car il y a un mouvement bien apparent dans ses tableaux fait de larges aplats qui signent une frénésie créative impatiente, mais aussi de petits coups de pinceaux qui fonctionnent comme des points virgules, outils de liaison et compléments de compréhension de l’œuvre. On doit le dire : la joie citée ci-haut dénote un penchant évident vers la méditation et la contemplation. En deux temps, deux sommes de couleurs, deux sommes en tableaux.
Le noir et blanc
Ils ont une telle présence comme fond et comme apparence qu’ils suggèrent et appellent la méditation en tant qu’entrée dans le secret d’un univers d’infinis questionnements. Victor Hugo avait dit : «Celui qui médite vit dans l’obscurité, celui qui ne vit pas vit dans l’aveuglement. Nous n’avons que le choix du noir». Du noir qui est présence maculée par une main qui détient la manière d’en ressortir toutes les possibilités expressives. Avec l’ajout qui atténue leur portée. Le blanc, lui, devient d’une transparence ébréchée retravaillée de telle façon qu’il puise fournir l’impression de fausse clarté, une sorte de «lumière mouillée» à la Aragon.
Celle-ci croisant ou jouxtant le noir lui aussi ébréché autrement afin de rendre compte d’une obscurité ouverte en quelque sorte. Il s’ensuit un dialogue fructueux qui force la méditation affective que les furtives incursions colorées ponctuent et élargissent. Il s’agit d’œuvres à dimension humaine, issues de l’être homme.
Les couleurs vives
Par contre, les tableaux où les couleurs vives sont présentes et dominent, nous mettent plutôt face à la contemplation, ce «bain fortifiant» selon le poète Pierre Reverdy, contrairement au rêve, et qui «conduit à la béatitude» selon Anatole France. Cette exercice qui part de l’œil et atteint l’entendement. Des œuvres où l’abstraction singe les paysages. De grandes plages de couleurs qui font référence à la nature dans ses étendues et sa majesté dont on se lasse jamais d’en percer les secrets. Pas de dialogue ici, mais une attitude de réflexion qui replace la vision du côté de la sérénité philosophique. Ils habitent des formes et les créent au gré du mouvement imprimé, contournant ou allongeant l’impact pictural.
La démolition heureuse
Il s’en suit un équilibre propre qui émerveille et apaise tout en permettant l’accès aux brisures multiples que l’artiste fait intervenir sur la surface du tableau. Celles-ci prennent la forme de traits, courbes, tâches, lettres, dégoulinement de matière…tout ce qui casse et paradoxalement rétablit l’attrait artistique. Un exercice réel du pouvoir de la plasticité en art. Rayer, obturer, colmater, ajouter… accumulation et retrait.. L’œuvre est alors un devenir perpétuel. Elle essaie de contenir le chaos dont le peintre Zao Wou Ki a dit : «…le pinceau sert à faire sortir les choses du chaos». Comment? En installant la trace, bien évidente comme témoin d’un monde à saisir.
M’barek Housni