Des écrivains à l’heure du Covid-19
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un cataclysme mondial inédit : un spectre viral qui fauche les humains par milliers, un « infiniment petit » qui n’épargne ni homme ni femme, ni noir ni blanc, ni chrétien ni musulman, ni petit ni grand, ni pauvre ni riche.
Nous sommes tous ses victimes. Nous sommes tous ses morts en sursis. Au lieu de céder à l’effroi, à l’hystérie, à la folie, nous nous devons, face à ce ténébreux virus, de recourir à la sérénité, à la méditation, au raisonnement, car nous sommes en pleine guerre contre un ennemi invisible qui frappe partout et sans distinction. Un ennemi microscopique qui traverse les frontières sans passeport ni visa. Un ennemi-passe-mur sans précédent qui se propage à grande échelle. Avec ses laboratoires et ses éminents chercheurs, la Majestueuse Science reste jusqu’à maintenant incapable de le vaincre.
L’armada pharmaceutique, médicinale et technologique n’a pas réussi à avoir totalement raison de lui. Les hôpitaux, tout équipés qu’ils soient, sont saturés. Les masques de toutes sortes sont insuffisants. Les lits de réanimation affichent complet. Pour la première fois, la grandeur des pays puissants se voit défiée par ce micro-organisme couronné. L’homme, si fier de ses exploits scientifiques, se rend compte de sa fragilité et sa vulnérabilité. Il est clair qu’il ne peut rien faire de glorieux ni de chevaleresque face à cette pandémie. Les progrès scientifiques dont il ne cesse de se targuer ont enfin failli à leurs promesses.
Le Covid-19 est là, ubiquiste, qui oblige les habitants de la terre à déserter les villes, à fermer les écoles et les usines, à se claustrer chez eux, à travailler à distance, à se déshabituer de leurs gestes quotidiens, à changer complètement leurs rapports avec leurs semblables, à placer leurs actes, même les plus banals, sous le signe de l’anxiété. On commence à se méfier de sa mère et son père, à s’éloigner de ses frères et ses sœurs, à cohabiter différemment avec son époux (se) et ses enfants. Bref, on craint qu’on soit contaminé par eux ou qu’on les contamine. On se met délibérément sous cloche. Finies les promenades. Terminées les embrassades. Annulées les rigolades. L’humanité est embarquée dans le même navire qui vogue vers l’inconnu et l’imprévisible.
Sur ces entrefaites, plusieurs pays ont pris des mesures drastiques en vue d’endiguer cette épidémie planétaire. Néanmoins, les ruées effrénées de leurs peuples devant les portes des supermarchés, des magasins et des boutiques les rendent malheureusement inutiles. De telles attitudes irresponsables lèvent le voile sur une vérité poignante : seul l’instinct de survie semble dicter les gestes et les réflexes à des gens affolés au temps des crises.
Des gens qui s’abattent par masse sur les grandes surfaces pour s’approvisionner, se remplir les placards et les frigos, s’arrondir la panse. Ils oublient de la sorte qu’ils s’exposent en même temps à la mort irrémédiable à laquelle ils croient échapper. La fatalité du paradoxe !!! On se comporte comme des pantins qui agissent aveuglément, des automates qui répètent à longueur des journées les mêmes actes. Partout dans le monde, en Europe, en Amérique, en Asie, en Afrique, nous assistons aux mêmes scènes, filmées en direct, qui témoignent de la barbarie de ces prétendus «Civilisés», chez qui la raison s’est rétrécie comme une peau de chagrin. Ici, des hystériques, en file indienne, poussent des caddys à ras bord, se bousculent, se frottent, se parlent, faisant ainsi fi des gestes barrières recommandés par l’OMS. Là des enragés pullulent, s’attroupent autour des étals des poissonniers et des bouchers. Hystériques et enragés qui ne prennent pas au sérieux la gravité de la situation.
Hystériques et enragés qui ferment l’œil sur la courbe des morts et des victimes toujours ascendante. Hystériques et enragés qui se jouent indifféremment de leur vie et celle des autres.
A la «Bête» pandémique, on répond par la «Bêtise» humaine. Au lieu de se prémunir contre le Mal avec lucidité et courage, on s’y est opposé tout nu, désarmé et trop faible. Le malheur des hommes aujourd’hui revient à la légèreté avec laquelle ils ont traité, depuis ses débuts, de cette épidémie. Ils l’ont mal considérée, mal comprise, mal interprétée. Ils l’ont prise pour une simple grippe qui allait passer à tire-d’aile, sans laisser de victimes ni de dégâts.
Malgré les mesures restrictives auxquels les humains sont contraints pour éviter le pire scénario, ils continuent de sortir, se réunir, s’attabler aux cafés, emprunter les transports en commun, s’embrasser, se mettre à l’étroit, aller aux stades et aux salles de cinéma, assister à des concerts, faire la prière ensemble, etc. Il y a quatre siècles déjà, Pascal disait : «tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre».
Aujourd’hui, avec se qui se passe, on pourrait dire que le malheur des hommes vient de ce qu’ils ne peuvent pas se confiner chez eux. Ils n’ont pas conscience du danger qui les guette tous azimuts et qui attend le moment propice pour s’abattre sur eux. Le coronavirus profite de la Bêtise humaine. Comme la définit Henri de Montherlant, «La Bêtise, ne consiste pas à n’avoir pas d’idées; cela c’est la Bêtise douce et bienheureuse des animaux, des coquillages et des dieux. La Bêtise humaine consiste à avoir beaucoup d’idées, mais des idées bêtes». (P63) A cause de leur Bêtise, les Italiens, les Espagnols, les Américains, les Français, les Iraniens, pour ne citer que ces exemples flagrants, ont payé trop cher.
Chaque jour ils comptent leurs morts par centaines et se trouvent souvent dans l’obligation de les enterrer dans des fosses communes, sans nulle possibilité de leur faire des adieux ou les accompagner à leurs dernières demeures. L’indifférence d’un instant et les caprices à fleur de peau, voilà ce qui a donné lieu à des drames humains sans exemple.
Covid-19 semble nous parler directement, au-delà de toute menace létale. Cessez de courir ! Arrêtez-vous un peu ! Regardez bien en face ce qui advient de vous! Posez-vous des questions pour en déceler les causes ! Réfléchissez à votre nouveau Destin ! Fin du monde ? Début d’une nouvelle ère ? Vous, hommes vaniteux, allez trouver les bonnes réponses ! Après l’agitation, la méditation survient. S’impose. Devient nécessité.
L’une des leçons que nous pouvons tirer de cette pandémie est que la machine néolibérale a bel et bien grippé. Les dieux de la Bourse mondiale sont pris de court par ce virus qui a bouleversé de fond en comble leurs calendriers marchands et financiers. Le système capitaliste-anti-humain a reçu un coup de massue si bien qu’il est appelé, plus que jamais, à revisiter et corriger son idéologie mondialiste. Edifiante leçon : l’homme doit nécessairement passer avant l’argent. L’heure actuelle est à la solidarité et à l’altruisme, non au profit et à l’égoïsme.
Au demeurant, le confinement, auquel nous sommes condamnés ces jours-ci, peut s’avérer, dans une certaine mesure, bénéfique. Il est une opportunité inouïe de remettre de l’ordre dans nos idées, nos calculs, nos projets, nos relations, notre vision des choses ; une opportunité de repenser ce passé récent et heureux qui fuit sans espoir de retour, et que nous commençons à regretter avec amertume. Temps de répit et de dépit, le confinement nous pousse à nous ressaisir, nous remettre en cause et mener une réflexion sur cette vie agitée et mouvementée où nous nous sommes laissé embarquer de plein gré, sans nous en délecter le moins du monde, sans en voir les bons côtés.
Nous confiner : une ligne de démarcation, voire de rupture, entre un Avant et un Après. Désormais, nous ne pourrons ni penser ni sentir ni vivre comme autrefois. A n’en point douter, beaucoup de choses ont changé, complètement ou partiellement, dans la vie de tout un chacun.