My Seddik Rabbaj: «l’autre n’est pas toujours l’enfer»

Des écrivains à l’heure du Covid-19

Qui aurait pensé qu’un jour les rues du monde se trouveraient désertes, sans aucun chaland mirant les vitrines, sans aucune boutique ouvrant grand ses portes, sans les bousculades devant les arrêts d’autobus… Des rues tout juste bonnes à accueillir le vide et un silence mortel.

Qui aurait été capable de tenir les gens reclus en cette saison, les laissant suivre l’éclosion du printemps par les seules exhalaisons des plantes du jardin voisin ou la vue des fleurs multicolores dans les pots, sur les balcons.

Qui aurait pu mettre tous les pays du monde, riches comme pauvres, sur le même degré de peur, annihilant toute suprématie économique, tout avantage militaire.

Qui aurait pu déterminer le président français Emmanuel Macron à déclarer son pays en état de guerre, tout en faisant comprendre que cet ennemi invisible surpassait son armée en puissance.

Qui aurait pu pousser Boris Johnson à dire aux Anglais que le glas sonnait pour eux et qu’ils devaient se préparer à faire leurs adieux à leurs familles.

Qui d’autre que le Covid 19?

Lui seul a été capable de tout cela et de tant d’autres choses que ces quelques lignes ne prétendent pas toutes décrire. Le coronavirus, cette chose microscopique, a bousculé toutes les habitudes. Les comportements qui faisaient partie de l’ordinaire ne se font plus ; ou autrement. Des actes banals du quotidien ont déserté nos jours sans que nul ne sache à quelle date ils reviendront. Il n’est plus possible de savourer son breuvage dans le café que l’on aime, plus possible de serrer la main d’un ami ni d’embrasser la tête d’une mère, plus possible de voyager ni de quitter son lieu de résidence.

Je ne sors pas du lot, je suis confiné comme la majorité des habitants de ce monde aujourd’hui. Je réalise que l’autre n’est pas l’enfer comme le qualifie Jean Paul Sartre, mais plutôt le paradis. Exister sans pouvoir se réaliser à travers les autres est dur à supporter. Le confinement est pour moi un moment de méditation, un moment pour redéfinir l’existence, faire attention aux choses considérées comme dépourvues de toute originalité.

J’ai perdu beaucoup d’habitudes mais j’en gagne d’autres. Le café a toujours été pour moi le lieu de travail par excellence. Je délaissais le confort de mon bureau pour aller occuper une table, toujours la même, et passer une demi-journée à lire ou à écrire. Je suis un écrivain méthodique et tous mes livres, c’est au café que je les ai écrits, si loin du confinement.Ce privilège m’est retiré pour le moment et cela n’est pas sans conséquences.

Le café que je prends sur mon balcon – qui me permet d’admirer le coucher du soleil auquel je ne faisais pas attention ordinairement – n’a pas le même goût, il lui manque un petit quelque chose ; peut-être le bruit du percolateur ou le regard des autres clients qui me connaissent et me respectent parce qu’ils savent que j’investis tout mon temps libre dans une activité qui ne me rapporte pas grand-chose, contrairement à d’autres ou encore les regards des passants étonnés de me voir exhiber un livre dans un univers où cet objet, pour eux, n’a pas sa place…

Mes promenades, la marche, manquent à mon quotidien, les odeurs du restaurant où j’emmène ma petite famille de temps à autre me font défaut.

Pourtant je me dis qu’il faut agir comme les Japonais lesquels, lorsqu’un récipient en porcelaine se casse, le réparent en collant les parties l’une à l’autre avec de l’or, faisant ainsi une œuvre d’art d’un objet destiné au rebut. Il faut dans de telles situations de claustration extraire «Les fleurs du mal», comme dit Baudelaire. J’ai facilement renoué avec la lecture à domicile. J’ai sorti des livres que je gardais depuis des lustres et je m’y suis plongé. Franchement, je ne sens pas le temps passer et je ne n’arrive jamais au bout du programme que je me suis fixé pour la journée.

Une seule vie d’écrivain ne suffirait pas à connaître tout ce qui s’est écrit, même juste ce qui s’écrit actuellement. Quant à renouer moi-même avec l’écriture, le chantier est en instance. Je relis de temps à autres quelques nouvelles que je voudrais rassembler dans un recueil, mais sans certitude.

Pour les suggestions de livres à faire aux lecteurs, je reste dans la littérature marocaine qui est à mon sens une pierre comme d’autres de la littérature universelle. Je propose «Hot Maroc» une belle traduction du roman de Yassin Adnan et «Dounia» une excellente pièce de théâtre de son frère jumeau Taha Adnan.

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