«Masqués mais pas muselés»
«Finis les applaudissements, place aux rassemblements»: après trois mois de crise sanitaire, médecins, aides-soignants et infirmiers ont battu le pavé par dizaines de milliers mardi un peu partout en France pour rappeler le gouvernement à ses promesses sur l’hôpital, mais des affrontements ont terni la manifestation parisienne.
Les soignants, en majorité des infirmières, sont sortis en bloc: 18.000 à Paris, au moins 4.000 manifestants à Bordeaux et 3.500 à Marseille , 2.600 à Montpellier, 1.500 à Caen, 1.300 à Rennes, mais aussi 800 à Gap, 1.200 à Chambéry, 1.300 à Ajaccio, 2.400 à Tours, 5.500 à Nantes et 6.000 à Lyon, selon la police.
A Paris, où le cortège de plusieurs milliers de personnes parti du ministère de la Santé a rejoint en milieu d’après-midi l’esplanade des Invalides, des échauffourées ont éclaté en fin de parcours.
Les forces de l’ordre répliquaient à des jets de projectiles par des tirs de gaz lacrymo, des bouts de trottoirs ont été lancés contre les forces de l’ordre et entre 100 et 200 manifestants violents, parmi lesquels des «antifas» et blackblocs, étaient impliqués, selon un journaliste de l’AFP. Des véhicules ont aussi été renversés, selon la préfecture de police qui faisait état sur Twitter de «groupes violents tentant de faire dégénérer la manifestation pacifique des soignants».
Une infirmière, soutenue par des collègues, s’en est prise, en larmes, à ces manifestants: «Vous avez mis notre manif en l’air, vous êtes des cons!». «On nous a volé cette manifestation par la force», a déploré sur BFM TV Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), se disant «totalement écoeuré».
La police faisait état à 16H00 de 16 interpellations. Des affrontements entre personnes encagoulées et police ont également eu lieu à Lille, en marge du cortège auquel participait la maire sortante Martine Aubry (PS).
Plus de 220 rassemblements étaient prévus dans le cadre de cette journée d’action nationale, organisée à l’appel d’une dizaine de syndicats et collectifs de soignants (CGT, FO, Unsa, SUD, Collectif Inter-Hôpitaux…). Les premières manifestations autorisées dans le pays depuis l’entrée en vigueur du confinement il y a trois mois.
Objectif: mettre à profit le soutien engrangé auprès de la population pendant la crise sanitaire afin d’obtenir des avancées pour les salariés des hôpitaux et des Ehpad, salués comme des «héros en blouse blanche» par le chef de l’État au début de l’épidémie.
Les premiers gages de la «reconnaissance» promise par l’exécutif sont pourtant loin d’avoir convaincu les intéressés: «On ne veut pas de médaille ou de petite prime à la sauvette, on veut un salaire à la hauteur de ce que nos métiers apportent à la société», affirme Clara Grémont, aide-soignante près de Montpellier.
«Monsieur Macron, qu’avez-vous prévu pour les soignants ? Pour l’instant, nous n’avons rien du tout !», a lancé le professeur Laurent Thines devant la foule à Besançon, avant de demander «une minute de silence pour les personnels soignants qui sont morts en France de l’incurie de ce gouvernement qui n’a pas su protéger».
A Strasbourg, qui fut au centre de l’épidémie de Covid, la police a compté 4 à 5.000 manifestants, qui ont défilé derrière un véhicule d’unité médicale spécialisé, toutes sirènes hurlantes. «Les conditions dans lesquelles on a travaillé pendant la crise du Covid ne sont pas normales… On n’avait pas de moyens, pas de masques, pas d’informations», déplorait Mélanie, infirmière dans le nord de l’Alsace.
«La crise du coronavirus a montré les failles de notre système mais on a fait face, on n’avait pas le choix», explique Charlotte Dumont, infirmière puéricultrice à Bordeaux, pour qui «le problème de fond, c’est qu’on gère l’hôpital comme une entreprise».
Après plus d’un an de grève aux urgences, puis dans l’ensemble des services hospitaliers, les revendications n’ont pas changé: «On attend une revalorisation des salaires et la reconnaissance des qualifications. On attend l’ouverture de lits, l’embauche de personnels», a rappelé le numéro un de la CGT, Philippe Martinez, présent au début du rassemblement parisien.
Autant de sujets posés sur la table du «Ségur de la santé», vaste concertation lancée fin mai par le gouvernement et pilotée par Nicole Notat, qui doit concrétiser d’ici début juillet le «plan massif d’investissement et de revalorisation» promis par Emmanuel Macron.
«Il faut
absolument que les réponses soient à la hauteur des attentes» a prévenu le
secrétaire général de Force ouvrière, Yves Veyrier, lui aussi présent dans la
capitale.
Dans la cité phocéenne, le chef de file des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon, ne voyait
pas l’intérêt de ces discussions: «A quoi bon faire un Ségur de la santé? Vous
pensez qu’on ne sait pas ce dont on a besoin à l’hôpital public?».
D’autres secteurs réclament également leur dû, comme les établissements médico-sociaux, où la CFDT a déposé un préavis de grève mardi. Son secrétaire général Laurent Berger a appelé sur RFI à «se préoccuper des agents de la santé du privé, qui ont aussi été au front pendant cette période».
Croisés aussi dans les cortèges: Amélie Mebanda, aide à domicile à Grenoble, qui se demande «pourquoi (son) métier n’est pas reconnu comme les autres» ; Stéphane Colleu, ambulancier au Smur de Rennes, qui souhaite «être considérés comme (les) soignants ; Denis Dicop, pompier à Pithiviers, venu soutenir les soignants à Orléans car «on est tous à la même enseigne, c’est-à-dire déplorable».
Le ministre de la Santé Olivier Véran s’est toutefois voulu rassurant lundi sur LCI: «On travaille, on avance», a-t-il déclaré, en indiquant que «plus de cent consultations au niveau national» avaient été effectuées depuis le début du «Ségur».
Concernant les hausses de salaire promises dans le cadre du Ségur, «le rendez-vous est fixé» avec les soignants, a par ailleurs rappelé lundi Olivier Véran. «D’ici à début juillet ils auront toutes les réponses aux questions qu’ils posent et aux revendications qu’ils portent légitimement».