Par Sami Zine
Les institutions qui prennent leur décision par vote admettent naturellement la polyphonie des voix, et donc l’existence parfois d’avis et de voies non unanimes pour traiter et résoudre les questions qui leur sont soumises. Le conseil national de la concurrence, à l’instar de la cour constitutionnelle, en fait partie.
La formule collégiale de cette instance de régulation et son mode de fonctionnement basé sur le dialogue et la coopération entre les membres garantissent, d’une part, la liberté d’expression à chacun, et d’autre part, permettent à l’avis de la majorité de faire autorité.
L’expression de la dissidence en son sein par des membres nommés intuitu personæ traduit en fait leur indépendance et garantit l’écoute de leur différence. Cette opinion dissidente ne doit pas, cependant, nuire à l’harmonie institutionnelle ou plus grave porter préjudice à son intégrité.
Dans ce contexte, que faut-il penser de la démarche audacieuse, risquée et lourde de conséquences, entreprise par une minorité de membres du conseil, 5 sur 13 dit-on, qui a envoyé une fiche au Roi pour récuser l’ensemble du processus décisionnel – de l’instruction du dossier au vote, et remettre en cause la probité et l’intégrité de leur président.
La volte-face est audacieuse car elle est le fait de personnes assermentées qui ont préféré s’adresser au chef de l’État, responsable du respect du bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, au lieu d’enregistrer leurs griefs et leur avis dissident dans la décision.
La démarche est risquée parce que cette minorité demeure justement une minorité, qui de plus, avait participé au vote de la première décision d’appliquer des amendes différenciées aux entreprises convaincues d’entente sur les prix, et dont l’attitude laisse supposer une inclination pour la défense des entreprises incriminées qui, soit dit en passant, disposent de toute la latitude pour exercer un recours devant la justice pour contester la décision du conseil.
Elle est lourde de conséquences parce qu’elle charrie le risque de faire imploser l’équipe actuelle, ajourner la publication de la décision et faire disparaître son impact toxique sur une composante du champ politique.
Le conseil national de la concurrence, qui revient d’une longue léthargie n’avait pas besoin de ce scandale. A l’évidence, son référentiel opérationnel et sa charte éthique n’ont pas résisté à la première affaire sérieuse de pratiques anticoncurrentielles. Pourtant, les ententes sur les prix des hydrocarbures constituent un sujet banal et récurrent des agences nationales de la concurrence de par le monde, et les procédures pour leur traitement sont archi-connues. L’argumentaire sur les preuves directes et/ou indirectes de la collusion est abondant, et les exemples de décisions avec des sanctions pécuniaires et même pénales se comptent par dizaines.
Il faut espérer que nous soyons en face de maladresses de jeunesse (non-respect de l’avis majoritaire, fuite d’informations confidentielles et recul choquant sur une décision votée) dont la correction devrait renforcer l’expertise des membres et l’indépendance de l’institution, et non en présence d’une manœuvre pour jeter le discrédit sur le conseil et la majorité de ses membres et provoquer son gel temporaire pour retarder la sanction économique exemplaire et éliminer la secousse subséquente du champ politique.