Le risque d’une reprise de l’épidémie est très sérieux

Ouardirhi Abdelaziz

Depuis plusieurs semaines, la ville ocre, Marrakech enregistre de plus en plus de nouveaux cas de covid 19, occupant de fait la 2e position après Casablanca. Une situation qui ne peut nous laisser insensible et qui nous interpelle tous, et ce au moment où un relâchement des bonnes attitudes, des consignes de sécurité et des gestes barrières est observé.

Aujourd’hui, face à la situation sanitaire préoccupante, faisant craindre le risque d’une reprise de l’épidémie covid-19, les autorités n’ont d’autres choix que de procéder avec rigueur et fermeté face aux agissements et comportements irresponsables de certains citoyens qui ne respectent pas les consignes de sécurité, de prévention et de lutte contre le nouveau coronavirus covid-19.

Mais il faut reconnaître que la vie est difficile et que  les citoyens se trouvent tiraillés entre la nécessité d’agir, de circuler, de chercher leurs moyens de subsistance, de se retrouver entre amis et familles,  et celle de limiter la propagation du coronavirus.

Cette réalité amère et difficile questionne notre capacité à modifier nos comportements, nos actions et agissements individuels pour privilégier  l’intérêt général. C’est une question de prise de conscience collective, de solidarité et de civisme qui concerne toute notre population.

Marrakach est une ville qui a toujours donné l’exemple, le bon exemple, et ses habitants sont tous conscients des enjeux sanitaires et socio-économiques, que la lutte contre la covid-19 est l’affaire de tous.

Nous avons contacté le professeur Ahmed Rhassane El Adib, spécialiste en anesthésie-réanimation au CHU Mohammed VI de Marrakech.

Un professionnel de santé pleinement dévoué à son noble art, qui est en première ligne depuis le début de cette crise sanitaire majeure.

Le professeur Ahmed Rhassane El Adib nous parle à cœur ouvert au sujet de l’épidémie, de toutes ses facettes et en tant que scientifique et de médecin du terrain,  il expose au cours de cet entretien, une réflexion pertinente, regroupant quelques points très importants, prioritaires et partageables.

Professeur Mohamed Ghassan El Adib, spécialiste en anesthésie réanimation

«Les procédures de diagnostic, de traitement et de suivi des patients ne sont plus adaptées à la situation épidémiologique actuelle».

Que pouvez-vous nous dire au sujet de cette flambée des cas et de décès?

Nous vivons une deuxième phase épidémiologique, marquée par l‘augmentation du nombre de décès et de patients pris en charge en Soins intensifs et en Réanimation (meilleurs témoins de la vraie situation épidémique), avec une très forte pression sur notre système de santé. À titre indicatif, rien qu’à Marrakech ou j’exerce, environ 50 patients sont actuellement hospitalisés dans les 5 services de réanimation du CHU dédiés à Covid et plus de 100 patients dans les services et l’hôpital de campagne dédiés aux patients de soins intensifs sans compter les autres dizaines qui sont à l’hôpital Ibn Zohr et la clinique CNSS. Leur point commun le plus important, comme dans les différentes structures du royaume, est le retard de traitement approprié.

Cette situation épidémiologique actuelle, qui va évoluer et s’élargir, impose l’instauration sur le plan national de mesures accélérées (qui tardent à venir) pour pouvoir éviter l’aggravation de la situation et l’augmentation d’avantage de la mortalité.

Quels sont les écueils sur lesquels bute la gestion e cette épidémie?

En dehors de la problématique de respect des mesures de prévention, il apparaît clairement que les procédures de diagnostic, de traitement et de suivi des patients ne sont plus adaptées à la situation épidémiologique actuelle…

Celle – ci se heurte à des ressources humaines démotivées  , et de plus en plus malades , des circuits de diagnostic et de traitement inappropriés , une difficulté d’accès aux tests pour les patients symptomatiques avec retards des résultats, au non bénéfice des traitements de référence, et au suivi des patients et des contacts non optimisé…

Selon votre propre expérience, comment peut – on remédier a cette situation?

Il convient de réagir en urgence en adoptant une stratégie intégrée de contrôle de cette deuxième phase de l’épidémie, qui, à mon avis, doit s’articuler autour de quatre axes fondamentaux: la prévention, le diagnostic, le traitement et la gouvernance.

Premièrement, il faut éviter la création de lieux de contagion au sein du système de santé, tout rassemblement dans les structures de soins (ex : établissements de soins de santé primaires, services des urgences…) doit être évité à tout prix, en privilégiant la téléconsultation et la télémédecine, et en renforçant les centres d’appels notamment les SAMUs, en ressources humaines et en procédures claires avec des circuits tenant compte des spécificités régionales.

Deuxièmement, en ce qui concerne le diagnostic, il faut augmenter d’avantage la capacité en tests RT-PCR avec une distribution territoriale en fonction de la situation épidémiologique permettant leur rationalisation, le diagnostic précoce des malades, et la rapidité des résultats. En effet, des études scientifiques récentes confirment que l’épidémie ne peut être contrôlée si les résultats des tests ne sont pas rendues en moins de 48 heures, chose qui n’est pas le cas actuellement un peu partout pour plusieurs raisons…

Quel regard jetez-vous sur les résultats qui sont annoncés quotidiennement?

il faut avouer que les chiffres annoncés quotidiennement sont conditionnés par le nombre de tests effectués,  et donc ne reflètent pas la réalité de la situation épidémiologique, puisque énormément de patients n’ont pas accès aux tests ou évitent de se faire tester.

Les résultats traduisent une situation antérieure, et 30% des tests ont des résultats négatifs alors que la maladie est bien présente, alors que nous pouvons facilement poser le diagnostic cliniquement et avec le scanner, ce qui impose le changement urgent de la définition de la maladie.

Un exemple criant de l’urgence de l’actualisation de la définition est le nombre de patients sévères et critiques déclarés qui ne reflète aucunement le nombre réel puisque la majorité des patients hospitalisés dans les services de soins intensifs et réanimation Covid sont hospitalisés sur des critères cliniques voire scannographiques avant la réalisation des tests ou même si les résultats sont négatifs.

Comment peut-on procéder pour augmenter le nombre de tests?

Pour augmenter le nombre de tests effectués quotidiennement, il faut les produire au niveau national, ouvrir de nouveaux laboratoires, renforcer les capacités des laboratoires, fonctionnant actuellement à plein régime, par des ressources humaines formées, engager le maximum de laboratoires privés avec des incitations et des financements dans le cadre de l’assurance maladie et mise à disposition de certains laboratoires mobiles et mobilisables rapidement dans les zones à forte épidémie.

Il faut également créer des procédures et des mécanismes pour prioriser et accélérer les résultats des patients présentant des symptômes.

Les tests devraient également être rapprochés au besoin des citoyens et des zones et quartiers de clusters épidémiologiques en créant des centres de proximité (même sous forme de tentes), en laissant les établissements de soins de santé primaires pour leurs fonctions de vaccination, et de suivi des femmes enceintes et des maladies chroniques.

Concernant les tests sérologiques rapides, ils ne sont pas valables pour le diagnostic initial, car leur résultat est négatif si le patient est dans les premiers stades de la maladie, puisqu’ils ne se positivent que 10 jours ou plus après l’infection.

Ils ne peuvent donc être utilisés que pour les patients qui consultent tardivement, comme les patients en réanimation par exemple, pour le diagnostic de rattrapage, dans le cadre des enquêtes épidémiologiques, ou dans le cadre du dépistage dans certaines professions telles que les professionnels de la santé, l’industrie, l’éducation, etc.

Ces tests ont une faible sensibilité et risquent de négliger des vrais patients ou des personnes contagieuses. Ils doivent donc être utilisés correctement dans leurs indications, selon des protocoles clairs et scientifiquement validés (tels que ceux que nous avons émis à travers les recommandations de nos sociétés savantes  SMAR et SMMU.

Qu’en est – il au sujet du traitement?

Un traitement précoce est le meilleur moyen de réduire la contagion, les cas graves et les décès. Rappelons-nous, lorsque notre système de santé a été efficace en juin, le taux de létalité était de 0,2 %.

On remarque que beaucoup de patients perdent beaucoup de temps en va et vient entre les différentes structures sans bénéficier en temps opportun des médicaments nécessaires (selon le protocole national),

Donc pour pallier à ces retards et réduire la mortalité, il est impératif d’instaurer rapidement des modalités de traitement précoce, qui ne peuvent en aucun cas réussir sans implication des médecins de premier recours des 2 secteurs, public et privé. Dans la prescription de ce traitement, selon le protocole national adopté, cette prescription doit respecter les conditions de déclaration obligatoire de maladie, protocole de suivi, remboursement par l’assurance maladie …

Aussi, la délivrance des médicaments du protocole national doit être possible à la fois dans le secteur public que dans les pharmacies.

En ce qui concerne le traitement à domicile, il doit être soumis à deux conditions de base :

la première est de n’inclure que les cas qui ne présentent pas de symptômes ou se plaignent de symptômes mineurs et qui ne souffrent pas de maladies chroniques.

La seconde est de s’assurer que le patient a la possibilité de s’isoler à domicile, car il n’est pas possible d’orienter un patient ou un porteur dans un domicile ou il ne peut pas être isolé.

D’autre part, le traitement à domicile suppose automatiquement qu’il existe une capacité à suivre les patients au moins par téléphone, ce qui est impossible à réaliser uniquement par le secteur public, vu la situation épidémiologique actuelle.

Dans la prise en charge des malades, il y a un problème récurrent, celui des services de réanimation. Que pouvez – vous nous dire sur ce sujet?

En effet, votre question est pertinente, il faut savoir que la problématique des réanimations n’est aucunement liée au nombre de lits ou aux équipements, mais surtout aux ressources humaines compétentes dans ce domaine, et avec les 200 médecins réanimateurs anesthésistes et médicaux du secteur public, déjà mal répartis au niveau national, certaines régions vont avoir des difficultés insurmontables pour la prise en charge et de la Covid, du non Covid, dans les maternités, urgences, chirurgies…

Un autre point majeur pour la prise en charge, est le renforcement des capacités des services d’aide médicale urgente SAMU, essentiellement en ressources humaines (déjà en manque criant de médecins spécialistes ou qualifiés en Médecine d’urgence), à la fois pour la régulation des appels médicaux, pour les interventions rapides et pour le transport, avec une coordination et un partenariat entre les secteurs public, privé et la protection civile…

Il faut également tenir compte de la préservation des professionnels de la santé, en assurant leur protection au maximum, s’en occuper rapidement et correctement s’ils contractent la maladie et les accompagner pour récupérer rapidement leur santé et leurs postes.

Un mot pour conclure

Pour conclure, je dirai tout simplement que la bonne gouvernance reste la condition majeure pour contrôler l’épidémie, à travers la mise en place urgente de comités régionaux de gestion médicale de la crise (Task Force) , impliquant tous les secteurs (militaire, administration territoriale, public et privé…), composés d’experts du terrain, et impliquant les ordres professionnels pour l’application et le contrôle.

Il faut également s’appuyer sur les recommandations et les protocoles scientifiques et contextualisés à notre pays, élaborés par les experts des sociétés savantes nationales. Je donne juste l’exemple de la polémique actuelle concernant la rentrée scolaire, ou la démarche devait se baser d’abord, sur un avis scientifique médico-psycho-social (comme élaboré par nos sociétés savantes nationales des sciences médicales, de pédiatrie et de pédopsychiatrie), et l’application par une adaptation territoriale, en fonction de la situation épidémique de chaque localité, en se basant sur des données épidémiologiques fiables et implication des compétences pédagogiques et sanitaires de proximité.

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