Leïla Bahsaïn, de la lecture à l’écriture
Noureddine Mhakkak
Leïla Bahsaïn est née à Salé. Elle vit en France depuis une quinzaine d’années. Diplômée de l’ISCAE et d’un Master 2 en management obtenu à l’IAE de Besançon dont elle est sortie Major de promotion, elle a travaillé dans la communication et les ressources humaines. Leïla Bahsaïn a publié des nouvelles dans le Magazine littéraire du Maroc et dans la revue Apulée (Ed. Zulma). Son roman Le Ciel sous nos pas (Ed. Albin Michel 2019) a notamment été récompensé par le Prix Méditerranée (catégorie premier roman), et a été finaliste du Prix du Roman France Télévisions et du Prix de la littérature arabe. Son prochain roman paraîtra en mars 2021 aux éditions Albin Michel.
Ici une interview avec elle. Bonne lecture
– Que représentent les arts et les lettres pour vous ?
Les arts et les lettres sont le mode de connaissance du monde le plus vaste qui soit. À mon sens, c’est le plus essentiel, car il est fait non seulement de savoirs mais aussi d’émotions. Et par sa dimension illimitée, ce champs- là nous permet de dépasser les contraintes de la finitude humaine. Quand les arts et les lettres sont marginalisés, tout le reste échoue.
C’est aussi ce qui agrandit notre regard, élargit notre perception de ce qui nous entoure. L’art et la culture sont une expression de notre imaginaire et de notre mémoire collective, qu’elle concerne une zone géographique donnée ou plus globalement notre mémoire universelle. Sans cela nous serions perdus. Ils nous offrent un témoignage de ceux qui nous ont précédés, nous aident à mieux appréhender la vie, explorer et expérimenter d’autres possibilités. L’art pariétal des grottes de Chauvet, les chants de la Tassaout, ou le cinéma de Youssef Chahine, peuvent changer notre rapport au monde et aux autres. Opérer une transformation de notre sensibilité humaine et à partir de là changer le monde.
– Que représente l’écriture pour vous?
Le seul espace de liberté pleinement possible. Une liberté absolue. L’écriture littéraire concerne une dimension du langage qui est capable d’exprimer l’ineffable. Me risquer à cette forme «extrême» du langage, c’est cela qui m’intéresse. Transcender le réel aussi.
Aujourd’hui, je peux dire que l’écriture est mon activité «naturelle». C’est une nécessité, et c’est d’un enjeu d’équilibre qu’il est question lorsque j’écris. Elle est aussi indissociable de la lecture.
On ouvre de nouvelles portes, on explore un monde. C’est un voyage pour soi dont on restitue l’expérience et les apprentissages, à tous ceux qui accepteront de partager cette aventure avec nous. Je ne connais pas de plus haute expression de sincérité, d’authenticité.
– Parlez-nous des villes que vous avez visitées et qui ont laissé une remarquable trace dans votre parcours artistique?
Salé, la ville où je suis née. J’y ai passé mes huit premières années. De nombreux artistes ont des attaches avec cette ville. La mer, le fleuve Bouregreg, et ce point de vue sur les Oudayas de Rabat doivent y être pour quelque chose. Enfant, le passé corsaire de la ville me fascinait, et stimulait mon imagination.
Marrakech, la ville où j’ai grandi m’inspire beaucoup aussi. La lumière qui y règne, son côté flamboyant. J’y ai appris cette verve et cet humour qui caractérisent les marrakchis. J’y retourne souvent car j’ai co-fondé une association pour l’alphabétisation des femmes dans la province de Mejjat-Chichaoua.
Je crois en l’énergie des lieux. Quand j’écris, je me nourris beaucoup des vibrations associées à mes souvenirs de certains endroits. J’y retourne mentalement et émotionnellement.
En France, où je vis, j’habite près de Besançon. J’aime cette ville et elle me le rend bien. Besançon est un exemple parfait d’équilibre réussi entre la nature et la cité.
La ville de Sète m’a appelée plusieurs fois vers elle. J’y ai trouvé des similitudes avec Salé. Des sensations, l’odeur saline… Sur le port, on voit les ferries en partance pour Tanger. J’y vois comme un trait d’union entre mes deux rives.
– Pour qui écrivez-vous ?
Quand j’écris, je ne pense pas à un destinataire potentiel. Seul l’acte d’écrire compte. Ecrire n’est pas publier. Quand arrive la publication, j’offre le texte à l’autre que je ne connais pas. Tous ceux qui, semblables ou différents, proches ou éloignés de mon univers acceptent de partager un moment, et d’embarquer dans mon monde. Si mon texte peut les aider, les divertir, les consoler ou les émouvoir, alors cela m’apporterait une satisfaction.
– Parlez-nous des livres que vous avez déjà lus et qui ont marqué vos pensées.
Tous les livres que je lis laissent une trace en moi. A certains moments de ma vie, je peux y puiser une sagesse salutaire, ils peuvent influencer ma vie. Pour mon plus grand bonheur, ils sont nombreux et je continue d’en découvrir.
Par exemple, «Johnny s’en va-t’en guerre» de Dalton Trumbo m’a fait ressentir avec une rare puissance l’atrocité de la guerre. Quand on a lu ce livre, je doute fort que l’on puisse soutenir autre chose que la paix dans le monde.
«Une chambre à soi» de Virgnia Woolf m’offre une compréhension des enjeux de la création au féminin.
«Miramar», le roman de Naguib Mahfouz (dont j’aime toute l’œuvre) m’a marquée par son histoire et son style. Plus jeune, j’ai pensé écrire à Naguib Mahfouz pour lui demander pourquoi le personnage principal, Zohra, ne prenait pas la parole dans le livre. Avec le temps, j’ai fini par trouver une réponse.