Soumia Mejtia
Je m’étais retrouvée à m’inquiéter encore et j’entendais les rumeurs dites à haute voix, ou pensées discrètement, qu’un dégoût profond a gagné tous les gosiers. Nous étions déjà les ennemis de nous-mêmes avec tout ce que nous portons de pessimisme en nous et à présent, sans demi-mesures, nous délibérons de la fin d’un monde et de la naissance d’un autre.
Désespérément, nous nous précipitons à sentir la peur dans la pensée, car nous sommes sûrs que nous sommes informés de ce qui se passe réellement sans la moindre suspicion.
Et puis, j’entends la rumeur qui établit avec beaucoup de conviction une causalité coupable et un effet punitif.
Parfois, j’entends un affreux gémissement intérieur de la part de ces personnes qui ne peuvent se prononcer, ils ont peur de dire les choses car ils refusent de savoir. J’ai entendu aussi les rumeurs des résolutions qui disposent l’esprit à penser la vie dans un système rigoureux, régi surtout par la peur.
Par moment, j’entends des pensées joyeuses. Fussent-elles incertaines, elles ne contredisent pas la réalité des choses, car ces pensées émanent d’un esprit qui pense fièrement que «la constance n’est pas humaine».
Nous sommes en train de vivre collectivement un état de choses. Nous nous sommes retrouvés dans le carrefour des simultanéités. Chacun vit sa simultanéité selon son aptitude à faire le choix entre vivre l’état des choses dans la rapidité propre au sentiment de la peur, ou dans la lenteur de l’élévation de l’esprit qui chasse le provisoire de la temporalité.
Toutefois les deux catégories souffrent, la première d’une souffrance réglée sur l’information quotidienne, et la seconde souffre de sa résilience.
Nous avons été dans la proportion de l’inhabituel, nous avons perdu de notre tranquillité qui se remplace mutuellement par un courroux à propension chronique.
J’ai entendu cette voix courroucée qui dit ambigument le présent, elle s’interroge indignement sur l’avenir, l’avenir qui s’apparente avec le passé antérieur, qui était aussi courroucé mais autrement, qui avait un habitus dont nous avions perdu la tranquillité.
Suis-je en train de tomber dans l’outrage de ce que nous éprouvons tous aujourd’hui ?
L’outrage est de cesser de sentir le monde tel qu’il se présente à nous. Le monde nous exhorte à l’écoute, à l’écouter. D’ailleurs, consentir dans l’unanimité à être dans la reddition de notre tranquillité fait que nous devons arrêter de nous occuper de la parole. Car, le monde, pas celui qui se lit dans une moitié de mot, le monde vrai ne nous parlera que si nous l’écoutions au plus profond de nous.
Ce monde ne peut pas nous répondre, ou nous révéler quoi que ce soit. Il ne peut pas parler alors que nous ne l’écoutons pas, que nous n’acceptions pas la discussion et la controverse, ça ne servira strictement à rien. Il nous faut peut-être une renaissance sensitive. Mais d’abord, il faut renouer avec l’intuition : le grand sens qui agrémente tous les sens. Nous serions certainement rassérénés, car nous aurions cette force nerveuse qui nous pourvoira de la connaissance d’agir.
A chaque fois que j’écoute un texte philosophique, littéraire ou poétique, je ne me rappelle pas ce qui a été écrit, mais je me rappelle ce que j’ai ressenti en écoutant lire, je me retrouve dans la mémoire du ressenti et non dans la mémoire du mot. Je me soumets ainsi à l’expérience de l’ouïe pour discerner l’invisible des mots. Ce n’est pas trompeur, car nous sommes dans l’apprentissage de savoir séparer le bon grain de l’ivraie et, ainsi, pouvoir chasser les idées alambiquées et assombries par les mots que nous ne savons pas écouter.
Il grogne dans notre souterrain certes ! Pourrions-nous déchiffrer ce grognement et en définir la cause ? ou allons-nous être dans la pensée corrélative qui admet les faits dans leur simultanéité et nous dans leur causalité?
Il y a deux réalités aujourd’hui qui coexistent dans l’affront sourd d’une autre, d’une troisième.
Les deux «coexistantes» sont dans une mutualité autodestructive, l’une est réellement arrivée et l’autre est complètement construite. La troisième se trouve en position d’invisibilité et ne jouit d’aucune notoriété, d’aucune autorité. Toutefois, elle est visible si nous pouvons supprimer les deux notions de la notoriété et de l’autorité. Il faut aussi savoir se débarrasser de la peur suscitée et sentir la vraie peur : celle animale qui ne se trompe pas du danger.
L’humanité avait placé beaucoup d’espoir dans la science en général, elle avait aussi prédit une science de l’avenir, où l’Homme aura surtout la connaissance pure qui sera en mesure de tout résoudre. L’humanité aujourd’hui est tombée des nues, car peut-être, il y a une partie de cette humanité qui a compris que l’ignorance a toujours été le corrélat de toute connaissance.
L’aveu est de dire que nous sommes en train de vivre le moment de la misère du «sublime scientifique». Ceci n’étant qu’artéfact, le sublime n’arrive que si nous cessons de nous consoler des avancées de la science. Il nous faut de la science certes, à quelques nécessités, cependant il nous faut être dans la préscience : notre science intérieure, qui est contemplation et non suspicion.
Je suis aussi dans l’idée que mes mots se forgent dans la démesure de l’espérance. Je suis aussi dans l’impératif d’un état d’esprit collectif, je ne m’en défile pas, mais j’ai envie, rien que par une pensée, être dans l’impersonnel de la pensée: être dans la considération objective de l’état des choses, se maintenir au fait en soi et croire à une idée individuelle: croire en soi et laisser venir le monde avec ses affres et ses joies.
Sentir sa pensée fuser en dehors du personnel collectif nous cédera l’accès au sentiment libertaire. Ce qui apportera à tous nos autres sentiments l’aptitude de ne pas en souffrir.