Affaire Khashoggi: Les gagnants et les perdants…

Un journaliste saoudien du nom de Jamal Khashoggi est mort le 2 Octobre dernier dans les locaux du Consulat de son pays à Istanbul, dans des conditions atroces, avant d’être démembré à l’aide d’une scie à os par un commando spécialement dépêché d’Arabie Saoudite à cet effet, çà tout le monde le sait…

Mais si cette mort a fait autant de bruit ce n’est malheureusement pas tant à cause de l’horreur qui l’a accompagnée mais, plus encore, des intérêts qu’en ont tiré certains pays et des désavantages qu’en ont tiré d’autres.

Il est évident, à première vue, que le plus grand «gagnant» de cette mort – si l’on peut s’exprimer ainsi –  a été le président turc Recep Tayyip Erdogan puisqu’il en a profité pour se draper du costume de défenseur de la liberté de presse et des journalistes alors que les plus dignes représentants turcs de ce corps de métier croupissent, depuis des lustres, dans les geôles de leur pays au mépris des lois et règlements internationaux.

Les faits s’étant déroulés en territoire turc, le président Erdogan s’est offert le luxe de distiller les informations y afférentes et de ne les fournir qu’au compte-gouttes aux médias nationaux et internationaux en enfonçant chaque jour un peu plus l’Arabie Saoudite et ses services de renseignements; une stratégie bien pensée qui lui a permis d’affaiblir, sans coup férir, le royaume wahhabite et d’écorner le leadership de ce dernier sur le monde musulman sunnite.

On dit même que le président turc en sait bien plus que ce qu’il a dévoilé à la presse mais que les informations confidentielles ont fait l’objet de négociations secrètes entre Ankara et Riyad et ont constitué autant de moyens de pression du premier sur le second.

Il va de soi, par ailleurs, que la République Islamique d’Iran ne peut que sortir renforcée de cette opération car si les Etats-Unis avaient fait de l’Arabie Saoudite leur principal allié dans la région, un tel scandale va incontestablement les pousser à revoir leur copie et à la modifier quelque peu ; ce qui donnera à Paris, Londres, Berlin, Moscou et Pékin l’occasion de sauver l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien au profit de Téhéran.

Les autres bénéficiaires de cette «affaire Khashoggi» sont le Qatar qui est soumis depuis deux ans à un blocus de la part de Riyad et qui a, désormais, de grandes chances de voir se desserrer l’étau mais aussi le Canada qui apparait comme le «grand vainqueur moral» de cette affaire.

Pour rappel, un simple tweet de la ministre canadienne des Affaires étrangères qui s’était dite «inquiète» du sort des féministes et des pacifistes emprisonnés par le régime de Riyad avait déclenché la fureur du prince héritier Mohammed Ben Salmane, lequel avait suspendu les vols entre les deux pays, expulsé l’ambassadeur canadien et fait retourner à Riyad les milliers d’étudiants inscrits dans les universités canadiennes et les saoudiens hospitalisés au Canada.

En agissant ainsi à l’encontre du gouvernement Trudeau, MBS voulait signifier au monde entier qu’il n’acceptera aucune critique d’où qu’elle vienne. Aussi, cette affaire vient-elle à point nommé pour rappeler que la ministre canadienne des Affaires étrangères n’avait pas tort de s’émouvoir du sort réservé par le nouvel homme fort de Riyad à la population saoudienne.

Mais si la Turquie, l’Iran, le Qatar et le Canada ont tirés un certain profit de cette malheureuse affaire, les trois autres pays que celle-ci va incontestablement éclabousser et, au minimum, gêner aux entournures sont, bien entendu, l’Arabie Saoudite mais aussi les Etats-Unis et Israël.

Ainsi, s’il n’a eu de cesse de soigner son image de «réformateur», MBS  est devenu, aux yeux du monde entier et à cause de la grosse bourde perpétrée dans l’enceinte du Consulat saoudien à Istanbul, un cruel autocrate ayant droit de vie et de mort sur ses sujets alors que l’Arabie Saoudite s’est, pour sa part, alignée sur le modèle des dictatures militaires du monde arabe dont les polices politiques, dites «moukhabarates» sont des institutions-clés et que le wahhabisme qu’elle prône est désormais appréhendé comme n’étant rien d’autre qu’une forme d’intolérance.

S’agissant des Etats-Unis, force est de reconnaître qu’ils sont tellement gênés par cette affaire que le Président Donald Trump qui ne savait même plus «sur quel pied danser» était obligé de s’indigner face aux conditions effroyables du meurtre de Jamal Khashoggi tout en essayant de disculper, coûte que coûte, l’homme fort de Riyad, le Prince héritier Mohammed Ben Salmane.

Un autre grand perdant dans cette affaire et non des moindres est le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou qui avait misé sur le Prince héritier Mohammed Ben Salmane pour «officialiser un rapprochement avec les pétromonarchies contre l’Iran»; ce qui  lui aurait permis d’enterrer une fois pour toutes la question palestinienne. Mais les calculs du premier ministre israélien sont tombés à l’eau lorsqu’un proche de MBS a menacé de «riposter à d’éventuelles sanctions américaines», voire même de se réconcilier avec l’Iran. Aussi, c’est pour «amortir le choc» que Netanyahou a effectué ce vendredi une visite-éclair au sultanat d’Oman bien que les deux pays n’aient pas de relations diplomatiques omettant que le sultan Qabous reste celui que l’on présente comme étant le «mieux disposé envers Téhéran».

Comme il est indéniable, enfin, que cette triste «affaire Khashoggi» va soulever des remous pendant longtemps encore, alors attendons pour voir…

Nabil El Bousaadi

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