Attendons pour voir
Nabil El Bousaadi
C’est par des cris de joie et une salve d’applaudissements que, mercredi 6 Avril 2022 et après six mois d’audience, les personnes présentes dans la salle des banquets de « Ouaga 2000 » ont accueilli le verdict en vertu duquel l’ancien président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, qui vit en exil en Côte d’Ivoire et qui a été reconnu coupable d’avoir commandité le meurtre, le jeudi 15 Octobre 1987, du président Thomas Sankara a été jugé, par contumace, à la prison à perpétuité.
Ainsi, il aura fallu attendre l’insurrection populaire qui mit fin, en 2014, aux vingt-sept années passées par Blaise Compaoré à la tête du Burkina Faso pour que soit ouverte, après la plainte déposée par sa veuve en 1997, l’enquête sur la mort de Thomas Sankara, alors âgé de 37 ans.
Mais qui était donc ce Thomas Sankara, que d’aucuns présentent souvent comme étant une icône panafricaine ?
Né le 21 décembre 1949 à Yako, dans ce qui s’appelait alors la Haute-Volta, Thomas Sankara suivra, après son baccalauréat, une formation militaire à Madagascar.
De retour au pays, en 1973, l’intéressé se fera remarquer lors du conflit qui avait opposé la Haute-Volta au Mali entre 1974 et 1975 à telle enseigne qu’après le coup d’Etat de novembre 1980, le nouveau président, le colonel Saye Zerbo, lui confiera le poste de Secrétaire d’Etat à l’Information duquel il démissionnera un an et demi plus tard pour incompatibilité avec ses « idées progressistes » dira-t-il avant de s’emparer du pouvoir, en Janvier 1983, à la faveur du coup d’Etat perpétré avec l’aide de son ami intime, le jeune capitaine Blaise Compaoré. Agé d’à peine 33 ans et symbolisant l’Afrique de la jeunesse et de l’intégrité, Thomas Sankara rebaptisera son pays « Burkina Faso » – le « pays des hommes intègres » – et accordera la priorité au dégraissage d’une fonction publique « pléthorique », à l’amélioration de la situation sanitaire, au désenclavement des campagnes, à l’éducation, à la promotion de la femme et, enfin, à la mise en œuvre d’une politique en faveur des paysans.
Soucieux, par ailleurs, de « décoloniser les mentalités », il mettra en place des « comités de défense de la révolution » ayant pour tâche de surveiller la population et fera sanctionner tout manquement par des « tribunaux populaires ».
Réprimant sans merci toute opposition syndicale et politique, il parviendra à briser une grève des instituteurs en les licenciant pour « troubles à l’ordre public ».
Mais ses relations avec la France en tant qu’ancienne puissance coloniale et plusieurs pays voisins dont la Côte d’Ivoire de Félix Houphoüet Boigny et le Togo du président Eyadéma étaient très tendues et ses prises de position tout comme ses liens avec la Libye de Mouammar Kaddhafi et le Ghana de Jerry Rawlings inquiétaient aussi bien ses partisans que ses adversaires.
Il appellera, en outre, les pays africains à ne point payer les dettes dont ils étaient redevables envers les pays occidentaux, dénoncera, devant l’ONU les guerres « impérialistes », l’apartheid, la pauvreté et défendra, enfin, le droit des Palestiniens à l’autodétermination.
Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, il ira même « trop loin » lorsqu’il voudra donner une leçon de droits de l’homme au président français François Mitterrand, lors de la visite que ce dernier avait effectuée à Ouagadougou en 1986, pour avoir officiellement accueilli, à Paris, le rebelle angolais Jonas Savimbi et le président du régime d’apartheid sud-africain Pieter Botha ; ce à quoi le président français avait rétorqué : « il va plus loin qu’il ne faut, à mon avis ».
Est-ce là la goutte qui a fait déborder le vase ?
Difficile d’écarter la main de l’étranger d’un simple revers de manche tant ce dossier est complexe et tant qu’il est entre les mains de la justice qui va déterminer les responsabilités de chacun mais ce qui est sûr, en tous cas, c’est que la parenthèse « sankariste » n’aura été que de courte durée – quatre années – puisque Thomas Sankara sera assassiné le 15 Octobre 1987, à l’âge de 37 ans, lors d’un putsch à l’issue duquel Blaise Compaoré restera seul maître à bord.
Y’a-t-il d’autres « responsables » outre le général Gilbert Diendéré, un des chefs de l’armée lors du putsch de 1987, Hyacinthe Kafando, qui dirigeait le commando ayant tiré sans sommation sur Thomas Sankara – tous deux en fuite et également condamnés à la prison à vie, ainsi que les cinq autres accusés auxquels ont été appliquées des peines allant de trois à vingt ans ?
Pour l’heure le dossier est clos mais rien n’indique qu’il ne pourrait pas être ouvert, ultérieurement, si de nouveaux « faits » venaient à surgir ; alors attendons pour voir….