Benabdallah : le retrait rapide du projet de loi 54.23 témoigne de la confusion qui l’entoure

FUSION CNOPS-CNSS

M’Barek Tafsi

– Louardi : les inquiétudes que la fusion suscite concernent le sort des assurés, du personnel de la CNOPS, des Mutuelles et la pérennité du financement du chantier royal

– Massaadi : En retirant son projet, le gouvernement a reconnu avoir commis la faute de n’avoir pas consulté ses partenaires

– Taoujni : les conditions d’unification de la gestion par la CNSS de l’AMO font toujours défaut

Tout en soulignant que l’unification des organismes chargés de gérer le régime de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), telle que prévue par la loi-cadre 09.21 relative à la protection sociale, ne pose pas en principe de problèmes, le Secrétaire général du Parti du Progrès et du Socialisme, Mohammed Nabil Benabdallah, a fait savoir que la fusion de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), qui gère à présent le dossier des employés et autres du secteur privé ainsi que des ex-Ramédistes inscrits dans le régime AMO-Tadamon et de la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS), qui gère l’AMO pour les fonctionnaires du secteur public, soulève déjà des inquiétudes.

Pour s’en convaincre, « il suffit de savoir que le projet de loi N° 54.23, modifiant et complétant la loi N° 65.00 relative à l’Assurance maladie obligatoire de base, présenté a été rapidement retiré », a-t-il dit, lors d’une conférence organisée, vendredi 18 octobre au siège central du parti à Rabat.

Le Conseil du gouvernement, réuni jeudi 17 octobre, a en effet reporté l’examen de ce projet de texte ainsi que d’autres dispositions spécifiques, en vue d’en approfondir l’examen lors d’un prochain conseil de gouvernement, a indiqué le même jour le porte-parole du gouvernement.

« Ce retrait témoigne de la confusion qui entoure le sujet », a dit le SG du PPS, appelant à davantage de « vigilance de la part des parties concernées à propos des objectifs de la réforme » en vue, car le diable est dans les détails.

« Telle que prévue par la loi-cadre, cette réforme ne soulève pas en principe de problème. Tout le monde y adhère », a-t-il indiqué.

Selon lui, ce sont les autres lois, les décrets d’application et les initiatives qui suivront, qui posent problème, car c’est à ce niveau qu’il peut y avoir un quelconque dérapage qui porterait atteinte aux droits acquis des parties prenantes dont en premier lieu les assurés, a-t-il dit, ajoutant que le risque est réel sur les acquis sociaux au cours de cette réforme.

Partant de là, les partis politiques et les organisations, qui disposent d’une forte popularité, sont appelés à faire preuve de mobilisation et de vigilance et à œuvrer en collaboration avec les principaux syndicats dont l’Union marocaine du travail (UMT) et l’ensemble des activistes au sein de la société pour faire face à tous les dérapages possibles.

Il a invité à cette occasion toutes les parties à prendre part à cette mobilisation et aux conférences que le PPS va organiser aux niveaux régional et national dans le but d’avoir une vision plus précise et claire sur le sujet de la couverture sociale. Au-delà de cette série de conférences, a-t-il ajouté, le PPS aspire à disposer en fin de compte d’un document étoffé et précis avec des chiffres à l’appui et des analyses, pour pouvoir présenter en connaissance de causes des alternatives et une position fondés sur un argumentaire convaincant sur la question.

En d’autres mots, le PPS se propose à travers cette série de rencontres à présenter sa vision de la couverture sociale universelle telle qu’elle doit être, a-t-il noté.

Louardi: La fusion CNOPS-CNSS comporte une panoplie de risques

Pour sa part, l’ancien ministre de la santé et fin connaisseur du sujet, Pr. El Houssaine Louardi a souligné d’entrée, que la jouissance du droit à la santé est tributaire de la généralisation de la protection sociale et des mesures qui doivent être prises à ce niveau pour assurer à tous l’accès à la santé de manière égale et équitable. Et c’est dans ce sens que le gouvernement a présenté le projet de loi N° 54.23, modifiant et complétant la loi n° 65.00 relative à l’Assurance maladie obligatoire de base avant de le retirer. Cette présentation s’inscrit dans le sillage de la mise en œuvre de la loi-cadre 09.21 relative à la protection sociale, qui vise notamment à harmoniser et unifier la gestion des différents régimes sous l’égide de la CNSS.

Tout en affirmant que c’est là un chantier royal qui bénéficie de l’adhésion de tous, Pr. Louardi a indiqué que sa mise œuvre par le gouvernement comporte toutefois des risques, liés notamment à la procédure inappropriée choisie.

C’est ainsi que le projet de fusion CNOPS-CNSS soulève de nombreuses questions concernant le sort des adhésions, des cotisations et des Mutuelles.

Et ce compte tenu de la différence des taux de couverture notamment.

Quand la CNOPS assure la couverture à hauteur de 90% à 100% des frais de maladie et de soins, la CNSS n’accorde que quelque 70% dans le meilleur des cas. La fusion de la CNOPS et de la CNSS devra donc se traduire par des pertes sèches pour les assurés de la CNOPS.

Idem pour ce qui concerne les cotisations : 2,5% à la charge de l’assuré de la CNOPS contre 2,7% de l’assuré de la CNSS.

Pour les assurés des grandes entreprises et des offices, une période de transition de cinq ans est prévue, avant de rejoindre l’AMO.

Mais rien n’est prévu pour la création par exemple d’un fonds de solidarité avec ceux qui n’ont pas les moyens de cotiser.

Un autre problème concerne la couverture sanitaire complémentaire, sachant qu’elle ne bénéficie pas de l’attention requise. Dans l’esprit du projet de texte présenté, il s’agit d’un partenariat public-privé, ce qui risque de dévier le projet de sa finalité sociale, étant donné que c’est la quête du profit qui motive le privé.

Mais le risque le plus immédiat concerne notamment les employés de la CNOPS, dont le transfert à la CNSS n’est pas automatiquement assuré. Pire encore, ceux qui désirent leur transfert à la CNSS parmi les employés de la CNOPS doivent présenter une demande, qui peut être acceptée ou rejetée par la CNSS.

Et qu’en est-il ensuite du sort des Mutuelles, qui risquent de disparaitre dans l’esprit du projet de loi présenté et retiré, pour laisser la place à des sociétés d’assurance et d’autres entreprises en quête d’opportunités d’investir.

Le projet en question ne précise pas si les Mutuelles au service de la  CNOPS seront maintenues ou non, tout en ignorant le rôle crucial qu’elles jouent.

Mais ce qui a surpris à ce stade c’est que le gouvernement a présenté un projet qu’il a élaboré sans consulter ses partenaires, optant ainsi pour une démarche inadaptée contraire à l’esprit du dialogue social, qui doit avoir lieu pour assurer au processus d’élaboration et d’adoption toutes les conditions de réussite.

C’est vrai aussi pour les questions techniques de la fusion qui doivent être débattues avec la participation des partenaires.

Au niveau de la CNSS, plusieurs problèmes doivent être au préalable résolus. C’est le cas des cliniques de la CNSS, des cliniques privées et celles des Mutuelles, a-t-il dit, recommandant entre autres la liquidation par le CNSS de ses cliniques.

Il a également estimé indispensable de procéder à une restructuration du secteur de la santé et de le doter en personnel et matériel nécessaires, notant que sans médecins généralistes et médecins de famille, il est illusoire de réussir la réforme du secteur de la santé. Mais ce qui est incompréhensible au stade actuel aussi, c’est que le gouvernement parle non seulement du médecin de famille, mais également de l’infirmier de famille.

Il a soulevé dans le même ordre d’idées les problèmes de tarification des consultations et ceux liés à la cherté des prix des médicaments au Maroc, en dépit des diminutions qui se poursuivent depuis son mandat en tant que ministre.

Il a recommandé aussi une harmonisation des prestations et services de la CNSS et de la CNOPS avant leur fusion qui doit intervenir de manière progressive, a-t-il estimé.

Mais ce qui pose sérieusement problème, c’est la pérennité du financement. La question qui se pose à ce propos est de savoir non pas qui va gérer mais qui va gérer quoi, a-t-il dit, sachant que le nombre des assurés et des retraités augmente de plus en plus parallèlement au vieillissement de la population et que le montant des cotisations ne suffit pas pour les couvrir. Ceci menace la pérennité du financement du chantier dans son ensemble, a-t-il expliqué, appelant à la création d’un fonds pour le financement de la protection sociale et d’un fonds de solidarité pour pouvoir combler le déficit.

Après avoir passé en revue toute une série de conditions difficiles à remplir pour pouvoir bénéficier de l’AMO, il a indiqué qu’il vaut mieux parler de l’Etat de la protection sociale au lieu de l’Etat social.

Pour ce qui concerne le projet de texte qui vient d’être retiré, il a indiqué que son contenu doit être amélioré et qu’il serait erroné de faire table rase de la longue expérience réussie des Mutuelles pour les remplacer par les sociétés d’assurance et autres entreprises privées avides d’argent.

Maâssid : l’UMT a réagi à temps pour que le gouvernement corrige son erreur et rétablit le dialogue sur le sujet

Quant au président de l’Union nationale des mutuelles marocaines, affiliée à l’UMT, Miloud Maassid, il a réaffirmé l’adhésion de son organisation syndicale au chantier royal de la protection sociale universelle et son attachement au dialogue social comme moyen de participation et de conviction pour assurer au projet toutes les conditions de réussite.

Il a rappelé que le mouvement mutualiste a démarré en 1919 au Maroc, au lendemain de la 1ère  guerre mondiale, notant que le projet de loi 54.23 inquiète à plus d’un titre concernant les droits acquis des assurés et des employés de la CNOPS, outre le sort réservé aux Mutuelles et bien d’autres questions.

Après avoir pris connaissance de la décision de l’examen en conseil de gouvernement du projet de loi 54.23, la direction de l’UMT a pris l’initiative de demander au chef du gouvernement de le retirer et de le soumettre à un débat entre les partenaires. L’UMT a également publié un communiqué dans lequel elle exprime sa colère et son rejet de l’approche unilatérale du gouvernement pour gérer cette transition. Elle a également pointé du doigt les reculs et les dangers que comporte le projet par rapport aux droits acquis aussi bien des assurés, que des employés et pour les huit (8) Mutuelles en service avec la CNOPS.

Selon le responsable syndical, les Mutuelles et la CNOPS sont victimes d’une véritable campagne de dénigrement, menée depuis une longue date par les cliniques privées et les compagnies d’assurance privées avec la complicité du ministère de tutelle, qui n’a jamais accepté de débattre d’un éventuel cahier des charges avec les Mutuelles.

Partant de sa longue expérience en la matière, le président de l’Union nationale des mutuelles marocaine a affirmé que le mouvement mutualiste marocain, vieux de plus d’un siècle, est fondé sur des valeurs sûres et des principes immuables qu’il partage avec le mouvement mondial mutualiste.

Revenant au projet de texte de loi que le gouvernement vient de retirer après l’avoir rendu public, il a estimé qu’il a été confectionné dans la précipitation et sans tenir compte des observations émises à ce sujet depuis le début de l’année en cours.

Il a fait savoir que le retrait par le gouvernement de son projet de loi est intervenu, suite aux démarches entreprises par l’UMT, sans lesquelles le projet allait être adopté.

En retirant son projet, le gouvernement a reconnu d’une manière ou une autre avoir commis la faute de ne pas avoir consulté ses partenaires. C’est pourquoi, il a promis que le projet doit viser à préserver les droits acquis de tous : assurés, personnel et Mutuelles.

Mieux encore, le personnel sera maintenu là où il est et son transfert sera automatique et fluide.

Quant aux biens de la CNOPS, ils feront l’objet d’une distinction entre ceux acquis avant 2005 et après cette date.

Pour ce qui est du bureau de l’AMO-étudiants, il a été tout simplement supprimé.

Revenant au problème sérieux des Mutuelles, il est allé jusqu’à dire qu’elles font face à une offensive menée par le secteur privé, qui désire s’emparer de leurs tâches et prestations.

Il a fait savoir à ce sujet, qu’il s’engage en tant que Président de l’Union nationale des mutuelles marocaines à tout faire pour s’opposer à toute privatisation de ce secteur, tout en promettant d’œuvrer pour parvenir à un accord avec le président de la CNSS pour que les Mutuelles puissent continuer de jouer pleinement leur rôle.

Il a estimé par ailleurs nécessaire pour la CNSS de procéder à la révision de la composition tripartite de sa direction, soulignant qu’il est encourageant de constater qu’au lendemain de la publication du projet de loi que le gouvernement vient de retirer, un véritable front national pour la défense des acquis des assurés et du personnel de la CNOPS a vu le jour.

Taoujni : les conditions d’unification de la gestion par la CNSS de l’AMO font défaut

Pour ce qui le concerne, le PPS est constamment mobilisé pour plaider à tous les niveaux, au Parlement et ailleurs, et à organiser des rencontres, pour la préservation des acquis des employés et des assurés de la CNOPS, a-t-il rappelé.

Le projet de loi consacrant la CNSS comme gestionnaire unique de l’AMO se heurte à présent à de nombreux dysfonctionnements qui caractérisent le système de  gouvernance, à l’absence d’harmonisation des régimes en place et à l’inefficacité de l’approche adoptée par le gouvernement, a déploré pour sa part, l’expert Saâd Taoujni, ancien responsable de la CNSS.

Il a également indiqué que la cherté des prix des médicaments et des prestations médicales est réelle et que cette guerre des prix menace au fond le projet de la couverture sociale universelle dans son ensemble, étant donné l’absence de l’Etat social dont on parle.

Pour ce qui est du financement du projet, il est monopolisé par l’Etat d’une part, alors que le secteur privé avec ses cliniques privées de plus en plus nombreuses, jouit d’un climat néolibéral propice, qui exclut de la couverture sociale tous ceux qui n’ont pas le moyen de cotiser.

C’est pourquoi, il est erroné de parler d’Etat social à présent, au moment où l’adhésion est facultative et où tout le monde n’a pas les moyens pour contribuer à un système, dont la pérennité du financement n’est pas assurée.

Ceci dit, le projet de texte présenté et retiré par le gouvernement se doit de tenir compte du rôle capital que jouent actuellement les Mutuelles, des droits acquis des assurés et du personnel de la CNOPS et de faire l’objet d’un débat entre le gouvernement et les partenaires sociaux pour lui assurer toutes les chances de réussite, a-t-il relevé.

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