Cinéma : Le premier film

Par Mbarek Housni

À vrai dire, ce terme ne prend sa signification que dans une situation bien déterminée. Celle du cinéma en liaison avec des aléas de la production et de la réalisation des films qui lui sont inhérents et qui l’influencent directement.

Car l’expérience de l’aboutissement d’un premier long-métrage, dans les deux acceptations du terme, est avant toute chose une entreprise économique. Un film est un produit généré par toute une équipe de techniciens et dans un temps donné, et qui devrait être « écoulé » dans un marché qu’est celui de la distribution. De ce fait, il est gouverné par les valeurs du profit, du gain et de la perte. On ne s’y lance pas sans cette embûche.

À part cela, vient ce fait autrement  plus sérieux où le film est considéré, s’il obéissait a l’impératif de l’art avec un grand A, comme une entreprise intellectuelle, une œuvre de création. Car le film entre ici dans le secteur des moyens d’expression qui se destinent à participer à l’enrichissement de notre relation au monde, à l’existence émotionnellement et intellectuellement. C’est ce deuxième aspect qui nous interpelle au plus haut degré et qui décide à  nos yeux de l’avenir du long-métrage. Comme pour toute création artistique, toute œuvre de création, ce premier «opus» est une frontière entre un début et une fin en même temps.

Le début d’une carrière,  rêvée fantasmée ou prédestinée, et le terme d’un processus préalable. Entre la fin d’un rêve premier, d’une envie et d’une préparation et le commencement d’une carrière qui reste toujours hypothétique. Ici, le septième art diffère de tout autre moyen d’expression comme l’écriture et les arts plastiques par exemple. Car le film est fondé sur une idée appelée à être étalée en un récit qu’il faut communiquer aux autres, le public. Et ce n’est jamais ni aisé ni donné.

Il y faut avoir une « carrure » de réalisateur qui est appelé à affronter le monde qui est le public large. Mais avant cela, il est appelé à lutter, comme formulé ci-haut, contre une réalité  cinématographique qui existe déjà où il y a des règles professionnelles, des codes culturels et des habitudes propres à la géographie,  à l’histoire et à la nature des relations entre les gens du métier et propres à cette réalité effective.

Au Maroc, on a longtemps cru que la chose cinéma a été décidée une fois pour toutes du côté du culturel, du côté du cinéma comme art d’expression, celui qui a été pensé et rêvé par les pionniers et qu’ils ont théorisé partout durant des décennies. Et il est vrai que cette vision demeure présente dans les esprits de tout réalisateur en puissance même si la réalité actuelle la dément cruellement. Car il est un tremplin expressif avant tout et non un outil de divertissement sans lendemain. Il faut dire qu’il habite tout réalisateur marocain même si parfois il la suit guère. La preuve est donnée par la plupart des premiers films où cette vision est assez présente.

Donc l’expérience de cinq décennies de la production du film au Maroc, et à travers les débats et les parti-pris de toutes sortes et les décisions prises, on a pu ériger un « système » local pour pouvoir permettre à ceux qui le désirent de réaliser un long-métrage. C’est ce passage obligé par le court-métrage. Il a été instauré à partir de 1995  lors de la quatrième édition du festival national du film. Une édition tangéroise qui fut à l’origine d’une bonne partie de notre cinématographique actuelle. Elle a abouti vers l’année 2005 à ce mécanisme de passage par la réalisation de trois court-métrages pour prétendre à la carte professionnelle qui permet de réaliser un long-métrage.

A vrai dire, cela a du bon et du mauvais comme on a pu le constater  des années après. Dans tous les cas, cela a permis l’éclosion de noms et la réalisation d’un grand nombre de films.  C’est un fait qu’on ne peut nier.

Mais la grande question demeure telle quelle : est-ce qu’on a pu enfin réaliser le cinéma qu’on voilait, qu’on espérait? Est-ce que ces films, ces premiers long-métrages ont pu satisfaire la condition impérative de l’art et du culturel? Sont-ils des œuvres de création tel qu’on l’a souhaité? La réponse n’est pas facile, ça hésite entre le positif et le négatif. Pour y voir un peu clair, faisons une petite analyse historique brève des faits.

En 1995 et dans cette même édition tangéroise du FNF,  des jeunes Européens d’origine marocaine ont eu la possibilité de montrer leurs court-métrages. Ils étaient de bonne facture et auguraient d’un talent visible. On y a vu la possibilité de l’émergence d’un cinéma marocain avec du sang nouveau susceptible de le faire accéder au reste du monde. Ce fut un grand espoir relevé.

Mais après vingt ans, il s’est avéré que c’était une bonne dose de fraîcheur, un ensemble de talents dispersés qui ont pu participer à accroitre le nombre de films produits. La plupart des ces réalisateurs n’ont pu relaisser leur long-métrage qu’après bien des années. Et les sujets de leurs films traitaient en majeure partie des problèmes de l’émigration. Dans ces films la touche du producteur étranger (européen était bien visible. Ces caractéristiques vont imprégner ces films des réalisateurs binationaux).

Ce fait a occulté une autre réalité. Cette même édition de 1995 a vu la participation de plusieurs réalisateurs maroco-marocains qui avaient un vari talent et qui vont eux aussi accroître le nombre de film dans notre cinéma par la suite. Du coup, on a pu constater qu’il n’y a aucune différence entre le cinéma des uns et des autres. Un cinéma qui se respecte, qui lutte pour être meilleur, pour avoir une place. Rien de plus.

Or la grande question de la qualité,  de l’accès aux œuvres à proprement parler reste toujours d’actualité. Bien sûr, la plupart des films sortis depuis ont une facture artistique ou prétendent l’avoir. Ils « traitent » de la réalité et des enjeux sociaux, politiques…

Or, actuellement, une autre réalité qui dérange a été mise en place et qui a profité de cette aubaine des 3 courts-métrages. On dirait que les choses on échappé au contrôle. On observe la sortie de films qui ont un « aspect » de téléfilm ou empruntent aux canaux des sitcoms et des séries leur « esthétique »  et leurs sujets. Du comique, du social à la sauce télévisuelle très évidente.

Il est normal de voir une bonne partie des films sélectionnés lors des éditions du FNF. C’est un constat négatif. Que faire alors ? Récupérer l’idée première d’un cinéma à l’égal des espoirs de tout un pays. La question est  urgente et plus vive que jamais.

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