Citic Discatal défie la mauvaise fortune chinoise au Maroc

Quelques mois après avoir inauguré sa première usine au Maroc, le groupe chinois spécialisé dans le moulage d’aluminium et la production de pièces automobiles en aluminium, vient de récidiver avec une deuxième usine toujours à Kénitra. Un pied de nez aux difficultés rencontrées par d’autres acteurs chinois sur le marché marocain!

Le groupe Citic Discal n’en a visiblement pas eu assez de la première usine inaugurée en juin dernier. Ce mastodonte chinois qui compte parmi ses clients des constructeurs automobiles mondiaux tels que Volkswagen, BMW, Renault-Nissan, Fiat, Chrysler Automotive, Peugeot, GM, Toyota a lancé sa deuxième unité de production de jantes en aluminium au Maroc.

Mais marquons un instant l’arrêt sur la première usine, inaugurée le même jour que celle d’un autre chinois, Nexteer, pour sa part leader dans “l’intuitive motion control“ (production des systèmes de direction assistée électrique et hydraulique, des colonnes de direction, des systèmes de transmission, des systèmes avancés d’assistance au conducteur (radas) et des technologies de conduite automatisée).

Lors de cette double inauguration en juin dernier, le ministre de l’industrie et du commerce n’a pu s’empêcher de décocher une pique à l’endroit de tous ceux qui avaient eu à douter de ses efforts de faire entrer le Maroc dans le projet de «la nouvelle route de la soie chinoise». Appréciez ! «Nous accueillons ici à Kénitra un groupe de renom d’origine chinoise. Et je voudrais rappeler à la mémoire de ceux qui ont oublié, j’imagine qu’ils sont nombreux, qu’en avril 2014 alors que nous présentions notre plan d’accélération industrielle, j’ai parlé de la Chine et de la capacité des opérateurs chinois de devenir mondiaux et de s’implanter au Maroc.C’était peut-être anachronique à cette période, et j’ai entendu dire que c’était impossible», rappela Moulay Hafid Elalamy à cette occasion.

Une victoire qui est venue confirmer les bons chiffres du secteur automobile annoncés plus tôt dans l’année à Tanger par le Ministre (cf. encadré). Avec ses deux usines, et celle prévue plus tard à Tanger, Citic Discatal aura investi un total de 350 millions d’euros et devra créer quelque 1200 emplois.

Une stratégie pour contourner les «tariffs»?

En mettant les bouchés double, le groupe chinois s’assure de profiter de cette fenêtre de tirs qu’offre le Plan d’Accélération industrielle, mais aussi de prendre position avant que d’autres acteurs ne s’intéressent de plus près aux conditions attractives proposées par le Maroc.

Mais l’inauguration de deux usines à quelques mois d’intervalles, même prévue, peut-elle aussi être le fait de la guerre commerciale que se livre les deux géants économiques de la planète depuis plus d’une année ? Car il ne faut pas l’oublier, les Etats-Unis et la Chine se sont lancés depuis l’année dernière dans une bataille de leadership, à coups de relèvement de droits de douanes pour pénaliser l’autre camp.

L’aluminium, produit dont Citic Discatal est spécialiste n’a pas échappé à l’augmentation des droits de douanes par l’administration du président Trump. Le président américain avait promulgué le 8 mars 2018 des taxes de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur celles d’aluminium, que les partenaires commerciaux des Etats-Unis contestent. Si la Chine n’était pas directement visée et que nombre des alliés de l’Amérique en ont souffert (notamment l’Europe, le Mexique et le Canada ayant été finalement exemptés), nul doute que la Chine voit d’un œil acerbe le risque que d’éventuelles taxes supplémentaires pourraient faire courir sur ses exportations. En prenant le devant pour développer rapidement des usines en dehors des zones visées par ces taxes douanières, l’empire du Milieu s’assure de pouvoir contrecarrer les velléités protectionnistes de l’Amérique. Dans tous les cas, ces nouvelles unités viennent compléter le maillage mondial de Citic Discatal et réussissent là où d’autres projets chinois au Maroc ont trainé.

Meilleure fortune

En effet, Citic Discatal qui évolue aux côtés d’un autre groupe chinois, Nexteer, semble tirer ses marrons du feu. Les deux acteurs du secteur automobile n’ont eu aucun souci à s’implanter au Maroc, là où d’autres entreprises chinoises ont échoué. Ce fut le cas du groupe Haite qui s’était engagé avec enthousiasme dans le projet Tanger Tech avant de filer à l’anglaise, pas la petite porte. Le gouvernement central chinois n’ayant jamais donné son accord, le groupe privé chinois avait dû se retirer du projet. Projet remis sur les rails cette année après la signature d’un mémorandum d’entente avec un nouveau groupe chinois, cette fois-ci étatique : China Communications Construction Company (CCCC). « On ne refait pas la même erreur. Il s’agit d’une entreprise sûre avec plus de 100 milliards de dollars d’actifs », avait déclaré une source gouvernementale à l’hebdomadaire Telquel à l’époque. La délégation marocaine à ce mémorandum d’entente était conduite par Othman Benjelloun, président de la Société d’aménagement Tanger Tech entre autres mais surtout connu pour être président de Finance Com, groupe détenant la BMCE Bank Of Africa.

Qui est Citic Discatal?

Le leader chinois du moulage et de la jante en aluminium détient un beau carnet d’adresses. Il fournit tous les grands noms de l’automobile mondial : Mercedes-Benz, BMW, Audi, VW, Peugeot- Citroen, Renault – Nissan, GM, Ford, FCA, Toyota, Honda, Mazda, Hyundai-Kia, FAW, SAIC, Dongfeng Motor Corparation, GAC Group, BAIC Motor, Changan Motor, etc. Tous les champions de l’automobile trouvent chaussure à leur pied dans les ateliers du Groupe chinois. Créée en 1988, Citic Discatal fait partie du géant chinois Citic Group qui détient pas moins de 44 filiales dans l’investissement, la finance (services financiers, bancaires). Précédemment nommé Discatal Wheel Manufacturing Co. Ltd, l’entreprise a procédé à une refonte de son actionnariat en 2007 avant de prendre sa dénomination actuelle en 2012. Citic Discatal qui fournit nombre de clients est premier fabricant d’aluminium en Chine continentale. L’entreprise est classée à la 71ème place parmi les 100 premiers fournisseurs mondiaux de pièces d’origine et son chiffre d’affaires atteint 26 milliards de Remimbi en 2017, soit plus de 35 milliards de dirhams. Le groupe détient des centres de R&D un peu partout dans le monde, en Amérique du Nord, en Europe, au Japon et bien entendu en Chine. Avec plus de 2000 brevets, Citic Discatal s’est positionnée dans le monde automobile comme une entreprise à la pointe de la technologie, avec des innovations technologiques. L’entreprise travaille en étroite collaboration avec des universités et des institutions de recherche. Entre autres systèmes développés, la technologie de refroidissement de l’eau de coulée, le processus de peinture bicolore, la technologie de peinture couleur transparente, etc. Avec plus de 17.000 emplois, Citic Dicastal dispose de 30 unités de production, réparties en Europe, en Amérique du Nord et en Chine. Sa capacité de production annuelle est de 60 millions de jantes et 110.000 tonnes de composants moteurs et châssis.

Un bilan prometteur

Dans une communication en début d’année, le Ministre de l’Industrie et du Commerce Moulay Hafid Elalamy n’a pas hésité à brosser le portrait d’un secteur automobile dont les chiffres sont encourageants pour la suite de son Plan d’Accélération Industrielle. Les réalisations, à fin 2018, portent à croire selon le Ministre que les efforts consentis jusque-là ont produit des résultats probants. Et mis la machine sur les bons rails. C’était à l’occasion des «Automotive Meetings Tangier» en février dernier, un événement consacré à l’industrie automobile. À cette occasion, quelques éléments de satisfécit ont été dévoilés par le Ministre. Entre autres :

– secteur automobile premier secteur exportateur du Maroc (70 MMDH) et le Royaume premier producteur de véhicules en Afrique (402000 unités par Renault).

– trois constructeurs automobiles : Renault, PSA et le chinois BYD (convention signée fin 2017).

– plus de 200 équipementiers automobiles installés au Maroc.

– plus de 50 usines d’équipementiers de rang 1 sont en cours de construction.

– Neufs écosystèmes ont été établis : Câblage, intérieur véhicules & sièges, métal emboutissage, batterie, PSA, moteurs, Renault, Delphi et Valeo. Trois écosystèmes sont en cours de création (prévus pour 2019) : ingénierie, pièces de rechange et extérieur des véhicules.

– 85.000 nouveaux emplois ont été créés dans le secteur entre 2014 et 2018, portant le total des emplois dans le secteur à 158.000.

– une capacité de production totale de 700.000 voitures

– Le taux d’intégration des véhicules Renault atteint 50,5%. Les premiers véhicules produits par PSA ont un taux d’intégration de 60%.

Des réalisations encourageantes qui ont poussé le Ministère à revoir ses objectifs et fixé la barre plus haut. Selon ses prévisions, la capacité de production annuelle devrait atteindre 1 million de véhicules à l’horizon 2022, soit à travers des extensions des constructeurs existants ou l’installation de nouveaux constructeurs ; le chiffre d’affaires devrait atteindre la barre des 100 MMDH contre 70 MMDH initialement prévu à cet horizon. Le Ministère veut même pousser les efforts plus loin, en relevant l’objectif de chiffre d’affaires à 200 MMDH à l’horizon 2025. En clair, le secteur automobile marocain a encore de beaux jours devant lui. Et l’installation des entreprises chinoises dans la zone franche de Kénitra ne pou urra que renforcer ces chiffres.

Soumayya Douieb

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