Comment critiquer la télévision

Les ramadans se suivent et se ressemblent pour la télévision…ou plus précisément pour le discours sur la télévision. Quasiment inscrit dans le rituel du mois sacré, la consommation cathodique oscille entre les chiffres de l’audimat confortant les tendances dominantes et un certain  discours réprobateur qui reprend, chaque année, les mêmes griefs et les mêmes arguments contre la programmation proposée.

Au-delà de ces aspects récurrents, cette situation reflète davantage le malaise du discours sur la télévision. Critiquer la télévision est presque une oxymore. Il peut même paraître comme incongru puisque dans l’opinion courante la télévision passe encore comme un loisir, un média centré essentiellement sur le divertissement et accessoirement sur le service. Certes on écrit beaucoup et de plus en plus sur la télévision, notamment dans les médias sociaux. Mais cela relève plus de la pratique impressionniste que de l’exercice journalistique légitimé davantage par la logique informative générale. Parce que par essence la télévision est un média trans-médiatique ; il récupère d’autres pratiques de représentation pour leur assurer une autre forme de médiation. Donnant ainsi l’illusion que tout le monde peut parler de la télévision.

Mais au-delà de cet aspect inhérent à des facteurs externes, les limites de la pratique discursive autour de la télévision émanent d’autres facteurs plus intrinsèques. La critique cinématographique,par exemple, fonde sa légitimité en partie sur l’existence d’un méta discours fonctionnant d’une manière cohérente grâce à un appareil conceptuel, grâce à une terminologie, à un vocabulaire spécifique. Dans son livre  Introduction à l’analyse de la télévision (chez Infocom-ellipses;  Paris) François Jost Professeur à la Sorbonne nouvelle chargé du Centre d’études des images et des sons médiatiques note à ce propos «si l’analyse filmique a ses outils, la nouveauté de l’exercice pour la télévision explique que la terminologie manque bien souvent. Lorsqu’on regarde la télévision pour se distraire, les émissions sont perçues globalement, dans leur flux continuel, sans que nous fassions les efforts de perception et de mémoire suffisants pour prendre conscience de la façon dont se constitue le sens ou dont se structure le temps».

Toute analyse suppose en effet la nécessité d’un vocabulaire qui caractérise les phénomènes observés et qui facilite ensuite la communication des résultats acquis. Le prestige de la critique cinématographique n’a pas d’autre secret si ce n’est celui de ce métalangage enrichi par un apport théorique se nourrissant  des derniers acquis de la recherche dans les différents domaines des sciences humaines. Est-ce à dire que la critique de la télévision relève de la mission impossible ? Les dernières années ont vu des progrès notables vers la constitution d’une véritable théorie de la télévision posant ainsi les fondements d’une pratique critique raisonnée. Des genres télévisuels ont joué comme précurseurs sur cette voie. Le Journal télévisé par exemple a constitué un corpus de choix, érigé en objet d’analyse. Certaines émissions qui ont marqué les années 80 et une grande partie des années 90 ont également généré un intéressant travail d’analyse ; nous pensons en particulier à tous les programmes inscrits dans le genre Télé réalité ou talkshow…

Globalement on peut relever avec François Jost que l’analyse de la télévision prend son point de départ autour de trois idées. D’abord la question des genres répartis en fonction de trois modes d’énonciation. : L’authentifiant (le jt , le documentaire, la télé réalité…), le ludique ( jeux, variétés…), le fictif ( séries, films…) ; mais poser la question des genres ne suffit pas. Il n’est pas aisé de « catégoriser » une émission, un programme, de l’ancrer à un genre sans un travail de recherche historique et théorique en rapport avec les autres pratiques culturelles, « Impossible de comprendre la fiction télévisuelle sans connaître le fonctionnement de la fiction en général ». Il y a enfin une question centrale : le discours sur la télévision comme pratique sociale est traversé, François Jost parle même de discours « régulé » par des croyances et des savoirs. Une véritable critique de télévision est celle qui neutralise les premières pour se construire sur les seconds.

Top