Comment filmer la violence

Comment faire du cinéma après Daech? La réponse est inscrite dans une historicité.  Juste après le 11 septembre, les scénaristes de Hollywood en coordination avec les départements cinéma de la CIA et du Pentagone ont établi un certain code non écrit de ce qu’il fallait montrer ou pas au public américain. Celui-ci était encore sous le choc de l’attaque contre le symbole même de la réussite américaine. Il a été ainsi convenu de supprimer toutes les séquences d’attaque aérienne, de réduire ou de limiter le nombre de films catastrophes. Le traumatisme était profond. Le réel avait fini par dépasser l’imaginaire. Et il a fallu attendre plus de deux ans pour voir les premières fictions abordant l’effondrement des deux tours.

Aujourd’hui, le paysage international est dominé par une autre forme de violence située autour de la question problématique du terrorisme. La circulation des images dont le rythme a été accéléré par la révolution numérique et l’explosion des médias sociaux, a été marquée par l’arrivée massive des images produites par les terroristes eux-mêmes, incarnés dans la communication publique par l’acronyme Daech. Selon le cinéaste et théoricien du cinéma, Jean-Louis Comolli, Daech, très tôt dans sa brève histoire (quatre ans),  aura associé plus systématiquement qu’Al-Qaïda, le geste de tuer et le geste de filmer «afin de diffuser aux quatre coins des antennes satellites ceux qu’ils avaient tués».

Une cinématographie de la mort a ainsi envahi nos écrans, à tous les niveaux de la réception numérique. Une perception de la violence a été mise en place, phagocytant le regard et instaurant un nouvel horizon d’attente. D’où notre question inaugurale : comment faire du cinéma après ou à côté du cinéma de Daech? Comment filmer la violence, après les clips de décapitation qui ont  instauré une véritable pornographie dans le commerce du visible ?  Les films de Daech amènent à revoir les manières des scénaristes/ des cinéastes d’écrire et/ou de mettre en scène la guerre, de montrer la torture ou de représenter la mort.

En effet, face à la généralisation des images  (télévisions, réseaux sociaux…), le cinéma est appelé à revoir ou du moins à s’interroger sur son approche de la violence. Lors de la dernière édition des JCC, j’ai vu deux films qui proposent dans ce sens deux approches diamétralement opposées. Deux films qui indiquent que le conflit syrien est également objet d’une formidable guerre des images. Il y a la guerre en Syrie, et il y a la guerre autour de la Syrie. Et le cinéma est partie prenante avec ces deux exemples récents : Insyriated (Une maison syrienne, le titre en français) du belge Philippe Van Leeuw et Matar Homs (La pluie de Homs) de Joud Saïd. Le premier est une production européenne avec un casting international, le deuxième est une production syrienne. Est-ce que ce mode de production a déterminé le mode de traitement du sujet? L’interrogation est légitime. Dans le premier, le cinéma est privilégié en réhabilitant notamment la figure du hors champ; le second reprend le dispositif Daech en n’épargnant rien au spectateur.

Dans Insyriated, il y a aussi de la violence, une violence terrible, une famille recluse dans son appartement, subit l’enfer de l’incertitude et de l’irruption chaque fois imminente du danger. Mais chaque fois, c’est le cinéma qui prend le dessus privilégiant l’intelligence du spectateur. Dans «Pluie de Homs», c’est le pathos qui l’emporte. L’idée de l’encerclement est aussi omniprésente mais très vite neutralisée par les sorties vers l’autre, le hors champ redevient le jeu télévisuel du champ contre champ. Joud va filmer les snipers, les fait parler et les suit dans leur logique en filmant à leur manière la violence…jusqu’au bout. Le public applaudit quand le terroriste Abu Abdellah explose dans l’opération suicide menée par Rim…Comme dans les clips de Daech, le spectateur est maintenu dans son impuissance face à des images répondant à son désir (goût du sang et jouissance de violence).

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