Donald Trump à la Maison Blanche et El Chapo à la Cour de Brooklyn…

Est-ce un hasard si Joachin Guzman dit «El Chapo», le puissant baron de la drogue du cartel de Sinaola au Mexique, a été extradé vers les Etats-Unis au moment-même où le monde entier avait les yeux rivés vers les écrans de télévision dans l’attente de l’investiture de Donald Trump quand bien même le célèbre trafiquant avait multiplié les recours juridiques pour éviter d’être jugé au pays de l’Oncle Sam?

Mais qui est donc ce prisonnier qui fait tant de bruit ? Joachin Guzman dit «El Chapo» qui en espagnol signifie «le trapu», «le courtaud» du fait de sa petite taille, est l’un des narcotrafiquants les plus recherchés au monde notamment après une première évasion en 2001 d’une prison de haute sécurité mexicaine, huit ans après son incarcération, caché dans un panier à linge sale. Arrêté en Février 2014 à Mazatlan, une station balnéaire mexicaine, il s’échappera dix-sept mois plus tard de la célèbre prison de haute sécurité d’El Altiplano, près de Mexico, après avoir fait creuser un tunnel sous la douche de sa cellule. Il sera de nouveau arrêté en Janvier 2015 à Los Mochis dans son fief de Sinaola.

Si l’on en croit Alejandro Hope, un expert américain en sécurité, cette extradition intervenue aux dernières heures de la présidence de Barack Obama ne serait pas le fruit du hasard mais découlerait bien du désir des autorités mexicaines de ne pas offrir au nouveau locataire de la Maison Blanche « une victoire trop facile » qui lui aurait donné «l’occasion de fanfaronner», «d’ouvrir sa gueule» diront d’autres. Mais cette explication – même si elle peut s’avérer plausible – n’est pas la seule car il se pourrait aussi que cette extradition soit, en fait, une main tendue au nouveau président américain et un message lui signifiant que le Mexique accorde une grande importance à la lutte contre les narcotrafiquants puisque, selon l’une des avocates d’El Chapo, l’examen de l’appel interjeté par celui qui avait usé de tous les moyens légaux pour ne pas être extradé vers les USA était toujours en cours.

Mais le juge Jorge Chabat, spécialiste du crime organisé au Centre de Recherche et d’Enseignement Economiques (CIDE), voit, de son coté, dans cette extradition «une manœuvre habile du gouvernement mexicain pour monter qu’il peut être un allié crucial des Etats-Unis contre le crime organisé» alors que le programme protectionniste du nouveau président prend pour cible le Mexique tant sur le plan migratoire que sur le plan commercial.

Il ne serait pas inutile de rappeler, par ailleurs, que cette extradition avait été, pendant longtemps, refusée par le Président mexicain qui souhaitait voir «le plus puissant narco-trafiquant de l’histoire du Mexique» jugé dans son propre pays. Or, ce dernier a fini par changer d’avis après que le baron du cartel de Sinaola se soit échappé en faisant creuser, par les siens et sous les sanitaires de sa cellule, un tunnel long de 1,5 km ; ce qui fut un véritable camouflet pour les autorités mexicaines et qui révéla l’ampleur du «pouvoir corrupteur» de l’intéressé. Aussi, cette extradition permet-elle au président mexicain d’éviter l’humiliation d’une nouvelle évasion.

Mais tel n’est, cependant, pas l’avis du procureur adjoint mexicain chargé des affaires juridiques et internationales qui estime, pour sa part, qu’elle n’est pas «liée à l’actualité politique» d’abord parce que Mexico l’avait approuvé en Mai 2016 lorsque les autorités de Washington lui avaient donné la garantie que la peine de mort ne serait pas demandée à son encontre puis aussi parce que ce jeudi, un juge de la ville de Mexico a rejeté les deux derniers recours déposés par les avocats du célèbre trafiquant  après que la Cour Suprême du Mexique ait refusé la veille de se saisir du dossier «El Chapo».

Cette décision a ainsi ouvert la voie à l’extradition du célèbre narco-trafiquant réclamée par le gouvernement américain depuis son arrestation le 8 Janvier 2016 et à sa comparution devant les autorités américaines qui entendent le poursuivre pour dix-sept chefs d’accusation émis par les Etats de Chicago, de Miami, de Brooklyn, de Manhattan, du Texas et de Californie et allant du trafic de drogue au blanchiment d’argent en passant par la délinquance organisée, l’enlèvement, la séquestration, le crime et l’achat d’armes illégales. Pour le seul Etat de New York l’intéressé est accusé de douze homicides dont celui d’avoir dirigé le cartel de Sinaola, alors que ce chef d’accusation peut à lui seul valoir à l’intéressé la réclusion à perpétuité.

Sa comparution, sous haute surveillance, ce vendredi après-midi devant le Tribunal Fédéral de Brooklyn n’a duré que dix minutes durant lesquelles il a plaidé non coupable.

Le procès du célèbre prisonnier, qui s’annonce donc très « complexe » dans la mesure où les activités du cartel qu’il dirigeait étaient «très vastes», reprendra le 3 Février prochain alors qu’Andres Granados, l’un de ses avocats, a déclaré que son client déposerait un recours auprès de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme.

Ce dernier a aussi évoqué «une possible négociation dans l’espoir d’une réduction de peine» car El Chapo pourrait fournir des informations capitales sur les protections dont bénéficie son cartel des deux côtés de la frontière alors que le juge Jorge Chabat qui estime que «l’arrestation de politiciens mexicains corrompus sera sans doute en jeu dans les négociations entre les deux pays» s’interroge, de son côté, sur l’impact «que pourrait avoir cette extradition sur le programme anti-mexicain d’un homme aussi imprévisible que Donald Trump».

Il semble donc que même derrière les barreaux de la plus grande puissance mondiale le baron du cartel de Sinaola a encore son mot à dire et que le dossier de Joachin Guzman Loera alias «El Chapo» n’est pas prêt d’être clos.

Nabil El Bousaadi

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