La vie était belle…
Quand nous étions encore petits…
Et l’antenne de la télévision a poussé sur les toits de nos maisons. Pour mon feu-père, acheter un téléviseur était une aventure financière qui risquerait d’ébranler la trésorerie familiale provoquant une crise économique grave dont les conséquences seraient catastrophiques. Pour le contraindre à s’y résigner, ma mère a usé d’un subterfuge féminin infaillible : Chaque soir, elle emmenait sa progéniture regarder la télé chez les voisins. Ne pouvant plus supporter de passer ses soirées seul dans une maison vide, triste, silencieuse et ennuyeuse, il consentit enfin à acheter, à crédit, la fabuleuse télé tant convoitée et si désirée…Ma joie était indescriptible le jour où, de retour de l’école, j’ai trouvé un technicien en train d’installer l’antenne sur le toit de notre maison basse ! J’étais tellement heureux que j’ai embrassé cet inconnu et oublié de prendre mon déjeuner… Il n’y avait qu’une seule et unique chaîne sans rivale, comme Eve, et en noir et blanc s’il vous plaît ! On attendait toute la journée, avec une impatience mortelle, le début des émissions, en début de soirée. Je restais assis, figé, durant plus d’une heure, regardant l’écran de la télé éteinte, qui trônait, majestueuse, au beau milieu du salon. A l’heure précise, j’appelais ma mère en criant pour qu’elle vienne l’allumer. Moi, je n’avais pas le droit d’y toucher. Et si je la mettais en panne ? Cela serait une catastrophe, une tragédie, un drame ! La télé commençait toujours par la lecture du Coran et se terminait, en fin de soirée, par «Tchach !» (minuscules pointillés parsemant l’écran)… La télé nous fascinait, nous émerveillait, nous faisait rêver, nous rendait heureux. Qui pourrait oublier ces feuilletons fabuleux comme Bonanza, Les Envahisseurs, Le Fugitif, Arsène Lupin, La Petite Maison dans la Prairie, etc.…C’était l’évasion, le rêve, les sensations fortes, la magie et la féerie des images ! On a oublié la radio, on a oublié les contes merveilleux ; Vive la télé !
La vie était belle…
Quand nous étions encore petits…
Et nous étions des écoliers. Le maître était vraiment un maître : Il détenait le savoir et avait tous les pouvoirs. Il était le berger, nous étions ses brebis. Respecté, redouté, craint et vénéré, il avait sur nous une influence sans limite, souvent supérieure à celle de nos parents qui ne contestaient jamais ses décisions et son comportement, ses punitions et son châtiment… Écoutez cette anecdote: Un jour, mon maître de français, Monsieur El Jari, m’a donné un violon coup de poing dont le résultat immédiat était un bel œil au beurre noir! Quand j’ai dit à mon père que c’était le maître qui m’avait poché l’œil, il m’a ordonné de le suivre. Je croyais, naïf, qu’il allait mettre en exécution la fameuse loi du talion «Œil pour œil, dent pour dent !»… Le père a demandé: «Pourquoi, tu l’as frappé ? Le maître a répondu : Parce qu’il n’a pas appris sa leçon. Le père a conclu: Sil’œil droit ne suffit pas, tu peux lui pocher l’œil gauche !» Fin de la discussion… Le directeur, lui, était le seigneur absolu et le maître incontesté des lieux. L’école était sa propriété privée où il faisait la pluie et le beau temps. J’ai passé cinq ans à l’école primaire sans connaître son véritable nom. Tout le monde l’appelait «l’école de Lougdali» (Lougdali, c’est le nom du directeur) ! J’ai passé cinq ans, dans cette école et je n’ai eu le privilège et l’honneur de voir le somptueux bureau du directeur sans oser m’asseoir dans le luxueux fauteuil en cuir noir qu’une seule et unique fois : Le jour de mon inscription, accompagné de mon géniteur !… Pour nous, aller à l’école n’était nullement une partie de plaisir et personne n’y allait avec joie et enthousiasme. Même les bons élèves détestaient l’école!
A l’école, on nous matait, on nous dressait, on nous domptait, on nous frappait, on nous insultait, on nous maltraitait pour nous éduquer, nous apprendre à lire et à écrire dans le but de faire de nous de bons citoyens pour demain! On n’aimait pas l’école. Combien de fois nous avons prié de toutes nos forces pour ne pas aller à l’école: Un accident, une maladie, une épidémie, un fléau, des inondations et même un tremblement de terre ! Nous priions pour que le maître meure ou que l’école prenne feu ! Et chaque Lundi, nous attendions le vendredi pour jeter nos cartables et aller jouer dans la rue toute la journée, enfin libres !… Vous vous rappelez sûrement la cantine à midi: Gros quignon de pain garni de lentilles et quelques dattes. Et ne me dites pas que vous avez oublié ces terrible séances de soins médicaux et d’hygiène scolaire : L’inoubliable pommade jaune pour les yeux, que l’on appelait non sans ironie «Caca des chats», et cette poudre malodorante pour tuer les poux de nos cheveux, et les vaccins; Quelle atroce douleur! En plus, leur cicatrice est indélébile; Tu l’auras toute ta vie!
La vie était belle…
Quand nous étions encore petits…
Hélas!
Tout cela n’est plus que réminiscences
Souvenirs
Nostalgie !
Mostafa Houmir