Entretien avec Rachid Mountasar, directeur l’ISADAC

«La formation artistique doit articuler à la fois un savoir-faire technique et un regard critique»

Propos recueillis par Fatima Makdad*

Rachid Mountassar est un artiste multidisciplinaire. Il est né en 1966 à Casablanca. Titulaire d’un diplôme d’Etude Approfondie en Anthropologie du théâtre de l’Université Paris 8 et d’un doctorat de l’Université de Paris 3. Il enseigne, écrit et diffuse le théâtre depuis 1997 et c’est en 2003 qu’il s’établit à Taza entant que professeur habilité de Littérature Française à la Faculté Polydisciplinaire de Taza, Université Sidi Mohamed Ben Abdellah De Fès.

Son talent d’auteur et de conférencier prolifique et éclectique se démarque par sa versatilité et sa vocation à se convertir à d’autres champs culturels, artistiques, il s’intéresse, entre autre, à la médiation culturelle, l’animation des ateliers du théâtre et de l’écriture dramatique, l’organisation du Festival international du Spectacle de Taza, etc… Il collabore en tant qu’auteur dramaturge avec divers universités espagnoles, françaises et marocaines. Depuis 2014, il est membre de la commission nationale à la production théâtrale au ministère de la culture. En mars 2018, il est officiellement le directeur de l’Institut d’Art Dramatique et d’Animation culturelle (ISADAC). Cette nomination est la raison d’être de cet interview afin de savoir plus sur son projet pour diriger l’ISADAC.

Question : Quelle est votre philosophie de la formation artistique ?

Réponse : Je pense que la formation artistique est doublement exigeante contrairement aux formations dites universitaires et surtout fondamentales. Cela ne veut pas dire qu’il y a des étanchéités entre les deux. La formation artistique doit articuler à la fois un savoir-faire technique qui est très exigeant et qui peut s’étaler sur pas mal de temps, et en même temps un regard critique sur cette formation. Le savoir-faire dépend donc de chacune des spécialités dispensées dans les trois filières (interprétation, animation culturelle et scénographie).

Pour l’interprétation, un acteur c’est quelqu’un qui a à la fois une grande conscience de son corps et de sa voix mais qui peut aussi, grâce à ces techniques et grâce à un travail de l’imagination, être en mesure de nous transporter à chaque fois dans les univers qu’il crée par son jeu dans tel ou tel œuvre. J’ai la conviction que plus on offre de méthodes d’interprétation, si l’on peut parler de méthodes d’interprétation à l’acteur, plus il aura par la suite la possibilité de choisir vers quelle voie s’orienter lui même en tant qu’artiste, en tant que créateur.C’est à ce niveau là où s’impose l’idée de ce que j’appelle le regard critique sur son travail, par exemple, quelqu’un qui va s’intéresser à la vision de théâtre telle qu’elle est présentée dans les travaux de Augusto Boal, évidemment, il va verser vers un courant dans lequel le théâtre est considérée comme un outil de diagnostique et de détection des problèmes sociaux qui sont parfois très pesants. Pour conclure, je dirais qu’on doit être à la fois dans l’exigence d’un savoir-faire technique afin de mobiliser les compétences du futur acteur/actrice, mais en même temps lui fournir tous les moyens qui seront à même de lui ouvrir les canaux de son imagination et lui donner les outils conceptuels et théoriques pour penser et réfléchir son travail.

Et pour le reste des départements ?

Pour la scénographie et l’animation culturelle, je pense qu’il y a un réel travail à faire au niveau de ces deux départements, (l’interprétation en a besoin aussi)qui consiste à être à l’écoute des nouvelles tendances(même si je n’aime pas trop ce mot). Mais surtout l’évolution sociale et sociologique de notre société car, il me semble, il y a là des profils de sortie et en tant qu’institut de formation artistique, il est de notre devoir de fournir à ces étudiants une formation très spécialisée, très pointue et qui devient de plus en plus recherchée. Je pense par exemple à l’animation culturelle, le ministère de la culture et de l’information a commencé depuis un certain temps a revalorisé le patrimoine architectural à travers des sites archéologiques, historiques etc. Oui pour la valorisation de patrimoine, mais il faut chercher les moyens pour donner vie à ces espaces.D’autres secteurs ministériel très intéressants comme le tourisme qui présente une source importante d’embauche. De ce fait les lauréats de l’ISADAC peuvent être des profiles pouvant répondre au besoin de ces secteurs et d’autres. Telle résolution va exiger de l’administration de notre Institut un véritable travail de réflexion à faire.

Une autre question m’obsède, il s’agit de trouver les moyens pour aider les étudiants de l’animation culturelles à être plus créatifs dans les projets de fin d’étude qu’ils proposent. Il ya encore de la difficulté à donner libre cours à leur imagination tout en étant dans le réalisme de pouvoir mener à bien le projet d’animation ; comment concevoir un concept d’animation, quels sont les contraintes de trouver ses partenaires, les exigences budgétaires…

D’autant plus que nous allons bientôt rentrer dans le système LMD (licence, master doctorat) donc on est amené à penser à des profiles qui n’existaient pas avant et je crois aussi c’est la mission de la formation artistique de permettre l’insertion professionnelle de nos lauréats.

Est que vous pouvez me parler de votre projet pour l’ISADAC ?

Le soucis majeur et l’objectif principal qui ont orientés le projet que j’ai présenté et qui a été accepté tant par la commission que par le ministère de la culture et de l’information, peut se résumer encore une fois en deux mots : l’insertion professionnelle des lauréats, et qui dit insertion professionnelle dit enseignement, transmission d’un savoir-faire dans une situation de travail concrète qui est acteur scénographe et animateur culturel.

Le deuxième volet, c’est la recherche dans le domaine de trois départements. Comment arriver à concrétiser mon projet ? Il me semble que l’inscription de l’ISADAC dans le système LMD doit tenir compte de quel pôle de recherche privilégier pour que l’on puisse à la fois être un institut supérieur, donc on doit pouvoir donner les instruments à nos étudiants et nos lauréats la possibilité de poursuivre de recherches supérieures en Master et en doctorat.  Je pense qu’au niveau de l’université marocaine, (et j’en connais quelque chose) le besoin d’intégrer les arts commence à se sentir et même dés le primaire. Ce n’est pas vraiment une envie temporaire ou un caprice mais réellement une nécessité dépendante de l’être humain dans un contexte social donné. L’art permet d’avoir une possibilité de connaître soi même et d’établir des relations communautaires avec les autres (même si c’est un pléonasme) une relation communautaire qui ne soit pas basée sur la violence et les tensions mais qui ouvre des espaces de non violence, d’ouverture et d’échange libre et responsable.

Vous savez au départ qu’assumer la direction de l’ISADAC et une aventure très difficile et pourtant vous l’avez accepté, quelles sont vos motivations ?

Pour être honnête, quand on m’a demandé de me présenter à ce concours, ma réponse était non au départ, et il m’a fallu six mois pour dire oui, je vais me présenter. Je vais le résumer en une phrase, d’autant plus que votre question est pertinente que ça me permet de dire cette phrase ; c’est la notion du plaisir et aussi du partage. C’est le plaisir de former des artisans qui vont devenir par la suite des artistes et du partage des compétences personnelles de par mon expérience à la fois à l’université mais aussi dans le domaine de la création théâtrale et dans le domaine de l’animation puisque j’ai dirigé trois ou quatre festivals que soit en Espagne ou au Maroc.

Former, je trouve c’est un métier très noble, là je suis en train de dire une évidence, mais parfois c’est bien de rappeler des évidences.

A chaque fois que je me réveille et je viens à l’ISADAC c’est parce qu’il y a un plaisir au-delà, si vous voulez de cette vision que j’ai présenté dans le projet. La particularité de l’ISADAC c’est qu’il est artistique, c’est question de l’art ; et en art s’il n’ya pas de plaisir et du partage, la formation va être sèche.

Professeur-chercheur, comment vous pensez réadapter vos manières d’enseigner au poste de directeur ?

C’est une très bonne question, parce qu’être enseignant universitaire est un avantage, mais il peut être un handicap.

Un avantage, parce qu’on essaie de raisonner le travail, d’avoir une certaine méthodologie dans tout ce qu’on va mener, d’avoir par exemple une certaine cohérence dans la programmation didactique des cours et des séminaires, d’avoir des objectifs généraux et d’autres spécifiques. Il permet également d’avoir des outils très clairs d’évaluation des objectifs, par conséquent la responsabilité de Rachid Montassar en tant qu’enseignant à l’université est énorme, je dois le dire, c’est à dire quelle est l’exigence que nous devrions avoir ici à l’ISADAC pour assurer cette formation.

Il peut être un handicap (avec tout le respect que je dois aux amis et collègues universitaires) parce que des fois on est dans un monde un peu isolé de la réalité. Par contre à l’institut on travaille avec des corps, des êtres humains parfois très fragiles ; des jeunes. Il ya cette dimension humaine et ce rapport humain immédiat avec l’apprenant que nous n’avons pas à l’université ; pour des raisons multiples, le ratio n’est pas le même et c’est tant mieux que ça soit ainsi.C’est un avantage certes mais il est peut-être difficile parfois même problématique, si on n’est pas conscient de cette dimension humaine, de ce rapport de chair, d’os et de sueur. J’essaie à chaque fois de dire qu’on est à la fois dans le domaine universitaire puisque c’est Institut Supérieur mais en même temps on est dans un domaine très spécifique qui nécessite un suivis individuel, une relation de proximité avec l’étudiant.Chaque étudiant est un univers, et à nous administration mais surtout enseignants d’être premièrement attentifs à cet univers singulier (à cette espèce de mini culture), faire en sorte de fédérer leurs énergies pour qu’ils puissent travailler en collectivité. C’est ça, en fait le propre d’un institut, à la fois l’individuel et en même temps cet individuel va établir des relations avec les autres pour créer un moment artistique que l’on appelle le spectacle théâtral final.

Je pense, au final que ma double casquette d’universitaire, d’écrivain dramaturge et mon travail avec des acteurs (même si mon expérience d’acteur est très minime) m’ont permis d’avoir cette conscience de la particularité du théâtre et d’être sensible à ce que nous appelons la spécificité de la formation.

Dans le contexte culturel et artistique actuel, quels sont les points forts et les points faible de l’ISADAC

C’est une question très délicate. Il me semble que parmi les points forts de l’ISADAC c’est ce sentiment d’équipe que j’ai senti quand j’ai commencé les premières semaines ; je suis sur qu’il existe, ce n’est pas une projection fantasmée de mon inconscient, il existe parce que je l’ai senti.

C’est cette esprit de tribu travaillant durant des années et  dédiant sa vie, je peux le dire , à la formation à l’intérieur de cet institut et qui a des inquiétudes comme n’importe quelle tribu pouvant vivre des tentions et des malentendus, mais ce qui est extraordinaire et formidable  ( je ne suis pas du tout dans une vision romantique) c’est  qu’il suffit d’un seul élément  qui révèle et dégage l’excellence de nos étudiants  et que tout d’un coup ce sentiment de  la tribu laisse de côté ses tentions et ses malentendus. Il y a presque une fusion, un esprit de communion. Quand il y a ce plaisir de voir ces excellences (je parle des choses très concrètes ; c’est les travaux de fin d’étude de nos lauréats de cette année)tout se dilue, tout disparait au moment où l’on voit le résultat final. Personnellement je trouve fabuleuse cette aura.

Nous parlions tout à l’heure de l’université où c’est très rare d’avoir ce sentiment, parce qu’ici on est dans le vivant ; le spectacle vivant. Pareillement pour la médiation culturelle, on est dans la créativité c’est à dire comment les étudiants ont projeté tout leur savoir-faire et l’ont transformé en concepts qui sont les leurs, sont propre à eux. En un mot c’est fantastique de voir cette créativité chez les lauréats.

Pour les points faibles, je préfère parler d’espace ou d’axe d’amélioration, je ne fais pas de coaching quand je dis ça. Oui on a, je pense, tous besoin de développer certaines lignes dans lesquelles il y a encore des besoins de formation continue et je commence par moi même car je n’ai jamais eu une responsabilité administrative aussi grande comme ça pourrait être la direction de l’ISADAC. Donc on a besoin de formation, d’améliorer nos compétences, notre rendement. La même chose peut être dite des enseignants. Ainsi je pense que si on est conscient de ça, si l’on arrive à accepter en toute humilité  certaines réalités, on peut faire vivre à cette tribu plus des moments de communion et de fusion communautaire.

Nous avons parlé tout au long de cette interview de la direction à l’ISADAC et ses attributions, maintenant je vais changer le cours des questions pour parler de l ‘enseignant. M, Mountasar, comment vous qualifieriez les qualités qu’un enseignant d’art doit avoir pour qu’il soit apte à former des futurs artistes.

Je pense que la qualité majeure (et là il n y’a pas de modèle) mais il me semble que s’il y a une seule qualité c’est la grande capacité d’observation de ses étudiants c’est ce que les adeptes du PNL (Programmation neuro-linguistique)appellent l’acuité sensorielle parce que, comme je l’ai dis tout à l’heure, on est dans un rapport humain  et il  faut à chaque fois s’assurer de degré de réceptivité chez les étudiants , est ce qu’ils ont très bien assimilé le dernier cours donné pour pouvoir avancer sur des nouveaux concepts et  des nouveaux objectifs. Je pense qu’un enseignant d’art de manière général, même je le dis en toute humilité – moi j’ai enseigné beaucoup plus la dramaturgie-, mais je pense par exemple à un enseignant d’expression corporelle ou un enseignant d’expression vocale, du chant ou de diction… je crois, qu’il doit accompagner l’étudiant dans son parcours durant toute la formation et pouvoir bien l’accompagner il faut que j’observe et que j’aie cette acuité sensorielle j’allais dire presque fusionnelle avec l’étudiant. Je crois que c’est un travail exigeant, mais très important, crucial même dans cette relation. Je ne dirais pas maître-disciple, parce que ça va impliquer beaucoup de chose mais je dirais tout simplement enseignant-étudiant. Enseignant d’un savoir faire pratique et étudiant qui est venu justement pour se découvrir lui même et découvrir ses relations avec les autres.

Pour ce qui est pratique, mais également pour ce qu’est théorique parce que l’ISADAC est inscrit aussi dans cette dimension de la recherche.

Tout à fait juste. Pour la dimension théorique, on doit aussi faire un travail d’accompagnement individualisé d’autant plus que nous avons la chance dans cette institution parce que nous n’avons pas deux milles étudiants à qui on va donner des cours dans des amphis de sept cents mille places. Nous avons un nombre réduit d’étudiants et ceci permet un enseignement de qualité et de proximité pour développer les capacités critiques des étudiants en s’ouvrant sur les sciences humaines, sur toutes les variantes de l’anthropologie comme l’anthropologie du spectacle de la psychologie, rapport thérapie- théâtre, sociologie du théâtre etc. C’est enfin lui donner, à l’étudiant, les moyens d’être à la sortie bien outillé conceptuellement et intellectuellement parlant.

Que peut faire les jeunes pour qu’ils soient admis au concours de l’ISADAC ?

La première des choses c’est qu’ils doivent répondre à la question suivante : Pourquoi je veux rentrer à l’ISADAC ? Et que la réponse soit consciente. Quelle est la véritable motivation qui me pousse à choisir un terrain qui est très particulier. La deuxième exigence c’est de lire le maximum d’œuvres théâtrales écrites ; commençant par les grecs jusqu’au théâtre arabe et marocain. Deuxième aspect c’est d’essayer de suivre des ateliers qui sont donnés par des professionnels du théâtre au niveau des directions régionales du ministère de la culture, au niveau des directions provinciales qui sont dirigés par des lauréats de l’ISADAC ou qui sont dirigés par des responsables sensibles à la formation pratique. Donc, si j’ai un conseil à leur donner c’est 1) pourquoi je veux choisir l’ISADAC avoir une réponse claire et objective. 2) lire le maximum de texte du théâtre et 3) Suivre des formations. Alors maintenant ça peut varier venir à l’ISADAC, je viens à l’ISADAC pour scénographie ou animation médiation culturelle et là il faut aussi se poser ces mêmes questions et lire, ne pas attendre jusqu’au début de la formation pour essayer de capitaliser mais venir déjà avec un capital, avec des expériences pratiques que ça soit dans le domaine du théâtre, de la scénographie ou de l’animation culturelle. Travailler dans le cadre des associations. Nous avons des associations qui font un travail extraordinaire et qui le font justement parce qu’il ya une implication personnelle, sociale, intellectuelle etc.Voilà donc en gros les conseils si je peux me permettre de donner à ces jeunes, d’ailleurs il y a un projet dans ce sens. L’ISADAC va commencer à faire des capsules qui serons publiés sur YouTube et qui seront dirigés à des futurs candidats de l’ISADAC et dans lesquelles on va expliquer point par point le déroulement du concours pour qu’ils puissent s’imprégner de l’ambiance et venir bien préparés.

*(Professeur à l’ISADAC chercheur en Education Artistique)

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