Entretien avec Fatema Echaabi, membre du bureau national du Snesup

Promouvoir l’enseignement supérieur

Al Bayane: Quel bilan faites-vous du processus de réformes entamées au niveau l’enseignement supérieur au Maroc?

Fatema Echaabi : Depuis l’indépendance, le Maroc a connu tout un processus de réformes dans divers secteurs publics dont l’enseignement supérieur. Au début, le grand souci de l’Etat était, d’abord, de  marocaniser  les institutions et les cadres supérieurs afin d’aboutir à une Indépendance complète du pays. Si l’Etat et le Ministère de tutelle à l’époque ont pu réussir cette politique de «marocanisation», on ne peut pas dire autant des réformes qui ont succédé tout au long des dernières décennies.

On ne peut pas nier qu’il y a eu un processus de réformes du Secteur de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique ainsi qu’une volonté de développer l’Université Marocaine aussi bien de la part du Ministère de tutelle que de celle du Syndicat National de l’Enseignement Supérieur SNEsup. Nonobstant, la stratégie du ministère est loin d’être celle du SNESup en ce qui concerne la vision globale du développement de l’Université publique et les lois qui régissent l’Enseignement Supérieur.

Une autre étape des réformes consiste dans le projet de l’arabisation des programmes scientifiques au niveau des trois étapes scolaires et qui n’a pas pu être généralisé au niveau de l’enseignement supérieur.  Ceci a contribué, d’une manière directe et flagrante, à la baisse des taux de réussite dans les universités et, surtout, les facultés des sciences.

Par ailleurs, la Charte Nationale de l’Education et la Formation, qui a vu le jour à la veille du 3e millénaire, avait mis l’accent, entre autres choses,  sur l’égalité des chances et le capital humain : l’enseignant, l’élève, l’étudiant et les parents devraient constituer le centre d’intérêt de tout le système éducatif. Or, rien de tout cela n’a été respecté…

D’autres genres de problèmes ont commencé avec le système LMD, issu de l’accord de Bologne entre les universités des pays européens et appliqué (en octobre 2003) chez nous au Maroc (tel qu’il est en théorie) sans aucune préparation préalable du terrain ni des conditions qui lui auraient assuré la réussite. Le but était de garantir une équivalence entre les diplômes marocains et ceux de l’Europe ; sachant que les diplômes de l’ancien système avaient plus de valeur scientifique.

Ensuite, et sur instructions du Souverain après la publication en octobre 2008 du 1er rapport sur l’état de l’Ecole Marocaine et ses perspectives par le CSE, il y a eu le Programme d’urgence 2008-2012 (réforme de la réforme!),  qui a octroyé des budgets colossaux aux universités marocaines aussi bien pour les infrastructures que pour la recherche scientifique. C’était une lueur d’espoir et une bouffée d’oxygène pour toutes les constituantes de l’Université : enseignants chercheurs, étudiants  et administration. Mais cette lueur s’est vite éteinte. Les causes sont multiples et diverses. Cependant, une vraie évaluation aurait mis le doigt sur le positif et le négatif dudit programme et, par conséquent, aurait permis au Secteur de l’En. Sup. d’aller de l’avant.

Suite au Printemps Démocratique, on peut dire qu’il y a eu toute une remise en cause de l’état de l’Enseignement au Maroc. Nous avions espéré que la politique du département de tutelle irait vers une démocratisation de ce secteur et vers une justice sociale où l’égalité des chances serait le maître mot pour un enseignement supérieur public accessible à tous. Mais cette remise en cause du ministère avait plutôt pour but de commercialiser l’enseignement et le Savoir.

Face au désengagement de l’Etat envers l’Université publique, le Snesup a mené (et mène toujours) un combat pour la défense de celle-ci et pour le droit à un enseignement public de qualité. Il avait même constitué un Front National pour défendre l’Enseignement Public en y impliquant les autres syndicats, les partis politiques et certains organismes des Droits de l’Homme.

Aujourd’hui, la politique tracée pour l’Enseignement Supérieur est loin d’être en faveur du Savoir et du développement de la Pensée Humaine.

Dans son dernier communiqué (du 2 octobre 2017), le Bureau national du Snesup a appelé au boycott du projet lancé par le ministère à propos d’une évaluation pédagogique improvisée et imposée sous forme de rencontres/ateliers sans aucune considération ni des structures universitaires (Conseils des départements et Conseils des établissements) ni des propositions du Snesup. La décision de boycott du Bureau National a été corroborée par le Comité Administratif dans sa réunion du 8 octobre dernier (je vous invite à lire le communiqué issu de cette réunion).

Qu’en est-il de la loi 01/00 relative au statut de l’enseignant et du management de l’université?

Il faut faire la différence entre la loi 01.00 qui régit et organise l’Enseignement Supérieur et la Recherche Scientifique et le Statut de l’enseignant chercheur qui définit ses fonctions, ses responsabilités et ses différentes tâches au sein des établissements supérieurs et des institutions de la recherche. Les deux constituent de grands chantiers et de vrais défis pour le Ministère et pour le Syndicat.

Pour ce qui est de la loi 01.00, nous avions commencé, depuis 2014, au sein d’une commission mixte, à discuter les Principes Généraux de ladite loi en proposant de  tracer une stratégie pour les 15 ou 20 ans à venir. Mais nous en sommes malheureusement restés à ce stade car le département de tutelle n’est pas d’accord avec notre vision et voulait juste modifier la présente loi en y introduisant les PPP (partenariat public-privé) allant ainsi vers une sous-traitance de l’université marocaine.

Avec les actuels responsables, le Snesup a eu l’occasion (le mois de mai 2017) de présenter la même vision et la même stratégie en aspirant à un travail d’équipe avec le Ministère de tutelle. Mais, comme je l’ai mentionné au début, la vision du snesup n’est pas du tout partagée et les choses vont de pire en pis : vers une libéralisation anarchique des services publics et une «déformation du système éducatif». Ni la charte, ni la loi 01.00 n’ont été respectées!

 Aujourd’hui, les organismes internationaux reprochent à nos universités son manque de compétitivité, comment s’explique cette situation?

L’un des objectifs du Programme d’urgence était, justement, d’améliorer la qualité de l’enseignement supérieur et la productivité de la recherche scientifique afin d’assurer une certaine compétitivité ; mais le manque de vision stratégique claire et bien étudiée a donné les résultats qu’on connaît tous.

Pour remédier à ce manque de compétitivité, le ministère a mis en marche (à partir de 2015) le processus d’unification des universités sous forme de pôles dans les villes où il y en a plus d’une (le cas de Rabat et Casa-Mohammédia) : l’objectif, entre autres, étant de capitaliser le nombre de publications et productions scientifiques afin de gagner quelques points au classement mondial.

Comment peut-on expliquer l’anarchie qui prévaut dans le secteur de l’enseignement supérieur privé?

C’est vrai que c’est un secteur où règnent l’anarchie et l’improvisation. Pourtant, il y a tout un chapitre qui le réglemente dans la loi 01.00. C’est aussi un secteur où règnent beaucoup d’ambiguïté et de zones d’ombre aussi bien pour les étudiants que pour leurs parents. Bien que les universités dites privées aient pu obtenir  des accréditations, rien n’est garanti à la fin du cursus, car les étudiants se trouvent devant un tas de problèmes, notamment celui de l’équivalence.

Nous n’avons rien contre l’enseignement supérieur privé si celui-ci respecte la loi qui régit tout le Secteur et à condition qu’il ait un impact positif sur le Secteur Public. Nous ne voulons pas un Maroc à deux vitesses…

Le SNESUP a-t-il des doléances, si oui lesquelles?

Bien sûr ! Nous avons hérité d’un dossier revendicatif très important. Un seul point a été résolu et est apparu dans le Bulletin Officiel du 7 septembre 2015 : il s’agit du passage du grade PH au grade PES. Restent d’autres points pour lesquels nous avons des promesses notamment le doctorat français et le grade exceptionnel. Mais le plus grand combat que toute la société doit mener avec ferveur est celui de défendre l’Enseignement Public à tous les niveaux. Les citoyens doivent être conscients du danger qui guette leur avenir et, surtout, celui de leurs enfants. L’inégalité des chances, l’injustice sociale et les solutions improvisées et mal étudiées menacent la stabilité de notre pays. Le rôle des syndicats, des partis politiques et de toute institution citoyenne n’est pas seulement de tirer la sonnette d’alarme mais aussi de s’impliquer intégralement dans le projet du changement vers un Maroc meilleur.

Propos recueillis par: B. Amenzou

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