Attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi
C’est sous les applaudissements nourris des députés de la majorité que, mercredi dernier, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a promis que les villes de Tall Rifaat et Manbij au nord de la Syrie seront « nettoyées des terroristes » ; entendez, par-là, les combattants kurdes des Forces Démocratiques Syriennes (FDS) liés au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).
Il a, également, saisi cette occasion pour fustiger le principal chef de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu, en l’exhortant à déclarer s’il était prêt ou non à soutenir « les opérations contre le PKK » et à défendre « la politique » de l’Etat turc « dans le débat sur l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN ».
Ainsi, en dépit des inquiétudes de Washington, les forces armées turques qui attaquent régulièrement les bases arrières du PKK dans le nord de l’Irak, s’apprêteraient à entreprendre une nouvelle incursion contre les positions kurdes au nord de la Syrie avec pour objectif d’établir une « zone de sécurité » de 30 kilomètres de large et 458 kilomètres de long entre la région d’Afrin, conquise par les turcs en 2018 et la ville de Kamechliyé, dans l’est, située non loin d’une base aérienne de l’armée russe .
Pour rappel, à son retour d’une visite en Azerbaïdjan, Recep Tayyip Erdogan avait déclaré à un groupe de journalistes : « On ne peut pas lutter contre le terrorisme en attendant la permission de qui que ce soit (…) Que ferons-nous si les Etats-Unis ne font pas leur part dans la lutte contre le terrorisme ? Nous nous débrouillerons seuls. »
Ainsi, dès lors qu’il peut faire jouer son droit de véto sur l’intégration de la Suède et de la Finlande au sein de l’OTAN, le président a clairement déclaré, dans son discours, que pour lancer son offensive, il « n’attendra pas la permission » des Etats-Unis.
Cette nouvelle opération turque ayant déjà été évoquée par le président Erdogan le 23 mai dernier, juste après que Stockholm et Helsinki aient demandé leur adhésion à l’alliance atlantique, Dorothée Schmid, responsable du programme « Turquie et Moyen-Orient » à l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), estime que c’est dans le cadre de « la recomposition des intérêts collectifs de l’OTAN, (que) la Turquie essaie de mettre en place une négociation très large pour que ses intérêts au Moyen-Orient soient considérés comme les objectifs communs de l’Alliance ».
Cette conquête de nouveaux territoires s’inscrit, par ailleurs, dans le droit-fil du plan déjà annoncé par le président Erdogan qui prévoit le renvoi de plus d’un million de réfugiés syriens sur les 3,7 millions qui sont actuellement hébergés par la Turquie mais aussi la construction de 200.000 logements dans « des zones sûres » situées « près de la frontière ».
Le timing choisi pour cette opération n’est pas anodin car en intervenant en pleine crise économique et à une année du prochain scrutin présidentiel, une intervention de l’armée turque contre les combattants kurdes se transforme, automatiquement, en un enjeu électoral qui donne l’occasion, au président turc, d’essayer de raviver le sentiment nationaliste de son électorat, de renforcer son aura et de renflouer sa popularité déclinante même si Ali Babacan, ancien vice-Premier ministre d’Erdogan, désormais passé à l’opposition, n’y voit rien d’autre qu’une simple manœuvre de diversion destinée à minimiser « l’effondrement de l’économie, la disparition de l’Etat de droit et l’agonie du système de santé » en Turquie.
Cette offensive militaire va-t-elle permettre au président Recep Tayyip Erdogan de faire d’une pierre deux coups ; à savoir, renforcer son emprise sur le nord de la Syrie pour en déloger les kurdes et rehausser une côte de popularité sérieusement mise à mal ?
Attendons pour voir…