Génocide en Palestine : la théorie de la soif

Point de vue

Écrivain-journaliste Abdelhak Najib

Le temps passe vite, sauf pour les populations palestiniennes qui croupissent sous les décombres depuis le 7 octobre 2023. Presque dix mois de frappes israéliennes, dix mois d’obus et de bombardements, dix mois de génocide qui ont fait 40 000 morts dont plus  de la moitié sont des enfants et des femmes. Sans compter plus d’1 million de personnes déplacées malgré elles errant d’une région à l’autre, tentant de fuir le fracas des balles et les destructions massives de presque la totalité des infrastructures de tout Gaza. Pire, au-delà du blocus et de l’embargo sur toute la région où tentent de survivre presque deux millions de Palestiniens en proie à la famine, l’armée israélienne pousse l’horreur à son comble et cible de façon systématique et généralisée les sources d’eau et les usines de dessalement de la bande de Gaza, pour assoiffer le peuple et causer le plus grand nombre de morts possible, surtout chez les nouveaux-nés, les enfants et les vieilles personnes. Dans sa logique d’extermination des Palestiniens, Israël utilise l’eau comme une arme de destruction massive. Avec des centaines de milliers de personnes souffrant d’une famine chronique, Israël s’applique méthodiquement à réduire la quantité d’eau disponible pour les résidents de la bande de Gaza, en particulier les sources d’eau potable, pour laisser la soif décimer ce qui reste d’une population livrée à elle-même. Dernier fait en date, ce qui s’est déroulé devant les caméras du monde, le 1er juillet 2024, lorsque Tsahal a bombardé une usine de dessalement dans le quartier d’Al-Zaytoun, au sud de la ville de Gaza, avec un missile GBU qui a traversé plusieurs étages et a explosé au rez-de-chaussée. Dans cette attaque ciblée, un jeune homme qui tentait de remplir un bidon d’eau est tombé sous les balles et d’autres personnes ont été blessées. La politique de la peur systématique en marche n’empêche pas les jeunes d’aller risquer leur vie pour une bouteille d’eau, devenue synonyme de survie pour plus de 2 millions de Palestiniens. Il faut ici préciser que la station qui a été lourdement endommagée, fournissait des services à plus de 50 000 personnes dans plusieurs quartiers résidentiels voisins. Ce plan de la soif suit un timing bien précis de la part de l’armée israélienne, qui a attendu la hausse des températures estivales et les grosses chaleurs qui frappent cette région du Levant pour mettre son programme génocidaire en marche. Résultat : les problèmes d’accès à l’eau sont devenus le souci majeur de toutes les populations de Gaza. Ceci, dans un contexte où les estimations montrent que depuis octobre 2023, la part d’eau par habitant dans la bande de Gaza a diminué de 97 % en raison de la destruction massive des infrastructures d’eau par Israël. Ce qui fait que la quantité d’eau par habitant dans la bande de Gaza est tombée entre 3 et 15 litres par jour, alors qu’en 2022, elle était d’environ 84,6 litres par jour. Cette situation extrême et dramatique est accentuée par la destruction de plus de 700 puits et usines de dessalement de l’eau depuis le début du génocide. Il faut ajouter à cela, le fait que plusieurs zones du territoire assiégé souffrent d’une pénurie de carburant, dont Israël interdit l’entrée, malgré le grand nombre de victimes – y compris des enfants – causées par des maladies infectieuses et des épidémies qui se propagent par l’accumulation d’eau contaminée en raison de stations d’épuration inopérantes. Cette désolation à ciel ouvert a rendu la bande de Gaza invivable, en particulier après la destruction par l’armée de 9 réservoirs d’eau sur 10 et de la moitié des réseaux d’eau, soit 350 km sur 700 km. Sans oublier d’ajouter ici les six stations d’épuration des eaux usées qui ont été perturbées, avec environ 65 pompes à eaux usées qui ont été arrêtées et 70 km de réseaux d’égouts qui ont été détruits. Ce qui provoque un déversement incontrôlé d’eaux usées, estimé à environ 130 000 mètres cubes par jour, sur les routes de la bande de Gaza et dans les abris pour les personnes déplacées. Selon les estimations des Nations unies, environ 96 % de la population de la bande de Gaza est confrontée à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë. Alors que l’ensemble du territoire est classé en situation d’urgence (phase 4 de l’IPC), plus de 495 000 personnes (22 % de la population) sont toujours confrontées à des niveaux catastrophiques d’insécurité alimentaire aiguë (phase 5 de l’IPC).

Face à cette soif, les population sont obligés de recourir à la consommation excessive d’eau salée non potable, ce qui entraîne une hypertension artérielle, des maladies rénales, un risque accru d’accident vasculaire cérébral, des maladies intestinales et gastriques, des vomissements constants et des diarrhées. Ces effets se traduisent pour finir par une déshydratation excessive des tissus de l’organisme, en particulier des tissus cérébraux. Selon plusieurs sources travaillant dans la bande de Gaza, le taux d’accès à l’eau, qu’il s’agisse de l’eau potable, de l’eau pour se laver ou le nettoyage, n’est que de 1,5 litre par personne et par jour. C’est 15 litres de moins que la quantité minimale d’eau nécessaire à la survie au niveau requis par les normes internationales.

Pourtant les lois internationales sont limpides à ce sujet : le statut de Rome de la Cour pénale internationale prévoit que le fait d’affamer intentionnellement des civils en les « privant d’objets indispensables à leur survie, y compris en faisant délibérément obstacle à l’acheminement des secours » constitue un crime de guerre. Israël remplit toutes les cases en commettant des actes de génocide contre la population civile de la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023, conformément au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et aux décisions judiciaires internationales pertinentes. Mais Israël est au-dessus de toutes les lois et elle applique son programme d’épuration ethnique en toute impunité.

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