«Il m’arrive de rêver de mes personnages…»

Entretien avec Kristof Serrand, directeur d’animation

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

C’est un vétéran de l’animation. Un grand!  Kristof Serrand a passé plus d’une vingtaine d’années chez DreamWorks où il occupait le poste de directeur d’animation. Il y a quelques jours, cette figure emblématique du cinéma était l’invité d’honneur de la 21ème édition du FICAM qui a eu lieu à Meknès. C’était sa première visite au Maroc et même en Afrique. Serrand qui est actuellement superviseur de l’animation chez Netflix, est venu partager sa longue expérience dans le domaine avec les étudiants, le public et les professionnels des métiers de l’animation. Une vie très «animée». Ses contributions sont multiples. Kristof Serrand a notamment travaillé sur plusieurs créations cinématographiques telles qu’Astérix, Dragons, Le Prince d’Egypte, Astérix chez les Bretons, la Table Tournante, la Surprise de César, Fievel au Far West, Balto, Les Croods, Spirit: L’étalon des plaines, Gang de Requins et d’autres. Rencontre.

Al Bayane : c’est votre première visite au Maroc et en Afrique. Comment avez-vous trouvé cette ambiance festive du FICAM;  un événement cinématographique dédié à l’animation où les enfants, jeunes, les moins jeunes et les professionnels des métiers se sont réunis  pour échanger et partager les expériences?

Kristof Serrand : je pense que c’est le festival le plus important en Afrique. Je suis très ravi et étonné parce qu’il y a beaucoup de gens qui connaissent l’animation. A vrai dire, j’aime bien rencontré des gens qui font de l’animation. Quand je suis arrivé à Netflix, on m’a dit : « tu seras le manager de l’animation pour une partie de l’Europe.»

Pour ce qui est de l’animation, je ne connaissais que l’Afrique du Sud. Je pense que c’est important de faire connaitre le cinéma de ce continent.

Dans votre leçon de cinéma, vous avez cité beaucoup de peintres. Pourquoi cet intérêt à la peinture et surtout aux peintres ?

Oui, j’ai cité des peintres. Mais, j’ai cité aussi des animateurs, des cinéastes, des musiciens  et des gens qui sont dans pleines de disciplines artistiques très variées parce que j’essaie de montrer aux étudiants que l’animation a un rapport avec beaucoup de disciplines artistiques. Je suis intéressé par les artistes qui parlent de leur travail. Effectivement, j’ai cité Léonard de Vinci, Auguste Rodin, Jean-Baptiste-Camille Corot et bien d’autres. J’ai une collection de citations. En effet, il y a un rapport et une relation de travail avec tout cela…

Un personnage d’animation occupe une place importante dans votre démarche artistique. Comment choisissez-vous vos personnages ? Quelles sont leurs spécificités ? 

C’est vrai qu’on est animateur… et quand on réfléchie aux personnages ; on les considère par la suite comme des gens vrais. Moi, il m’est arrivé de rêver de mes personnages que j’ai rencontrés en vrai. Quand on anime un personnage, c’est plus qu’un  dessin, c’est plus que de marionnettes, c’est plus qu’un personnage en 3D, mais plutôt un vrai personnage. C’est ça le secret de l’animation : c’est de considérer, d’essayer, d’imaginer ces personnages comme quelqu’un qui vit en vrai ; un peu comme les acteurs.

Vous dites souvent que dans un film, il faut raconter une belle histoire. Faut-il vraiment que l’histoire soit jolie pour qu’un film soit bon ?  

En fait, je trouve que l’histoire qu’on raconte est la chose la plus importante. S’il n’y a pas d’histoire dans un long-métrage, c’est ennuyeux ! Par contre, s’il y a tout c’est-à-dire de la bonne musique, des acteurs qui jouent, de beaux décors, de belles lumières… et il n’y a pas d’histoire : ça ne sert à rien du tout. Moi, je trouve que l’histoire est la plus importante. 

Cela justifier peut-être votre retour en France loin des studios américains ? Peut-on dire que ce retour au bercail  est une quête quand même de cette profondeur et esthétique dans le cinéma d’animation ?

Non pas vraiment! Ce n’est pas la raison de mon retour en France. J’avais envie de retrouver ma culture, de rencontrer mes amis, de parler ma langue. En fait, je n’ai pas fait de films d’auteurs, j’en ai regardés. À vrai dire, les films d’auteurs, avec une profondeur, avec le signifiant et de quelque chose d’important, ce sont les films que j’aime bien voir et partager avec mes étudiants. Si j’avais envie de faire des courts métrages de ce genre et d’être réalisateur, je l’aurais fait.

Pourriez-vous nous en expliquer encore plus ?

Je ne suis pas un raconteur d’histoire, je suis un comédien.  C’est un peu la différence entre les Etats-Unis et la France. Quand je suis revenu à mon pays, ils me disaient : « toi, tu es connu…pourquoi tu ne fais pas ton film long? Pourquoi tu n’es pas réalisateur ?» En France, quand on a réussi, c’est qu’on est réalisateur parce qu’un animateur n’est pas vraiment un métier contrairement aux Etats-Unis.  Il y a des choses que j’aime bien, et les films que je partage c’est parce que je les aime bien. Mais, je ne suis pas revenu en France pour faire un cinéma différent. Par ailleurs, j’aimais bien mon métier aux Etats-Unis.

Ça vous arrive de décliner une offre, le cas d’Astérix, par exemple ?

 Ça dépendait des circonstances. Quand j’étais à DreamWorks, je devais aller à Disney puis j’ai choisi un autre studio. Oui, ça m’arrivait d’accepter des offres et d’en décliner des autres. Je ne sais pas pourquoi!  Mais, on essaye de prendre la meilleure discision.

Y a-t-il un film qui vous a marqué le plus ?

Il y avait « Dragon » et « le prince d’Egypte ». En fait, ce sont les deux films dont je me rappelle. Il y en a autre qui a été annulé, donc il n’est pas sorti. Ce sont ces trois films que j’ai bien aimé faire. J’ai travaillé sur des films qui ne sont terribles, mais l’expérience était bien parce que les amis étaient sympathiques, parce qu’on a bien rigolé, parce que c’était bien passé. Ça, c’était particulier !

Vous avez évoqué Jérémy Clapin qui a eu le César du meilleur film d’animation 2020 pour son film «J’ai perdu mon corps» et qui était l’invité de marque de la 19ème édition du FICAM. Comment voyez-vous cette nouvelle vague de jeunes réalisateurs porteurs d’une nouvelle vision et touche cinématographiques différentes?

Il m’impressionne! J’ai rencontré Jérémy Clapin aux Oscars. Je trouve qu’il a du talent. Puis, le producteur aussi parce que c’est un film de producteur. C’est un film difficile qui n’est pas fait pour les enfants avec un sujet étrange, et c’est le producteur qui  est allé chercher le réalisateur pour faire ce film. En France, c’est généralement le réalisateur qui a l’idée du film, qui va le défendre  et qui va chercher de l’argent. Il y a des gens qui sont talentueux. Et c’est prometteur !

Accroches :

«Je suis intéressé par les artistes qui parlent de leur travail.»

«Je ne suis pas un raconteur d’histoire, je suis un comédien.»

«Je trouve que l’histoire qu’on raconte est la chose la plus importante»

«En France, quand on a réussi, c’est qu’on est réalisateur parce que animateur n’est pas vraiment un métier contrairement aux Etats-Unis.»

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