La Constitution de 2011, gigantesque chantier Royal

Retour sur les principaux changements démocratiques

Mohamed Khalil

Le 1er juillet 2011 restera gravé dans la mémoire collective. Ce jour-là, le Maroc a gagné le pari d’une constitution nettement avancée, fruit de consultations plurielles et sans exclusion, de discussions sans précédent et de débats marathoniens loin de tous tabous…
Et pour cause, le référendum appelait à une véritable refonte de la constitution marocaine après un consistant et dur labeur de la part de la Commission consultative de réforme de la Constitution et le Mécanisme politique de suivi, instaurée par SM le Roi Mohammed VI, qui a effectué un travail gigantesque auprès des partis politiques, des syndicats, de la société civile mais également auprès d’autres structures et instances organisationnelles et décisionnelles.
La nouvelle Constitution édifie, dès le préambule désormais une partie intégrante du texte, sur la nature du régime politique, de ses choix démocratiques, dessinant ainsi le nouveau Maroc projeté dans l’avenir, sachant que ses spécificités historiques sont gardées, avec la prééminence de la religion, mais marquée du sceau de « la modernité et de l’ouverture ».
Dès la première phrase, le nouveau texte réaffirme la fidélité du Maroc « à son choix irréversible de construire un Etat démocratique ».
Ainsi «la prééminence accordée à la religion musulmane va de pair avec l’attachement du peuple marocain aux valeurs d’ouverture, de modération, de tolérance et de dialogue » entre les cultures du monde.
Cette mutation constitutionnelle a réussi à délimiter les rôles de chaque pouvoir, hissant la Justice au rang de pouvoir indépendant, et clarifiant celui de la Monarchie, tout en posant les jalons solides d’une refondation de l’Etat marocain.
Dans cette configuration architecturale, essayons de revoir quels sont les changements fondamentaux apportés par la Constitution de 2011.

Au niveau des Dispositions générales

L’Article 1, qui ne comprenait, dans la précédente Constitution que cette seule phrase «Le Maroc est une Monarchie constitutionnelle, démocratique et sociale », lui ajoute le caractère parlementaire.
Très enrichi, Il insiste de plus sur la séparation, l’équilibre et la coopération entre les pouvoirs, sur la démarche citoyenne et participative, les principes de la bonne gouvernance, la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes.
Les constantes fédératives de la nation marocaine sont énoncées : la religion musulmane modérée, l’unité nationale aux affluents multiples ; la monarchie constitutionnelle et les choix démocratiques, à côté de la décentralisation de l’organisation territoriale basée désormais sur la régionalisation avancée.
L’Article 5 est consacré aux langues, à l’officialisation de l’Amazigh et à la promotion du Hassani.
Le nouveau texte consacre quelques articles aux Marocains du Monde, qui « jouissent des droits de pleine citoyenneté, y compris d’être électeurs et éligibles ».

Libertés et droits fondamentaux

Pour la première fois, la Constitution marocaine introduit un Titre consacré aux « Libertés et droits fondamentaux », allant de l’Article 19 à l’Article 40.
C’est dire la place et l’importance que les libertés et les droits fondamentaux du citoyen et de la citoyenne marocains, dont l’égalité des droits et libertés (civiles, politiques, économiques, sociales, culturelles et environnementales) sont affirmés. Une Autorité est créée (Article 19) pour réaliser « la parité entre les hommes et les femmes » et lutter « contre toutes les formes de discrimination ».

Les pouvoirs du Roi

L’ancien Article 14, auparavant sujet à contestation, a été scindé en deux volets, l’un religieux (Article 41) et l’autre politique (Article 42).
Le premier est purement d’ordre religieux et décrit les prérogatives du Roi en tant que commandeur des croyants.
Le second, clarifie la nouvelle hiérarchie et place où le Roi est « chef de l’Etat et son représentant suprême », symbole de l’unité, arbitre entre les institutions et garant du pluralisme et de l’intégrité territoriale.
L’Article 42 introduit, cependant, un changement substantiel consistant en la co-signature des dahirs royaux, en tant que moyen d’exercice du pouvoir, à l’exception de ceux en liaison avec l’Article 41 et 42.
Ce partage de pouvoir laisse la possibilité au chef du gouvernement de manifester son désaccord par rapport à tel ou tel dahir. C’est ce que de nombreux experts politiques et constitutionnalistes relèvent comme une grande nouveauté dans le Maroc d’aujourd’hui.

Une autre innovation est représentée par l’Article 54, créant un Conseil supérieur de sécurité, qui traduit la volonté de partage des grands dossiers stratégiques liés à la sécurité intérieure et extérieure et la gestion sécuritaire.
Le partage du pouvoir royal est également perceptible, à l’exception de l’Article 55, relatif à la nomination des ambassadeurs, au niveau du choix des responsables de hauts fonctionnaires de l’Etat et des Etablissements publics stratégiques. Leur nomination se fait, depuis, sur proposition du chef du gouvernement, alors que jusqu’à l’adoption de la nouvelle Constitution, l’Exécutif n’avait aucun droit de regard sur ces nominations.

La méthodologie démocratique

L’Article 47 introduit pour la première la méthodologie démocratique dans le choix du chef de gouvernement, abandonnée dans la pratique avec le gouvernement Jettou, qui avait succédé à feu Abderrahmane Youssoufi.
« Le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs résultats. Sur proposition du Chef du Gouvernement, Il nomme les membres du gouvernement.
L’Article 49 permet au Roi de garder la main, mais «sur proposition du Chef du Gouvernement et à l’initiative du ministre concerné », à la nomination« aux emplois civils de wali de Bank Al Maghrib, d’ambassadeur, de wali et de gouverneur, et des responsables des administrations chargées de la sécurité intérieure du Royaume, ainsi que des responsables des établissements et entreprises publics stratégiques ».

Parlement : de nouvelles prérogatives

Parmi les principaux acquis, en matière de démocratisation, l’on peut citer les suivantes

  • La définition claire de son rôle et de ses attributions (Article 68-69)
  • L’élargissement des prérogatives du Parlement en matière de législation, de contrôle et d’évaluation des politiques publiques (Articles 7O-71)
  • La priorité donnée au Parlement en matière de législation.

Une place plus importante pour le pouvoir exécutif

Les Articles allant de 87 à 94 apportent de nouveaux pouvoirs au gouvernement et à son chef.
L’Article 59 stipule clairement que « le gouvernement exerce le pouvoir exécutif. Sous l’autorité du chef du gouvernement, le gouvernement met en œuvre son programme gouvernemental, assure l’exécution des lois, dispose de l’administration et supervise l’action des entreprises publiques ».
Le chef du gouvernement nomme, désormais, grâce à l’Article 91, « aux emplois dans les administrations publiques et aux hautes fonctions des établissements et entreprises publics, sans préjudice à l’Article 49 », qui, lui, fixe les délibérations du Conseil des ministres.

Rapports clarifiés entre les pouvoirs

Les Articles 95 à 10 clarifient les rapports entre les différents pouvoirs, d’une part, et entre le Roi et le pouvoir judiciaire. A côté des nouvelles prérogatives de l’Exécutif, des garde-fous constitutionnels sont mis en place pour éviter tout dérapage.
Le chef de gouvernement peut dissoudre la Chambre des représentants, par décret pris en conseil.
Le pouvoir législatif (Articles 107 à 128), son indépendance, son équilibre et la coopération avec les autres pouvoirs constituent une nouvelle avancée de la marche constitutionnelle du Maroc, avec la séparation effective des pouvoirs,
Selon l’Article 109, «le juge ne saurait recevoir d’injonction ou instruction, ni être soumis à une quelconque pression. Chaque fois qu’il estime que son indépendance est menacée, le juge doit en saisir le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire.
Tout manquement de la part du juge à ses devoirs d’indépendance et d’impartialité, constitue une faute professionnelle grave, sans préjudice des conséquences judiciaires éventuelles.
La loi sanctionne toute personne qui tente d’influencer le juge de manière illicite».

L’Article 115 crée le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, en remplacement du Conseil supérieur de la magistrature.
Nouveauté : pour la première fois une proportion de femmes magistrats doivent y siéger, «dans la proportion de leur présence dans le corps de la magistrature », en plus du Médiateur, du Chef du Conseil national des droits de l’Homme, -de 5 personnalités nommées par le Roi, reconnues pour leur compétence, leur impartialité et leur probité, ainsi que pour leur apport distingué en faveur de l’indépendance de la justice et de la primauté du droit, dont un membre est proposé par le Secrétaire général du Conseil Supérieur des Oulémas.

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