La politique linguistique du Cameroun : au cœur d’un labyrinthe

Au Cameroun, il est admis que la diversité du pays est une richesse en soi. Toutefois, la multitude des langues nationales dans ce pays d’Afrique Centrale est généralement perçue comme contradictoire avec l’unité nationale voire avec la modernité. Preuve en est que seul l’emploi du français et de l’anglais, les deux langues officielles du pays, est défini dans la constitution. Les langues nationales sont quant à elles marginalisées. Zoom dans les dédales linguistiques du Cameroun.

Voici brièvement le quotidien étonnant d’un jeune Camerounais. A l’école, il parle français, mieux encore, on lui enseigne aussi l’espagnol et l’allemand. A la maison, il regarde les flashs d’information en anglais. Dans la rue, il s’exprime en Camfranglais, un vernaculaire constitué de français, d’anglais, de langues locales. En famille, il parle le bulu ou le fulfulde ou le bassa… sa langue maternelle, en fonction de son origine régionale. Cette image donne à voir la réalité linguistique du Cameroun : un pays balloté entre les langues étrangères et les langues nationales. Un vrai défi pour l’acquisition des langues chez certains enfants. Dans certaines familles où père et mère sont issus de régions différentes ne parlant pas forcément la même langue, la communication se fait essentiellement en français au quotidien. L’enfant n’acquerra jamais ainsi ni la langue de son père, ni celle de sa mère et restera étranger à sa propre culture, incapable de communiquer avec sa grand-mère ou son grand-père analphabète n’ayant pas pu apprendre le français à l’école… Tel est in brief le panorama de la pratique linguistique au Cameroun, un vrai labyrinthe où se perdrait tout linguiste.

En effet, le Cameroun est un pays bilingue, avec le français et l’anglais, hérités de la colonisation, comme langues officielles. C’est en 1961 à l’aube de l’indépendance du pays que l’Etat camerounais a considéré l’expansion du bilinguisme individuel Français/Anglais comme une clé pour la consolidation et l’intégration nationale. L’objectif étant de mettre fin aux différends tribaux et de créer un sentiment d’unité dans la jeune république. Le français et l’anglais paraissaient donc comme les canaux idéaux pour cette mission.

De ce projet noble ont été écartées les langues nationales, les langues de cœur des Camerounais. Leur nombre important, 250 environ, a généralement été avancé comme l’argument pour le recours au français et à l’anglais à l’école, dans les médias, l’administration…Si toutefois, celles-ci ne sont pas interdites par le gouvernement, elles sont restreintes à la sphère privée et ne jouent pas un rôle dans la vie officielle. Elles ne sont qualifiées que de dialectes et n’ont pas un statut de langue à part entière. Une loi de 1946, datant de la colonisation, toujours en vigueur, exclut les langues nationales des écoles et institutions de formation.

Dans cette multitude de langues, 6 variétés dominent et sont employées comme langues véhiculaires dans les régions du pays, permettant ainsi la communication entre les populations (marché, transport…), entre autres : le fulfulde au nord, le bassa et le douala dans le littoral, le bulu et l’ewondo dans le sud et centre, le fe’fe et le mungaka à l’ouest. Quoique certaines d’entre ces langues aient des versions écrites, elles ne sont pas enseignées dans les écoles …A côté de ces langues véhiculaires existent le pidgin anglais et le Camfranglais, un vernaculaire né dans le pays au début des années 70 et qui est un mélange de français, anglais, langues nationales camerounaises très usité par les jeunes. Celles-ci aussi ne bénéficient d’aucun statut officiel.

Selon certains linguistes, le Cameroun ne possède pas de politique linguistique. Il n’aurait qu’une politique par défaut, le bilinguisme, lui-même ayant connu un échec. D’ailleurs, il est commun de voir des Camerounais ne pouvant s’exprimer correctement en français et en anglais. La «particularité du bilinguisme » du pays étant que le français est parlé par les francophones et l’anglais par les anglophones. En effet, si la constitution avance que le français et l’anglais ont le même statut, tel n’est pas le cas dans la réalité. Le français est largement avantagé dans l’administration, l’éducation, le commerce et les médias, d’autant que 78% de la population camerounaise vit dans la partie francophone du pays où sont localisées les principales villes du pays, notamment Yaoundé et Douala. Seulement 22% vit dans la partie anglophone.

Au niveau des médias, le déséquilibre est visible : 69% des émissions de radio sont en français et 31% en anglais. Au niveau du parlement, le même déséquilibre est enraciné. Si les députés ont le droit de choisir la langue dans laquelle ils veulent s’exprimer, il faut dire que c’est essentiellement en français que se font les prises de paroles. Même constat au sein des universités où officiellement le bilinguisme est pratiqué. Si la loi veut que les professeurs dispensent des cours en anglais ou en français et que les étudiants peuvent passer les examens en français ou en anglais, la réalité est toute autre. Le français l’emporte toujours. Le bilinguisme devient donc irréalisable du fait du traitement disproportionné des deux langues officielles. Et les anglophones du pays, frustrés, dénoncent constamment leur marginalisation.

A dire que la situation des langues au Cameroun donne du tournis. Linguistes, sociolinguistes, chercheurs avancent des solutions pour intégrer les langues locales dans la sphère publique, notamment les établissements scolaires, mais rien ne décolle. Le bilinguisme officiel, pour ne pas dire, le français est enraciné.

Si ces langues étrangères ont permis jusque-là une communication dans le pays, elles n’ont pas pu toutefois réaliser l’unité nationale au vrai sens du terme, n’étant pas des marqueurs d’identité et s’opposant aux langues maternelles de la population, moyens d’identification sur le plan identitaire et culturel.

Danielle Engolo

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