La profession se meurt

Les guides touristiques

Karim Ben Amar

C’est sans doute le secteur le plus impacté par la pandémie. Le tourisme connait une crise sans précédent. Au Maroc, depuis la fermeture des frontières en mars 2020, l’activité touristique s’est quasiment effondrée. Les nombreux métiers dépendant de ce secteur, vivent depuis lors une situation chaotique, parmi eux, les guides touristiques. Pour s’enquérir de leur situation, l’équipe d’Al Bayane a rencontré le président de l’association régionale des guides, Abdelatif Chebaa. Le constat du militant associatif est alarmant. Sans activité, comment les guides font-ils pour vivre ? L’aide de l’Etat (contrat programme) est-elle toujours versée ? Quelle est la solution pour oxygéner la profession ? Abdelatif Chebaa se livre sans détour.

Voilà près de deux ans que le secteur du tourisme est à l’arrêt. Les très nombreux métiers qui dépendent du tourisme ne connaissent plus rien d’autre que la disette. Littéralement sans travail depuis deux ans, les guides touristiques vivotent. Nombre d’entre eux sont criblés, le quotidien devient lourd et pesant. Vente des biens personnels, prêts auprès des particuliers ou demande de crédit bancaire pour subvenir aux besoins quotidiens, sont désormais monnaie courante. En une phrase, les guides touristiques sont véritablement au bout du rouleau.

C’est dans un café situé sur le mythique « boulevard» de Tanger, non loin de la grande poste, que l’équipe d’Al Bayane s’est entretenue avec le président de l’association régionale des guides, Abdelatif Chebaa. Evoquant la situation des guides touristiques, il déclare que « notre situation est catastrophique mais cela est un secret de polichinelle ».

« Le métier de guide touristique est un travail journalier, nous ne recevons donc pas de salaire. Depuis la fermeture des frontières, nous naviguons réellement en eaux troubles ». Et d’ajouter, «le pire c’est que personne n’a une visibilité, cette fermeture peut vraisemblablement encore durer un an ou deux ». Pour Abdelatif Chebaa, il n’y a pas plusieurs solutions pour sortir le tourisme de ce marasme. « L’activité touristique à Tanger dépend principalement du port de Tanger. 90% de l’activité touristique dans notre ville provient de ce port. Entre Fast-Ferry (Tarifa-Tanger) et les bateaux de croisières, les touristes débarquaient en nombre à Tanger, sans parler des vols charters qui arrivaient de toute l’Europe et cela plusieurs fois par semaine ».

Cette fermeture des frontières adoptée par le Maroc dès le début de la pandémie n’a que trop duré d’après la même source. « A chaque croisière annulée, le Maroc perd une somme considérable d’argent. Un bateau de croisière accueille en moyenne près de 2000 passagers. Chaque croisiériste dépense au minimum 100 euros lors de son passage par la perle du Détroit ».

De nombreux bateaux de croisières devaient jeter l’ancre à Tanger en 2022, faisant ainsi le bonheur des nombreux métiers et activités dépendant du tourisme. « Pas moins de 68 bateaux sont au programme cette année, mais avec cette fermeture, nous ne risquons pas d’en profiter », se désole-t-il.

«Le pire, c’est que ces bateaux de croisières seront reconduits en Espagne. Ce sont Cadiz et Malaga qui profiteront de cette manne. Nous livrons nos touristes à l’Espagne, vous vous imaginez » a-t-il souligné non sans amertume.

A cause de cette situation qui n’a que trop duré, certains guides touristiques se sont carrément réorientés vers d’autres activités professionnelles. « Certains guides se sont reconvertis en téléopérateurs. Maitrisant plusieurs langues, ils ont décidé de travailler dans les centres d’appels afin de pouvoir subvenir aux besoins quotidiens ».

La situation est devenue tellement insoutenable que chacun se reconvertit comme il peut. «Vous savez, cette crise nous fait voir des vertes et des pas mûres. Des guides très respectés dans la profession ont été délogés de leurs maisons faute de paiement du loyer. Au même titre que ceux à qui les banques ont saisi le domicile pour défaut de paiement de traites. Du jour au lendemain, se retrouver à la rue. C’est une situation très difficile à vivre », atteste-il.

« Certains de mes confrères ont été obligés de faire quitter leurs enfants l’école privée pour les faire rejoindre les bancs de l’école publique. Ceci est très rude pour l’enfant, mais faute d’argent, le père n’a pas d’autres alternatifs », affirme-t-il avec émotion.

Face à ces problèmes d’argent, le guide n’a plus les moyens de subvenir aux dépenses quotidiennes. Il vend ce qui lui reste : meubles, télévision, smartphone, tout y passe, et cela pour un répit de quelques jours », a-t-il confié.

En temps normal, le guide touristique gagne très convenablement sa vie. «Durant la saison basse, il peut gagner entre 7000 et 8000 dirhams par mois contre 12.000 dirhams entre le mois d’avril et de septembre. Et voilà que nous vivons avec l’indemnité versée par l’Etat qui s’élève à 2000 dirhams, 1730 dirhams pour être exact puisque la CNSS retient 270 dirhams de la cotisation », atteste-t-il.

«Le pire c’est que nous recevons cette indemnité tous les trois ou quatre mois. Pour être honnête, cette somme nous permet d’éponger une partie de nos dettes, rien de plus ». Et de poursuivre, «ce contrat programme ne doit absolument pas cesser. Nous sommes d’ailleurs en négociation avec notre ministère de tutelle et le Comité de veille économique pour la reconduction de cette indemnité ».

Quant à la solution pour sortir de ce guêpier, le président de l’association des guides est limpide. «La seule solution pour sauver le secteur du tourisme est la réouverture des frontières. Sans cela, nous allons continuer de mourir à petit feu», a-t-il conclu

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