Par: Abdeslam Seddiki
La crise économique que connait le pays, suite à une crise sanitaire inédite, interpelle tout un chacun. Elle nous invite à une réflexion profonde et débarrassée des dogmes afin d’esquisser des alternatives et de préparer des plans de sortie qui aideront notre pays à surmonter l’épreuve et remettre le moteur économique en marche.
Toutes les mesures prises jusqu’à maintenant, nécessaires et utiles, ont servi à colmater les brèches, à parer au plus pressé et éteindre l’incendie afin de limiter les dégâts. Il convient, une fois cette crise sanitaire résolue, de prévoir des mesures à moyen et long termes de reconstruction et de relance. De telles mesures ne s’improvisent pas. Elles doivent être mûrement réfléchies et démocratiquement débattues car elles vont engager le pays dans la durée. Les réflexions qui vont suivre se veulent une contribution modeste à ce débat.
Ainsi, il nous parait vital d’adopter un plan de relance sous forme d’un « new-deal » dont nous esquissons ci-après les grandes lignes, en précisant que le Maroc va entamer cette période avec un atout de taille, résidant dans son capital confiance qui s’est renforcé au cours de cette période difficile de confinement.
Il s’agit en premier lieu de poser la problématique de la croissance en des termes nouveaux, en privilégiant le qualitatif sur le quantitatif, l’être sur l’avoir. En d’autres termes, la satisfaction des besoins sociaux de la population doit être le mobile fondamental de la croissance et non la réalisation du profit. Ce qui signifie qu’on doit produire plus de valeurs d’usage que de valeurs d’échange.
En deuxième lieu, nous avons besoin d’une économie assainie fonctionnant sur la base des règles relevant de l’Etat de droit, une économie débarrassée de toute rente. L’effort et le mérite, en plus de la solidarité, sont les seuls critères qui doivent être valorisés et récompensés. La rente, sous toutes ses formes, est nuisible et entrave le développement, il faut absolument l’éradiquer.
En troisième lieu, cela découle des considérations précédentes, il faut renforcer le rôle de l’Etat, au sens large, et du secteur public notamment pour la production des biens publics comme la santé, l’éducation, le transport, l’énergie, l’écologie et les secteurs jugés stratégiques. Un Etat fort ne saurait signifier un Etat tatillon, au contraire. Seule la démocratie lui imprime plus de légitimité et d’efficacité.
Il est impératif d’aider les entreprises publiques à redémarrer pour retrouver au plus vite leur vitesse de croisière. Vu le rôle que joue le transport dans la mobilité sociale et l’ouverture sur le monde, on ne peut pas imaginer le Maroc de demain sans notre compagnie aérienne la RAM. Aussi, il est grand temps de remettre la SAMIR en activité pour contribuer à assurer notre indépendance énergétique.
En quatrième lieu, une mise à niveau territoriale du pays s’impose avec des investissements publics de «rattrapage» dans les régions pauvres en termes d’infrastructure physique et d’infrastructure sociale. Le pays a fait des efforts louables en matière de grands chantiers d’infrastructure, il est temps de développer, en parallèle, des chantiers communaux de proximité. Ces derniers sont de moindre envergure, certes, mais d’une grande utilité pour la population et le développement des territoires.
En cinquième lieu, le secteur des télécommunications et du numérique, aux enjeux multiples, ne peut pas être laissé l’apanage du privé. Pour des considérations de justice sociale et de sécurité des citoyens, l’Etat doit assurer sa présence dans le secteur afin d’avoir un droit de regard et de jouer son rôle direct de régulateur.
En sixième lieu, la question de la lutte contre le chômage doit retenir toute l’attention. Les chantiers qui seront ouverts vont créer des emplois nécessairement. Mais de tels emplois seront insuffisants pour absorber tous ceux qui sont sans emploi et qui se comptent désormais par millions. Il convient de venir en aide aux entreprises, et notamment les PME, pour redémarrer leur activité et les empêcher de faire faillite. De même, il faut procéder sur une large échelle à «l’investissement en travail»: développer les activités fortement créatrices d’emplois comme celles relevant de l’économie sociale et solidaire, les travaux d’intérêt public comme la plantation des arbres fruitiers, la régénération des forêts, la dépollution des plages, l’aide aux personnes en situation de handicap, l’accélération de la lutte contre l’analphabétisme en créant une «armée du savoir».
En septième lieu, intervient la question du financement. A cet égard, il faut utiliser deux leviers essentiels : le levier fiscal et le levier budgétaire. Au niveau fiscal, il faut absolument que la réforme annoncée voie le jour dans les plus brefs délais en mettant en œuvre les recommandations des assises fiscales de mai 2019. Il s’agit essentiellement de la rationalisation des dépenses fiscales, de la progressivité de l’impôt, de l’élargissement de l’assiette à travers notamment l’imposition progressive du secteur informel.
Que tous ceux qui ont profité de largesses fiscales et des rentes indues par le passé en accumulant des richesses faramineuses doivent passer à la caisse. Au niveau budgétaire, il est temps de mettre au placard, comme viennent de le faire d’autres pays partenaires, le dogme de 3% du déficit budgétaire. Sans hypothéquer l’avenir et remettre en cause son indépendance, notre pays peut se permettre 2 à 3 points de déficit de plus.
Bien sûr, il faut tout faire pour écarter le spectre d’une austérité débridée. Si des sacrifices s’avèrent absolument nécessaires, ils devront être répartis proportionnellement aux moyens de chacun. A commencer par la réduction du train de vie de l’Administration, par l’annulation de toute dépense superflue. Comme nos réserves extérieures sont difficilement extensibles à court terme, et afin de ne pas pénaliser l’effort de relance, nos achats à l’étranger doivent être limités au strict nécessaire tels les produits alimentaires de base, les hydrocarbures et les biens d’équipement.
Il faut encourager par tous les moyens l’entreprise nationale et le « made in Morocco » afin de renforcer notre indépendance économique. Ce qui n’exclut pas l’ouverture sur le monde et l’instauration de nouveaux rapports sur la base de l’équité et de l’intérêt réciproque. De toutes les façons, aucun pays au monde ne pourra s’en sortir à lui tout seul. En ces moments difficiles, notre pays doit rester fidèle à ses choix stratégiques de solidarité avec les peuples et en premier lieu les peuples arabes et africains.
Dans cette nouvelle dynamique, l’université et la recherche scientifique, auxquelles il faut accorder des moyens supplémentaires, seront largement sollicitées. Leur rôle, en tant que producteurs de la connaissance, de véhicules de la science et de foyers de l’innovation est capital. Il est temps de faire appel à la contribution de nos experts et scientifiques installés à l’étranger.