L’avenir d’une illusion

Centenaire de la révolution d’octobre

«Nous voici condamnés à vivre dans le monde où nous vivons»

François Furet

Dans son essai de 1995, Le passé d’une illusion, l’historien François Furet prononçait l’oraison funèbre de l’idée communiste. Non seulement il dressait le solde négatif de l’expérience soviétique, mais il annonçait la fin de toute utopie.

Avec des mots terribles, il affirmait en effet : «L’idée d’une autre société est devenue presque impossible à penser, et d’ailleurs, personne n’avance sur le sujet, dans le monde d’aujourd’hui, même l’esquisse d’un concept neuf. Nous voici condamnés à vivre dans le monde où nous vivons». Face à cette thèse, les réactions, à l’époque déjà, dénonçaient ce qui relève en toute évidence d’un positionnement idéologique plus que d’une analyse qui manque d’historicité. Ce fut en quelque sorte un Fukuyama avant l’heure, annonçant à sa manière la fin de l’histoire, ouvrant la voie aux nouveaux conservateurs pour achever l’idée de révolution. Il fut consacré comme l’idéologue des libéraux qui s’en prenaient à saper sur le plan des idées, «l’espérance révolutionnaire». La riposte intellectuelle et philosophique venait de Claude Lefort dans son ouvrage La Complication (Fayard, 1999). Il y posait la question essentielle : peut-on vraiment faire du communisme une «illusion», une simple «divagation de l’esprit», sans prendre en compte le réel social et politique des luttes idéologiques ? «La première tâche est de revenir au concret», tranchait Claude Lefort, ajoutant qu’alors, si «le communisme appartient au passé, (…) en revanche la question du communisme reste au cœur de notre temps». C’est dans ce sens et en contre champ que nous parlons de l’avenir d’une illusion.

Les célébrations du centenaire de la révolution d’octobre montrent ici et là que «l’illusion» appelons la communiste, socialiste ou tout simplement humaniste, a la vie dure. Elle continue à nourrir les espérances dans une société meilleure, un monde plus apaisé. Plusieurs générations ont vécu leur parcours initiatique à l’ombre d‘Octobre. Pour ma part, je ne peux ne pas citer à cette occasion le livre qui m’a marqué à propos de la révolution de 1917 : Dix jours qui ébranlèrent le monde de John Reed. Il fut mon compagnon durant mes années de lycée et j’y trouvais des images et des moments d’émotion qui galvanisaient mon engagement.  John Reed précisait : «Ce livre est l’histoire sous pression, telle que je l’ai vue. Il ne prétend être rien d’autre qu’un compte rendu détaillé de la révolution de Novembre (calendrier grégorien), lorsque les bolcheviks, à la tête des ouvriers et des soldats, se sont emparés du pouvoir en Russie et l’ont placé entre les mains des Soviets».

Arrivé en Europe pour couvrir la Première guerre mondiale, John Reed y voit une «guerre des marchands». On le retrouve en Belgique, en France, dans les Balkans (la Guerre dans les Balkans est publiée en 1916), en Russie. Partout, il constate : « Cette guerre n’était pas une guerre des peuples». À Moscou, cette guerre finit de fissurer le régime tsariste. John Reed en tient la chronique. Avec son épouse, Louise Bryant, écrivaine et féministe, il arrive à Petrograd en septembre 1917 et assiste à la révolution d’Octobre. Au premier rang. Dans Dix jours…, il écrit : «Ce n’est pas un compromis avec les classes possédantes ou avec des politiciens, ni un effort de conciliation avec l’ancien appareil d’État qui a porté les Bolcheviks au pouvoir. Ils ne l’ont pas conquis davantage par la violence organisée d’une petite clique. Si, dans toute la Russie, les masses n’avaient pas été prêtes à s’insurger, l’insurrection aurait échoué. Le succès des Bolcheviks n’a qu’une seule explication : ils ont réalisé les vastes et simples aspirations des plus larges couches du peuple qu’ils appelèrent à démanteler et à détruire le monde ancien pour entreprendre ensuite, tous ensemble, dans la fumée des ruines écroulées, l’édification de la charpente d’un monde nouveau».

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