Le bel et douteux attrait de la poésie

Par : M’Barek Housny

Je ne sais pas, ou je n’en suis pas entièrement sûr. Ce qui est certain, c’est que j’avais écrit des poèmes, et j’en écrirai encore. Ils se sont dispersés dans ce qui est plus vaste, plus englobant, c’est-à-dire l’écriture, qui est, juste retour des choses, à l’origine de tout écrit. On ne crée pas si on ne possède pas la fibre de la poésie, tissée dans les replis de son histoire de vie et les épicentres de son histoire d’écriture.

Mais qu’est-ce que la poésie, en tant que telle, dans mon cas ? Elle est atterrie dans ma voie d’écriture après quarante ans, à un tournant de ma vie. C’est lorsque l’instant s’est réincarné en un autre instant, un temps global où tout prend fin et se réunit, enveloppé de nuages d’ombre ne laissant place qu’aux questions du destin, du temps, du comment, de la faisabilité, de la résurrection, de la lettre et de ce qu’elle entend dans son obscur ou bleu chemin linéaire. Toutes ces questions ne peuvent être affrontées, tolérées et soutenues avec suffisamment d’audace et de regard constant sur les choses que par le pouvoir de la poésie.

Ce fut après le début du troisième millénaire, après sept ans passés dans les profondeurs des hautes montagnes, près du ciel, au cœur de la tempête des pierres dures et des herbes épineuses, dans l’immensité de l’infini éternel. J’ai ressenti au plus profond de mon être que les saisons à la manière de Hölderlin ne trouvaient plus leur place dans mes nouvelles, dont le caractère poétique était perçu comme un pilier constitutif et une vision, deux traits fondateurs.

Ce que j’ai écrit était alors sous l’emprise d’un désir non partagé par le narratif, et ces saisons ne pouvaient avoir leur reflet que dans ce qui est poésie et rien d’autre, là où il est possible de « retranscrire d’une belle manière les cris et les ressentiments », comme le disait Charles Baudelaire. C’est aussi l’instant où j’ai découvert la vérité de ce qu’Apollinaire avait révélé : « Douce poésie ! Le plus beau des arts ! Toi qui, suscitant en nous le pouvoir créateur, nous rapproche de la divinité. »

La poésie que j’ai écrite a accordé la priorité à l’impact du rôle central de l’émotion, celle qui demeure indestructible dans le corps et dans le cœur. Les mots poussent celui qui se cache derrière eux, c’est-à-dire moi, à ne pas s’arrêter, et même si l’arrêt survient, il demeure un mouvement, selon Heidegger, et ainsi la continuité se poursuit jusqu’au dernier mot. Lorsque la proximité des choses disparaît, après que l’intimité ressentie dans une terre inconnue s’évanouit, lorsqu’on la traverse, l’impression de flânerie se forme en compagnie du poète. C’est la fusion du voyage et de l’arrivée.

J’ai donc rempli mes journées de poésie pour l’écrire une fois la nuit venue.

En répondant à un questionnaire établi par mon ami le poète libanais, Mahmoud Wehbe, voici ce que j’ai dit : La poésie s’impose. Elle ne se conforme pas, sauf lorsque qu’une flamme surgit dans l’esprit ou que le pied s’arrête de marcher, ne serait-ce qu’un instant. C’est alors que le poème est lancé, en attente d’être écrit plus tard. C’est un murmure mélodieux de mots, porté par une impulsion émotionnelle, une communion dans l’air, captivante pour l’œil, une urgence qui exige une expression immédiate. Puis, de lui-même, il s’arrête.

Lors de la composition, je travaille à assembler ce qui doit l’être, à ajouter, modifier, supprimer, allonger, raccourcir, en m’appuyant sur mes lectures précédentes, des dictionnaires et des déclamations à voix haute. Je m’efforce de rendre les mots audibles en moi-même tout en harmonisant leur écho avec l’environnement qui m’entoure. Ce processus se déroule généralement à une table, dans un café, souvent la nuit, éclairé par une lumière tamisée et accompagné de musique classique, idéalement.

Ainsi, j’ai publié deux recueils de poèmes.

Dans « Gorgées de vers » (2005), j’ai miné le mot de l’angoisse face à l’incompréhension et à l’incompatibilité du corps avec un monde jonché de piquets partout. Raconter était devenu presque impossible, la sédentarité devait être excavée en son cœur pour pulvériser l’inquiétude. Seul le pouvoir poétique en était capable.

Dans « L’éveil des pas » (2021), j’ai posé mes yeux sur les relations avec les lieux, émerveillé devant le monde, voyage après voyage. Des voyages qui suscitent la poésie là où elle n’est pas encore connue. Ils éveillent le beau et le bon. Une poésie de manifestes et de sentiments.

Ai-je écrit de la poésie ? Assurément, sans le moindre doute, mais quelle question empreinte d’une certitude et d’un doute aussi mystérieux que les voiles brumeux d’une aube naissante ! Mes mots ont plané sur la page, tissant un  enchevêtrement de musique et de métaphores. Cependant, en contemplant ces vers à présent, je me retrouve à errer dans l’océan de l’incertitude, me demandant si j’ai réussi à saisir toute l’essence de ce que je voulais transmettre.

Top