« Le Maroc favorise l’intégration sociale et économique des migrants »

Entrevue avec Khrouz Nadia, Enseignante chercheure – Université internationale de Rabat (UIR), rattachée au Center For Global Studies (CGS)

Romuald Djabioh

Le Maroc favorise l’intégration sociale et économique des migrants. Depuis plusieurs années, il se distingue par sa volonté de réforme de sa politique migratoire, qui interpelle aussi les narratifs relatifs à la migration internationale, régulièrement biaisés, comme l’a rappelé le Souverain marocain dans plusieurs de ses allocutions. Dans un contexte mondial où la migration est souvent perçue comme une crise et un défi, le Royaume chérifien a mis en avant une approche inclusive et respectueuse des droits humains, au travers d’initiatives visant à soutenir une partie vulnérable et administrativement précaire de la population étrangère au Maroc. Entre les dispositifs intégrés dans sa politique d’immigration et d’asile, qui se sont construits progressivement au fil des décennies et les mesures engagées depuis 2013, des dynamiques complexes, intersectorielles, et impliquant une diversité d’acteurs interviennent. Le Royaume se doit de tenir compte non seulement de ses réalités migratoires, dans la diversité des phénomènes qui la constitue, des contraintes posées par son contexte national, mais aussi de ses relations avec ses partenaires, notamment européens et africains qui impliquent des enjeux et un système d’action complexe. Pays d’émigration, accueillant une immigration réduite, l’exemple marocain mérite d’être exploré et soutenu pour ces efforts visant à harmoniser sa politique d’immigration et d’asile avec ses engagements internationaux, qui s’intègre inévitablement dans des relations et une gouvernance régionale, voire au-delà. Au travers de ces repositionnements et des modalités de mise en œuvre de ses réformes, sont aussi soulevés les enjeux de redéfinition des paradigmes intervenant sur les politiques migratoires, de souveraineté et de renégociations des rapports de force dans la mise en œuvre de l’action publique. À ce propos, nous avons recueilli des déclarations dont nous vous présentons le contenu.

Al Bayane : Quels sont les principaux aspects positifs de la politique migratoire du Maroc vis- à-vis des migrants subsahariens ?

Khrouz Nadia : En 2013, a été impulsée une nouvelle politique marocaine d’immigration et d’asile, suivie d’une stratégie nationale d’immigration et d’asile (2014) qui a orienté plusieurs de ses programmes vers les personnes régularisées dans le cadre des deux opérations exceptionnelles du séjour des étrangers au Maroc menées en 2014 et en 2016/2017. De fait, la majorité de ces régularisés sont originaires des Etats d’Afrique de l’ouest et centrale, auparavant en séjour irrégulier, avec le souci de soutenir l’intégration de ces personnes, tout en menant des réformes pour une politique d’immigration et d’asile globale et conforme aux engagements internationaux pris par le Maroc en matière de droits de l’Homme, comme l’engage la constitution marocaine de 2011. Cette dynamique de réforme qu’est la nouvelle politique d’immigration et d’asile vise à consolider la politique d’immigration et d’asile marocaine, constituée de l’ensemble des dispositifs légaux et institutionnels intervenant sur la condition des étrangers au Maroc, et pas uniquement les « migrants subsahariens ».

Rappelons que la migration internationale au Maroc n’est pas constituée uniquement de ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne qui, selon le recensement de la population de 2014, ne sont pas majoritaires, avec un nombre de personnes recensées presque équivalent à celui des Français recensés sur le territoire. Le prochain recensement général de la population, en cours, pourra nous en apprendre davantage sur les évolutions des dix dernières années.

Soulignons aussi que le recensement intègre les étrangers en séjour régulier et irrégulier, et que l’irrégularité administrative ne concerne pas non plus que lesdits « subsahariens ».

Comment le Maroc facilite-t-il l’intégration sociale et économique des migrants subsahariens ?

Faciliter l’intégration sociale et économique des étrangers passe en premier lieu par des procédures claires. Des efforts ont été menés pour soutenir l’intégration des personnes ayant bénéficié des opérations exceptionnelles de régularisation. Des difficultés à la pérennisation de leur séjour ont malheureusement été rencontrées, pour des raisons liées aux types de programmes mis en place (soutenant par exemple l’auto-entreprenariat qui ne permet pas légalement le renouvellement d’un titre de séjour), à la complexité de la procédure de renouvellement des titres de séjour, aux difficultés d’obtention de certains documents (contrat de travail, de bail, …) ou au profil de certaines personnes régularisées.

Des réformes ont été menées par le ministère de l’Emploi, ont permis de simplifier la procédure d’accès à l’emploi pour certaines catégories d’étrangers et d’harmoniser les procédures avec les conventions internationales, comme il en est de l’accès à l’emploi pour les conjoints d’étrangers résidant régulièrement sur le territoire ou de la durée des contrats de travail étrangers (CTE). L’emploi salarié au Maroc reste soumis, comme la plupart des Etats de la région, à la règle de préférence nationale pour un certain nombre des étrangers (certaines catégories d’étrangers n’y sont pas soumises) ainsi qu’à un fonctionnement informel qui pénalise les salariés étrangers susceptibles d’être régularisés à ce titre. Les institutions chargées de l’emploi des étrangers ont fourni un effort important de communication et de simplification de la procédure (portail et guichets Taechir, procédure ANAPEC) qui a pu soutenir la régularisation par l’emploi de certains étrangers salariés. Ce travail doit être poursuivi, la procédure, ses contraintes et dérogations n’étant pas encore suffisamment connues.

La loi n°02-03 prévoit l’accès à une carte de résidence ou carte de séjour longue durée pour certaines catégories d’étrangers (conjoints de Marocains, réfugiés reconnus par les autorités marocaines, étrangers résidant régulièrement depuis plusieurs années). L’accès à une carte de résidence (et non pas seulement à une carte d’immatriculation) sécurise le séjour et évite les renouvellements réguliers de titres de séjour qui précarisent l’étranger, au-delà de l’accès à certains droits, comme il en est de la régularisation du conjoint. Certaines évolutions dans les pratiques de l’administration ont pu être constatées dans ce sens mais ne semblent pas encore être généralisées. La réforme de la loi n°02-03, annoncée en 2013, pourrait entériner ces évolutions et soutenir une sécurisation du séjour des étrangers répondant aux conditions, comme il en est par ailleurs de l’adoption d’une loi sur l’asile.

Quelles initiatives ont été mises en place par le gouvernement marocain pour améliorer l’accès à l’éducation et à la santé pour les migrants subsahariens ?

Les domaines de l’accès à la scolarisation, aux soins de santé primaire et à l’enregistrement à l’état civil font partie des chantiers qui ont beaucoup évolué depuis 2013, permettant à la plupart des concernés de bénéficier de ces droits fondamentaux. Le ministère de l’Éducation nationale a publié, depuis 2013, plusieurs circulaires et notes soutenant l’accès à la scolarisation des enfants étrangers.

Des initiatives de sensibilisation et de concertation ont été menées auprès de différents interlocuteurs de la santé ou de l’éducation nationale. Des difficultés persistent mais il existe aussi certains interlocuteurs susceptibles d’intervenir en cas de refus d’accès aux droits et pour soutenir les adaptations structurelles encore nécessaires pour permettre l’accès à ces droits fondamentaux ou la prise en compte de situations particulières.

Comment la régularisation des migrants subsahariens au Maroc a-t-elle contribué à leur inclusion dans la société marocaine ?

Les opérations exceptionnelles de régularisation ont permis à des personnes en séjour irrégulier sur le territoire de disposer d’un titre de séjour, sur la base de conditions simplifiées, ainsi que d’un ensemble de dispositions dérogatoires au droit commun qui ont soutenu leur accès à l’emploi salarié et à différents programmes, temporaires (liés à des financements, notamment d’organisations internationales et coopérations étrangères) ou plus pérennes. Pour ceux qui ont pu s’intégrer dans une activité ou une procédure leur permettant de renouveler leur titre de séjour jusqu’à ce jour, la régularisation exceptionnelle a été bénéfique, permettant de surmonter la double condition d’une entrée et d’un séjour régulier posée par la loi n°02-03 pour solliciter un titre de séjour. Un certain nombre des régularisés ont été confrontés à des difficultés de renouvellement de leurs titres de séjour, au moment où leur étaient appliquées les conditions posées par la loi (comme l’annonçait la circulaire de 2013 régissant l’opération exceptionnelle de régularisation). Pour ceux-là, il s’agit d’un retour à la case 0 ou presque, alors même que certains des critères de régularisation liés à l’emploi, à la durée de résidence sur le territoire ou à l’unité familiale impliquaient déjà un degré d’inclusion dans la société marocaine. La régularisation des « migrants subsahariens » et la dynamique impulsée orientée dans ce sens ont pu avoir un impact sur la perception et la légitimité de leur présence, quand bien même depuis des décennies des ressortissants d’Afrique subsaharienne accèdent au séjour régulier sur le territoire. Le retour du Royaume à l’Union Afrique et certains discours, en particulier du Souverain, ont également contribué à déconstruire certains préjugés sur les migrations internationales dont les racines sont aussi liées aux rapports associés à l’Autre et à certaines catégories d’étrangers en particulier.

La simplification des procédures, la prise en compte des effets de l’informalité du marché du travail et de la location, ainsi que l’amendement des dispositions de la loi n°02-03 pour une harmonisation avec les conventions internationales ratifiées par le Maroc sont des préalables importants pour permettre la sécurisation du séjour et l’inclusion des étrangers sur le territoire marocain. Au-delà de projets migratoires qui ne s’orientent pas toujours vers le Maroc (mais qui peuvent aussi être redéfinis selon les perspectives), tous les étrangers, du Nord ou du Sud, ne peuvent avoir accès aux procédures de stabilisation sur le territoire, dans la mesure où l’Etat, bien que tenant compte des dispositions des conventions internationales ratifiées, reste souverain dans les règles d’admission au séjour, à l’emploi, au mariage avec un national, etc, qu’il fixe.

Top