Le nouveau western

Des voyageurs refoulés à leur arrivée pas très loin de la célèbre statue de la liberté ; d’autres interdits  d’embarquement avec leurs billets à destination du pays de l’oncle Trump. Le nouvel ordre américain annoncé avec bruits et fracas est-il en train de prendre forme ? Le catalogue de mesures discriminatoires qui tient lieu d’un programme, va-t-il être mis en application ?

Au-delà de l’emballement médiatique, prêt à attiser le feu, je pense que les premiers jours de l’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche seront plutôt marqués, malgré les premiers décrets effet d’annonce, par ses débuts d’initiation au réalisme et au pragmatisme. A l’instar de beaucoup d’hommes politiques des démocraties, ses promesses électorales seront rapidement passées au scanner  des intérêts de différents lobbies.

Ceci dit,  il n’empêche que le phénomène en soi est une nouvelle donne qui marquera non seulement la vie institutionnelle américaine mais également les rapports géopolitiques internationaux. Son succès électoral contre toute attente, la nature de son discours, son profil socio-culturel, le staff dont il s’est entouré…sont des éléments qui devraient interpeller au-delà de l’étroite sphère des experts pour concerner tous les démocrates et les citoyens tout simplement.

Ce qui s’est passé, en effet, est édifiant. Après un double mandat démocrate mené, brillamment, pour la première fois de l’histoire par un américain d’origine africaine, on s’attendait à ce que la démocratie américaine, avec l’élection d’une femme, renforce  cette tendance d’ouverture et de tolérance, encourageant les autres démocraties du monde à élargir les sphère sociale et culturelle des processus de représentation  en intégrant les entités sociales invisibles (en fait, acculées et condamnées à ce statut). Les médias, les instituts de sondage, les spécialistes de sciences politiques affichaient leur optimisme et poussaient dans ce sens.

La candidate en lice, Hillary Clinton avait en effet des atouts : une femme politique d’expérience, une empathie exprimée par de larges couches sociales y compris parmi les couches populaires, un staff de collaborateurs parmi les plus brillants de l’intelligentsia américaine. Et bien tout ce beau monde s’est trompé sur toute la ligne. La démocratie américaine a triomphé, mais pas dans le sens programmé par les sondeurs et autres experts; mais plutôt en exprimant, par ce vote «surprise», le désarroi de l’Amérique profonde. On peut ne pas aimer le résultat d’un scrutin, mais on ne peut lui discuter la légitimité parce qu’il a exprimé les tendances réelles qui traversent l’opinion publique. C’est l’establishment qui a perdu face à Donald Trump ; les élites engluées dans un discours formaté par les théories de management et coupé du mode réel.

Or, ce réel américain n’est guère réjouissant. J’aime beaucoup les travaux d’un intellectuel qui dérange, Emmanuel Todd. A partir des donnes démographiques, il arrive à dégager des perspectives et des mutations qui finissent par envahir l’espace public. Sur la base de cette analyse, il avait prédit la chute de l’ex URSS.  Pour l’Amérique, il a relevé qu’au sein des couches moyennes, blanches âgées entre 45 et 55 ans, le taux de suicide avait augmenté ces dernières années. Et il s’avère que ce sont ces couches qui ont été victimes de la crise et ce sont elles qui ont fait le triomphe de Trump. Les origines de cette victoire remontent à la crise de 2007.

La frustration socioéconomique grandissante de millions d’étasuniens est la principale raison pour laquelle Hillary Clinton, la candidate préférée de l’establishment, a finalement été battue. Aux États-Unis, les revenus des 50% les plus pauvres n’ont pas progressé depuis les années 1970. Plus de la moitié des personnes de 30 ans gagnent moins que leurs parents au même âge. A cela s’ajoute la dégradation de l’image de l’Amérique en tant que surpuissance, humiliée économiquement par la Chine, malmenée politiquement par la Turquie, l’Arabie saoudite… qui ne lui obéissent plus. Le sentiment nationaliste moteur d’une certaine dynamique n’est plus galvanisé par un challenge. Du coup, c’est le repli vers des formes communautaires infra nationales, et pour tout le pays, le repli vers ses frontières naturelles en renforçant le protectionnisme et en érigeant des murs réels ou fantasmagoriques.

Mohammed Bakrim

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