S’il est une pratique hautement controversée au Cameroun, c’est bel et bien le veuvage. Il s’agit d’une cérémonie visant à purifier le veuf ou la veuve après la perte de son conjoint(e). Pratiqué dès l’annonce du décès de celui-ci, ce rite traditionnel ancestral présent dans certaines tribus du Cameroun est perçu comme la «vengeance» de toute une famille sur la veuve, tant les rites qui y sont associés sont ardus et quelque fois avilissants. Aujourd’hui, de plus en plus de veuves camerounaises refusent catégoriquement de s’y plier et préfèrent se tourner vers le veuvage religieux moins austère. Les détails.
Au Cameroun, quand on parle de veuvage, on l’associe le plus souvent aux femmes veuves et dans une moindre mesure, aux veufs, d’autant que ce sont celles-ci qui paient généralement les frais des exactions de cette pratique traditionnelle de la part de leurs belles familles.En effet, le veuvage appelé «akus» dans la tradition du peuple Beti, intervient dès l’annonce du deuil et s’achève au bout de plusieurs mois, au moment des funérailles. Il se veut un «rite de purification de la veuve ou du veuf de la souillure de la mort, un rite de réhabilitation, l’acquisition de la pugnacité de l’endurance face à l’adversité». Selon les croyances véhiculées par la société et quelque fois par les familles, il est commun d’entendre dire que toute personne n’ayant pas subi ce rituel verrait aussitôt la déperdition de sa famille. Ceci dit, si plusieurs veuves contournent ce rituel, certaines continuent de s’y soumettre benoitement malgré ses dérives.
Chez les Beti, ce sont les belles-sœurs, sœurs du défunt mari qui officient ladite cérémonie. Dès l’annonce du deuil, celles-ci entourent la veuve, mais généralement, lorsque n’existe entre elles et la veuve aucun point de discorde. Après l’enterrement du mari, ses belles sœurs la convient à faire des adieux au défunt sur sa tombe. C’est alors que commence le rituel à proprement parler.
Elle devra s’asseoir par terre pendant deux jours, légèrement habillée, sous l’ordre de ses belles sœurs ou «mingôngôn». Ses déplacements seront limités au strict nécessaire et d’ailleurs, elle se fera toujours accompagnée soit par ses sœurs ou sa mère.
S’en suivent plusieurs épreuves difficiles, entre autres courir dans la brousse, fixer le soleil sans sourciller, transporter un tronc de bananier, rire, danser, chanter, semer des aliments au champ, faire des roulades sur le sol mouillé, bercer un bébé…
Par la suite, la veuve est conduite dans une rivière où elle est lavée, rasée, habillée d’habits de veuvage en noir le plus souvent. De retour au village, lieu de l’enterrement de son mari, certains interdits lui sont imposés par les sœurs de son défunt mari. Toutefois, elle peut désormais se déplacer, faire des travaux champêtres, aller au marché, serrer la main des personnes…
Plusieurs mois après, au moment des funérailles, très tôt le matin, elle est conduite de nouveau à la rivière par ses belles-sœurs, mais sous le regard de sa propre famille. Là-bas, elle est lavée et arrosée d’une eau médicinale traditionnelle. Les vêtements qu’elle arborait sont jetés dans la rivière pour signifier l’éloignement de la souillure et de la malédiction liée à la mort. Elle est coiffée, habillée et ramenée au village dans la joie… Une fois de retour, ses belles-sœurs lui font simuler toutes les scènes du quotidien : ménages, simulation du mariage…Par la suite, la bénédiction finale est prononcée sur elle par le patriarche de la famille ou du village… La veuve est ainsi restaurée et la vie peut recommencer pour elle.
Généralement, ces pratiques sont imposées par les belles-sœurs qui accusent la veuve d’avoir tué leur frère. Toutefois, le veuvage comme plusieurs pratiques traditionnelles au Cameroun est l’objet de mercantilisme. Souvent ces pratiques sont atténuées par les belles-sœurs quand la veuve leur offre des cadeaux et débourse des sommes conséquentes. Le veuvage traditionnel au Cameroun et ses exactions sont dénoncés aujourd’hui dans les médias, les colloques nationaux et internationaux, par les ONG comme étant une atteinte aux droits de l’Homme.
Aujourd’hui, le veuvage traditionnel est supplanté de plus en plus par le veuvage religieux qui a été instauré par l’église catholique au Cameroun. Il consiste en une prière de bénédiction par les hommes d’église et ne nécessite pas de dépenses financières faramineuses.
Danielle Engolo