«Le vingtième anniversaire du Discours Royal d’Ajdir marque un tournant historique de notre pays»

Entretien avec Aicha BOUHJAR, Cheffe du Département de communication à l’IRCAM

Propos recueillis par Moha Moukhlis

Pour commencer, je vous demande de vous présenter brièvement aux lecteurs du journal Al Bayane.

Aicha BOUHJAR : je suis native du Nord du Maroc, professeur de l’Enseignement Supérieur. J’ai soutenu une thèse de doctorat d’Etat en sociolinguistique française, sous la direction du Pr Ahmed Boukous à l’Université Mohamed V Rabat-Agdal, intitulée « Bilinguisme et migration : le cas des Marocains à Bruxelles ». J’ai enseigné au Département de langue et de littérature françaises à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Kénitra. Suite au Discours royal d’Ajdir instituant et portant création de l’IRCAM, j’ai postulé pour intégrer, en juillet 2002, la première équipe de chercheurs du Centred’aménagement linguistique. J’ai assuré la direction de ce centre de recherche de 2007 à 2015. Depuis 2016, je suis affectée au Département de Communication.

L’IRCAM s’apprête à célébrer le vingtième anniversaire du Discours Royal d’Ajdir et de sa création, que représente cette commémoration pour votre institution ?

Cet anniversaire marque un tournant historique de notre pays. Le Discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI du 17 octobre 2001à Ajdir (Khénifra) initie un projet de société de grande envergure puisque l’on assiste à un changement d’une importance capitale caractérisé par la redéfinition de l’identité culturelle nationale : elle devient diverse etplurielle en ce sens qu’elle se définit par ses affluents multiples à la fois amazighe, arabe, subsaharien, africain et andalous. Cette reconnaissance officielle de la dimension amazighe permet aux Marocains et aux Marocaines de se réconcilier avec leur histoire et leur culture plusieurs fois millénaire et de développer ainsi une identité fière de cette richesse où la composante amazighe constitue le substrat de base. On assiste également à l’inauguration d’une nouvelle politique linguistique et culturelle du pays puisque la langue et la culture amazighes sont amenées à investir progressivement la sphère publique. Cette commémoration permet également de rappeler que « l’amazighe est une responsabilité nationale » et qu’elle « appartient à tous les Marocains sans exclusive ».

Quels sont les grandes lignes retenues pour le programme de cette année ?

Cette année est exceptionnelle à plus d’un titre. D’abord parce que l’IRCAM célèbre, du 14 au 17 octobre 2021, le XXe anniversaire du Discours Royal d’Ajdir soit deux décennies d’intenses activités scientifiques et culturelles. Sous le thème « Vingt ans d’institutionnalisation de la promotion de la culture amazighe : parcours et perspectives », sont prévus, au programme de cette édition,la présentation du dernier beau-livre intitulé L’IRCAM : parcours et réalisations, une table ronde autour du thème retenu, des hommages aux personnels de l’enseignement et aux artistes issus des métiers du cinéma et des arts, deux expositions permanentes, la première de toiles d’artistes plasticiens et la seconde consacrée aux publications de l’IRCAM. La cérémonie de distribution du Prix de la Culture amazighe aux lauréats pour leurs travaux ou œuvres au titre de l’année 2020 aura lieu, comme de coutume, durant ces festivités. Cette commémoration est également exceptionnelle de par la situation sanitaire de pandémie que le monde connaît : elle a imposé à s’adapter en mettant à profit les nouvelles technologies dans tous les domaines d’activité. L’IRCAM a donc opté pour une formule hybride puisque les activités seront toutes organisées en distanciel et en partie en présentiel,en limitant le nombre d’invités et ce dans le respect des mesures préventives liées à la propagation du coronavirus Covid-19.

La mise en œuvre de l’officialisation de l’amazighe suit son cours, quelle est votre appréciation du « Plan gouvernemental intégré pour la mise en œuvre du caractère officiel de l’amazighe » ?

Ce plan était attendu dès la promulgation de la loi organique n° 26-16 en septembre 2019. Cette loi fixe les étapes de la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe et les modalités de son intégration dans l’enseignement et dans les différents secteurs prioritaires de la vie publique. Dans le Plan gouvernemental intégré, l’IRCAM est mentionné comme partenaire privilégié dans la mesure où il s’est imposé en tant que pôle de référencepour toutes les questions relatives à la langue et à la culture amazighes non seulement sur le plan national, mais également au niveau régional et à l’échelle internationale. Des actions de formation, de traduction et d’expertises diverses, qui feront l’objet d’un accompagnement par l’IRCAM, sont programmées par les différents départements ministériels. Il s’agit donc d’une reconnaissance officielle, par les instances dirigeantes, de l’expertise développée au sein de l’IRCAM.

Quelle évaluation faite vous de la contribution de l’IRCAM quant à la mise à niveau de la langue amazighe ?

Je vous laisse l’apprécier sachant qu’avant la création de l’IRCAM, l’amazighe était une langue orale et relevait de la sphère privée. Vingt ans après le Discours Royal d’Ajdir, elle est écrite, officielle, présente dans le monde du numérique, dotée d’ouvrages de référence, de manuels d’apprentissage, de guides pour les enseignants ; elle fait l’objet de traductions vers d’autres langues et inversement et est introduite progressivement dans le domaine public. Ces réalisations ont été possibles grâce à l’aménagement linguistique de l’amazighe par l’IRCAM qui a permis d’initier le processus de standardisation de la languejusqu’alorsprésente sous forme de dialectes uniquement. La gestion de la variation géolectale constituait l’un des défis majeurs : ce défi a été relevé et nous disposons à présent d’un alphabettifinaghe normé et homologué à l’international, de règles d’orthographe bien établies, d’une grammaire de référence, de nombreux lexiques sectoriels et d’un Dictionnaire général de la langue amazighesous format « papier » et électronique, le « DGLAI ». Ces réalisations ont permis d’outiller et de doter la langue pour qu’elle puisse assumer ses nouvelles fonctions au sein de la société et être utilisée par les différents usagers de la langue qu’ils soient au Maroc ou à l’étranger, notamment les Marocains résidant à l’étranger (MRE), puisque la majorité des publications de l’IRCAM sont à la disposition du public en libre accès et téléchargeables à partir de son site (www.ircam.ma).

Quels sont les défis que l’IRCAM est amené à relever ?

Pour répondre aux nombreux défis et attentes, l’IRCAM devrait être renforcé au niveau du personnel : le recrutement de ressources humaines compétentes et disponibles sera nécessaire.

Votre dernier mot.

Mon dernier mot sera dans la gratitude. Gratitude d’abord envers Sa Majesté qui, le 17 octobre 2001, a initié et appuyé le processus de reconnaissance de la langue et de la culture amazighes. Jusqu’alors officiellement « invisible », la culture amazighe est passée successivement par trois étapes : sa patrimonialisation en 2001, son officialisation dans la Constitution de 2011et enfin son institutionnalisation avec la promulgation de la loi organique 26-16. Personnellement, ces faits m’ont permis de développer une identité fière, plurielle, inclusive, ouverte sur le monde et permettant le vivre ensemble. Gratitude également à tous les partenaires institutionnels, académiques, associatifs, médiatiques et artistiques qui collaborent à la promotion et à la valorisation de la culture amazighe. Gratitude enfin à tout le personnel de l’IRCAM grâce auquel j’ai beaucoup appris et qui n’a ménagé aucun effort pour relever les nombreux défis.

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