«L’histoire est toujours un lieu fertile pour construire et reconstruire l’identité…»

Entretien avec Ali Mouryf, chercheur à l’IRCAM

Propos recueillis par  Moha Moukhlis

Pour Ali Mouryf, chercheur à l’IRCAM, l’Histoire et l’identité ont des rapports très forts et sensibles. «Aujourd’hui, et dans notre contexte marocain, je pense que le Maroc  est dans la bonne voie vers la récupération du droit à l’identité perdue et pillée tout en s’inscrivant dans un Maghreb possible et capable de relever les défis que nous dicte cette conjoncture sociopolitique complexe. », a-t-il dit.

Avant d’entamer notre entretien, je vous demande de vous présenter brièvement au lecteur d’Al Bayane.

Je m’appelle Ali Mouryf, né à Douar Ouggoug, Ait Lkhoms, Confédération d’Ait Baâmrane (région de Sidi Ifni). Je suis chercheur au Centre de la Recherche Didactique et des Programmes Pédagogiques à l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM). J’ai fait mes études primaires dans mon village natal, puis je me suis rendu à Imstiten (Mesti) pour le collège, et ensuite à Sidi Ifni, précisément au Lycée Moulay Abdellah, où j’ai suivi mes études secondaires jusqu’à l’obtention de mon baccalauréat. Après, je me suis inscrit à l’Université Ibn Zohr d’Agadir, département Histoire-Géographie, où j’ai eu ma Licence en Histoire. En 2006, j’ai atterri à Rabat pour poursuivre mes études supérieures à la Facultés des Sciences de l’Éducation. En 2009, j’ai intégré L’IRCAM en tant que chercheur contractuel, avant de soutenir une thèse de doctorat à l’université Mohamed V de Rabat en 2015. Ma thèse portait sur le sujet: Enseignement de l’histoire et la construction de l’identité nationale au Maroc. En parallèle de mes engagements académiques, je contribue activement pour la promotion de l’amazighité et de la démocratie dans le cadre de la société civile.

Quels rapports entretient l’identité avec l’histoire?

L’Histoire et l’identité ont des rapports très forts et sensibles. Comme a dit feu Abdelkebir Khatibi «Toute société écrit le temps de son enracinement; et par ce mouvement, elle projette sur le passé ce qui, dans le présent, demeure celé. Oui, l’histoire est la question de ce celé et la germination de sa multiple identité». Par conséquent, les intellectuels et chercheurs sages, désirent que l’écriture de l’histoire soit libre de toute subjectivité dominante et regard négatif

L’histoire est toujours un lieu fertile pour construire et reconstruire l’identité, et c’est pour cela que le domaine de l’histoire était toujours sous surveillance par le pouvoir et la classe dominante comme a souligné Marc Ferro.

Aujourd’hui, et dans notre contexte marocain, je pense que le Maroc est dans la bonne voie vers la récupération du droit à l’identité perdue et pillée tout en s’inscrivant dans un Maghreb possible et capable de relever les défis que nous dicte cette conjoncture sociopolitique complexe.          

Quelle est votre appréciation de la place accordée à l’identité amazighe dans la construction de l’identité nationale?

Il faut dire que, grâce aux efforts des intellectuels et militants amazighs de première heure, le Maroc est dans le bon chemin et a déjà gagné plusieurs points dans le domaine de la gestion de l’identité nationale et de la mémoire collective. Les travaux accumulés aident les décideurs à avoir et concevoir une vision politique utile et positive pour la promotion progressive de la diversité culturelle et linguistique au Maroc.

Quel rôle jouent les manuels scolaires dans la transmission de l’identité?

Puisque les manuels scolaires accompagnent les élèves, à l’école et pendant le temps qu’ils passent avec leurs parents/proches, ils ont, effectivement, un effet remarquable dans le processus de construction identitaire chez les élèves. Bien évidemment, les manuels scolaires, et plus particulièrement ceux des matières sociales telles que les langues, l’histoire, la philosophie, l’éducation civique…etc, ont des multiples fonctions. Pour l’élève, le manuel scolaire reste un réservoir d’informations, une référence des savoirs et de leçons, et un terrain d’exercice et d’entrainent sur la pensée et les sciences.

C’est un outil didactique et pédagogique, mais aussi un moyen pour véhiculer les idéologies, les valeurs, la conception de soi et du monde, les stéréotypes, les images, l’imaginaire, les perceptions/représentations, le schéma de pensée…etc.

Ce qui est important là, c’est que chaque Etat/Nation ou chaque société/communauté, choisit et utilise le manuel scolaire qui représente l’image et la réalité de cette société, pas seulement dans le passé et le présent, mais également par rapport aux projets d’avenir.   

Etes-vous satisfait du traitement réservé à l’identité amazighe dans les manuels scolaires officiels au Maroc?

La présence de l’identité amazighe dans le système national d’éducation de formation en général est liée à la volonté politique de l’Etat, et cette politique dépend, elle-même, des rapports de forces qui existent au sein de la société. Je pense qu’il y a un changement progressif, mais malheureusement lourd, et ne reflète pas les engagements pris par l’Etat marocain vis à vis des institutions et mécanismes des Nations Unis chargés des droits de l’homme notamment les droits identitaires, culturels et linguistiques.

L’identité amazighe et la mémoire collective de tous les marocains/marocaines méritent d’être beaucoup plus présente, non seulement, dans les manuels scolaires officiels, mais aussi dans toute la documentation pédagogique qui circule à l’école marocaine.

Qu’en est-il des manuels scolaires de l’amazighe et quelle est la contribution de l’IRCAM dans ce domaine?

Les manuels scolaires de la langue amazighe présentent une marocanité authentique et reflètent, généralement, la réalité historique, culturelle et linguistique de la majorité écrasante des marocains. A ce titre, il est important de signaler le rôle crucial de l’IRCAM, à travers ses compétences académiques, techniques et administratives, dans l’élaboration de ces manuels et sa contribution majeure dans le processus de l’enseignement de l’amazigh dans le système national d’éducation et de formation. De ce fait, et face aux enjeux politiques et culturels qui marquent le nouveau contexte national et régional (Maghreb), il est hautement recommandé de renforcer cette institution et mettre à sa disposition les moyens nécessaires pour répondre aux exigences d’aujourd’hui et demain.

Quel est l’impact du discours politique officiel au niveau de la construction de l’identité nationale?

La décision politique qui vise à promouvoir l’identité nationale contribue à la stabilité et à la paix sociétale, et donne l’espoir à la majorité des marocains d’un avenir meilleur. Il faut signaler que le discours politique officiel présente l’image de l’Etat et ses institutions. S’il garde son objectivité et son homogénéité avec la réalité sociale, culturelle et linguistique, il aura, sans doute, un impact positif au niveau national et international (vis-à-vis des institutions et forums internationaux), au service de notre identité nationale formée en grande partie par l’identité amazighe.  

En dehors des manuels scolaires, quels autres vecteurs pourront contribuer à la transmission des valeurs identitaires amazighes et de notre mémoire historique?

L’école n’est qu’une institution de socialisation, parmi d’autres, qui s’occupe de transmettre et de véhiculer les différentes formes d’expressions culturelles, artistiques, linguistiques, valeurs…etc.

A partir de ce constat, je peux dire que les nouvelles technologies d’information et de communication (NTICs) jouent, dans cette période historique, un rôle assez important et décisif pour l’avenir du monde entier (y compris la communauté amazighe).

L’enjeu majeur aujourd’hui, est d’exploiter le numérique et transformer notre culture, nos valeurs, nos expressions artistiques et culturelles et esthétiques et notre vision du monde en numérique, afin de construire une banque de données numériques/virtuelles qui pourra être utile aux futures générations. Cette nouvelle génération est, tellement liée au numérique qu’on peut peut-être parler demain d’un être humain numérique.

Votre dernier mot.

Permettez-moi de vous présenter mes vifs remerciements pour cette interview. Ce que je voulais dire brièvement, c’est que la cause amazighe a besoin d’une autre génération d’efforts et de mesures conformément au nouveau contexte/conjoncture politique, économique et social de la majorité écrasante des Imazighen. Je pense qu’il faut revoir, les méthodes et les approches adoptées par rapport à la question amazighe au Maroc. Personne ne peut nier que Tamazight a accumulé certains acquis, mais les indices et orientations qui sont en train d’émerger aujourd’hui ouvrent l’horizon sur l’incertain. Malgré tout, nous devons militer et plaidoyer pour un avenir meilleur pour Tamazight et la démocratie dans notre pays.

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