La Palestine: L’audace d’une fille

Gideon Levy

Commentateur politique du journal israélien Haaretz

Ahed Tamimi, âgéede 16 ans, est une héroïne, une héroïne palestinienne. Peut-être l’intifada des gifles a le succès que d’autres méthodes de résistance n’ont pas eu.

Le mardi 19 décembre, les soldats des Forces de Défense d’Israël (FDI) ont tiré sur Hamed al-Masri, âgé de 15 ans, à la tête, en blessant gravement le garçon désarmé de Salfit. Le vendredi 15 décembre, les soldats ont tiré sur un Mohammed Tamimi désarmé, aussi de 15 ans,à la tête, en blessant gravement le garçon de Nabi Saleh. Le même vendredi, les soldats ont tué Ibrahim Abu Thuraya, le double amputé, en lui tirant aussi dessus à la tête. Le même jour, Ahed Tamimi, de 16 ans, se trouvait dans la cour de sa maison avec son amie et elle a giflé un employé des FDI qui avaient envahi son foyer.

Israël s’est éveilléde sa léthargie en colère : comment ose-t-elle ? Les trois victimes de la fusillade brutale n’intéressent pas les Israéliens et les médias ne se sont même pas donner la peine d’en diffuser l’information. Mais la gifle (et le coup de pied) de Tamimi ont provoqué une indignation. Comment ose-t-elle gifler un soldat des FDI ? Un soldat dont les amis bafouent, frappent, séquestrent et, naturellement, tirent sur des palestiniens presque tous jours.

Tamimiest une « chutzpah », une insolente. Elle a cassé les règles. Seuls les soldats peuvent donner des gifles. Elle est l’authentique provocatrice, non le soldat qui a envahi sa maison. Elle, qui avait trois proches parents morts à l’occupation, dont les parents ont été arrêtés dans des occasions innombrables et dont le père a été condamné à quatre mois de prison pour participer à une manifestation devant un magasin de comestibles, mais,elle a osé résister à un soldat! Chutzpah palestinienne. Tamimi devait tomber amoureuse du soldat qui a envahi sa maison, lui jeter du riz, mais, qu’elleingrate!, elle l’a récompensé avec une gifle. Tout cela à cause de l’«incitation». Dans le cas contraire, certainement, elle ne détesterait pas l’envahisseur.

Mais il y a d’autres causes à la passion déchaînée rancunière contre Tamimi. (Le Ministre de l’Education, Naftali Bennett : « elle doit terminer sa vie en prison »). La fille de Nabi Saleh a cassé quelques mythes israéliens. Le pire de tous, elle a osé abîmer le mythe israélien de la masculinité. Aussitôt, il en ressort que le soldat héroïque, qui veille sur nous jour et nuit avec audace et courage, fait front à une petite fille aux mains vides. Que va t- il advenir de notre machisme et de notre testostérone (hormone masculine !),que Tamimi a cassé si facilement?

Tout à coup, les Israéliens se sont vus en face du cruel ennemi à qui ils font front : une petite fille aux cheveux frisés âgée de 16 ans. Toute la diabolisation et déshumanisation des médias flatteurs se font voler en éclat devant une petite fille avec un pull bleu.

Les Israéliens ont perdu la tête. Ce n’est pas ce que l’on a voulu. Ils sont habitués à entendre parler des terroristes, de terreur et de comportements criminels. Il est difficile d’accuser Ahed Tamimi de tout cela : elle n’avait même pas de paires de ciseaux entre les mains. Où la cruauté palestinienne est-elle ? Où le danger est-il ? Où est le mal ?C’est pour perdre la tête.

Tout à coup, on recommence à brouiller les cartes : par un moment étranger, l’ennemi semble si humain. Naturellement, on peut avoir confiance enversles machines de propagande et de lavage de cerveau israéliennes, si efficientes, pour dénigrer tout de suite Tamimi. Elle sera aussi étiquetée de cruelle terroriste née pour tuer; on dira qu’elle n’a pas de motifs justifiés et que rien dans son environnement n’explique son comportement.

Ahed Tamimi est une héroïne, une héroïne palestinienne. Elle a réussi à rendre fou les Israéliens. Qu’est-ce que diront les correspondants militaires, les provocateurs de la droite et les experts en sécurité ? À quoi servent-elles les 8200, Oketz, Duvdevan, Kfir et toutes ces unités spéciales si à la fin du jour, les FDI font front à une population civile sans défense qui est rassasiée de l’occupation, incarnée par une fille d’un keffiyeh sur les épaules ?

Si seulement il y en avait plusieurs comme elle. Peut-être des filles comme elle seront capables d’agiter les esprits des Israéliens. Peut-être l’intifada des gifles triompherait où toutes les autres méthodes de résistance, violente et non violente, ont échoué.

Pendant ce temps, Israël a réagi de la seule manière qu’elle connait : la séquestration nocturne de sa maison,en l’arrêtant avec sa mère. Mais dans le plus profond de son cœur, chaque Israélien honnête sait qui a une raison et qui d’eux n’en n’a pas, mais aussi qui est le fort et qui est le faible. Le soldat armé des pieds à la tête qui envahit une maison qui ne lui appartient pas, ou la fille désarmée qui défend son foyer et son honneur perdu de ses mains nues, par une gifle?

Traduit e l’Espagnol par : Youssef Azzam

Révisé par : Muriel Coutouis

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