Piéton

La «pratique de la diagonale» pour traverser la chaussée, telle que décrite par un célèbre humoriste national, n’est plus tolérée. Dorénavant, tout piéton qui ne respectera pas le passage clouté, devenu passage zébré faute de clous, sera verbalisé. Une amende de vingt-cinq dirhams lui sera infligée.

Cette mise en œuvre des dispositions du code de la route a soulevé une série de réactions de la part de la population dans son ensemble. L’état de la chaussée, l’existence même de passages adéquats aux endroits convenables, le défaut de paiement de l’amende et les mesures de coercition qui s’ensuivent ont été des sujets que les réseaux sociaux ont répercutés avec illustration et humour, esprit critique, voire avec ironie.

Une question fondamentale s’est distinguée dans l’ensemble des interpellations. Notre société est-elle prête pour ce genre de comportement? Peut-on faire acte de civisme dans un environnement où l’incivisme est plus que présent: occupation du domaine public, comportement irresponsable de certains conducteurs d’automobiles, de bicycles et autres triporteurs d’une part et des piétons de l’autre, manque de la signalisation adéquate…etc. Faut-il attendre un certain niveau de développement pour que le comportement des individus soit policé? Peut-on envisager l’avènement d’une démocratie participative alors que l’indifférence à l’égard de tout ce qui est public s’accroît?

Il est évident que dans la hiérarchie des usagers de la route, le piéton constitue l’élément le plus fragile, le moins protégé et dont le comportement peut lui être fatal. Le contraindre à se conformer à la discipline voulue par le code de la route, aussi bureaucratique soit cette contrainte, c’est d’abord le protéger. L’approche répressive contribuera, dans une certaine mesure, à la correction du comportement des personnes dans certains lieux. Si elle peut durer un certain temps, cette campagne se relâchera pour différentes raisons. Va-t-on alors abandonner cet effort d’ajuster la circulation dans les avenues et les boulevards de nos agglomérations?

La contrainte ne pourrait-elle pas s’affirmer par la conviction, celle qui vient de la sensibilisation et de l’éducation. Sans la conviction du piéton et son intérêt pour un usage réglementé de la chaussée, point de salut! La circulation des personnes dans la rue reflète dans une certaine mesure les rapports qui existent entre elles dans la vie au quotidien. Notre société est-elle à ce point minée par le cynisme, l’individualisme, l’indifférence, le non-respect de l’autre, la malhonnêteté et la tricherie que le «vivre ensemble» dans nos avenues est à ce point négligé!

L’inféodation à la culture automobile fait que le nombre des voitures personnelles et leur usage se sont accrus alors que les transports publics urbains restent peu développés. La fluidité est fugace dans les nouveaux quartiers urbains autant que la congestion des anciens boulevards est permanente. Le déplacement des personnes, des voitures et des camions, des bus et du tramway quand il existe, semble brownien. Les rondpoints à l’intersection des boulevards, repris pour les besoins de la circulation automobile, prennent-ils en considération les besoins des piétons, et particulièrement des plus faibles parmi eux.

Le stationnement des deux côtés de la chaussée et l’insuffisance des zones de parking ne contribuent-ils pas au bouchonnage des avenues aussi bien par les voitures que par les piétons. La carence des collectivités locales, particulièrement dans les grandes villes du royaume, a été relevée par l’adoption d’un certain nombre d’aménagements pour assurer la viabilité urbanistique des boulevards structurant l’agglomération. Ailleurs, l’état de l’infrastructure urbaine en général ne permet même plus l’écoulement des eaux pluviales après une averse!

Malgré la complexité des relations entre les transports et l’urbanisme, la mobilité des personnes et des marchandises doit être assurée avec le maximum de sécurité.

Le dysfonctionnement des réseaux de circulation ne relève pas seulement du technique, il est causé aussi par le dysfonctionnement du «vivre ensemble» qu’une amende de vingt-cinq dirhams ne peut, à elle toute seule, dissipé. Pour les scientifiques, «la mobilité relève […] d’une combinatoire complexe qui ne se limite pas à un déplacement physique, ni à des moyens de déplacement: ce n’est pas uniquement une question d’offre de systèmes techniques de transport. La mobilité est une combinatoire d’espace, de temps, de coûts, d’institutions et de rapports sociaux». Soyons démocrates, surtout quand on est piéton!

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