«Pour être réellement égalitaire, toute politique publique doit nativement tenir compte des besoins spécifiques des femmes.»

Zineb Sqalli du BCG dans le cadre d’une conférence TED

Telle qu’elle est actuellement pensée, l’action climatique pourrait accroître les inégalités entre hommes et femmes. Tel est le constat contre-intuitif sur lequel s’ouvre l’intervention de Zineb Sqalli, Managing Director & Partner de BCG Maroc dans le prestigieux forum américain TED. En cela, l’action climatique est emblématique des projets dits ‘neutres du points de vue du genre’, qui sans le vouloir, peuvent occulter les besoins de femmes. Mais si la perspective spécifique des femmes est nativement prise en compte, l’économie verte pourrait aboutir à un monde plus durable et plus inclusif.

Comment l’action climatique qui vise à préserver notre planète pourrait-elle défavoriser les femmes ?  Une explication : les femmes sont à risque de rater les opportunités massives que présentera la nouvelle économie verte. Par exemple, il est estimé que 65 millions « d’emplois verts » seront créés d’ici à 2030. Problème ? La majorité de ces nouveaux emplois, notamment les mieux rémunérés et les plus stables d’entre eux, nécessiteront des compétences dites « STEM » (Science, Technology, Engineering and Mathemathics). Or les femmes ne représentent que 35% des étudiants STEM. Autre exemple: les entreprises responsables de la majorité des émissions à CO2 (énergie, matériaux de construction, etc.) investiront plus de 500 milliards de dollars US d’ici à 2030 pour former leurs employés à de nouvelles compétences liées à l’économie verte. Sauf que ces industries sont traditionnellement dominées par les hommes, et il y a donc ici aussi un risque pour les femmes ne puissent pas bénéficier de ces formations, réduisant ainsi leurs chances d’accéder aux ‘emplois verts’. 

Que faire ? La solution se trouve dans ‘l’intentionnalité’ c’est-à-dire dans le fait d’ intentionnellement intégrer la perspective et les besoins des femmes dans les projets ‘verts’, et ce dès leur conception.  Car le fait qu’un projet bénéficie aux femmes autant qu’aux hommes ne va pas de soi. Et cela ne vaut pas uniquement pour les projets ‘verts’.

L’exemple de la ville de Vienne, en Autriche, est en cela très instructif. Dans les années 90, des études ont montré  que les femmes étaient plus mécontentes que les hommes des infrastructures urbaines, parce que leur conception ne tient pas suffisamment compte des besoins des femmes. Ainsi, alors que les femmes sont les principales utilisatrices des transports en commun, les modèles de mobilité existants sont conçus pour des usages typiquement masculins, à savoir les  pour des déplacements essentiellement professionnels, de la périphérie vers le centre, à heures fixes et aux heures de pointe. Or les trajets des femmes sont très différents. Ils sont bien plus fragmentés, avec davantage d’arrêts et intègrent souvent des enfants ou personnes âgées, car les femmes combinent leurs déplacements professionnelles avec leurs responsabilités domestiques (déposer les enfants à l’école, accompagner un proche à l’hôpital, faire des courses, etc.) L’insécurité dans les lieux publics est également une problématique qui concerne davantage les femmes que les hommes. Or les questions d’éclairage public ou de caméras dans les transports n’est pas toujours une priorité des autorités. Dans une étude menée par le BCG au Maroc, l’insécurité est ressortie comme le principal frein à la participation économique des femmes, qui avoisine les 20%, un des taux les plus bas du monde, et en régression depuis 20 ans.  La prise en compte spécifique des besoins des femmes dans ces politiques publiques pourraient être de nature à avoir un impact significatif sur le travail des femmes et dons sur l’économie du pays.

Autre illustration de l’inadéquation de la planification urbaine aux besoins féminins. A Vienne toujours, les urbanistes ont constaté que passé l’âge de 9 ans, la fréquentation des parcs publics par les jeunes adolescents cessait d’être paritaire. Leurs recherches ont montré que la désertion des parcs publics par les jeunes filles après 9 ans était liée à la façon dont ces parcs étaient conçus : avec leurs grands espaces ouverts et terrains de football, les jeunes garçons s’y sentent plus accueillis tandis que les jeunes filles s’en sentent exclues.

Pour remédier à ces différents biais, la ville de Vienne a donc décidé de collecter les besoins spécifiques des hommes ET des femmes de façon différenciée, d’associer systématiquement des femmes dans ses

projets d’urbanisme, d’intégrer dans les cahiers de charge de ses projets des dimensions ‘sensibles au genre’ telle que les crèches, l’éclairage public, etc. Ainsi, dans les parc publics, les larges allées ont laissé la place à des espaces plus petits, mieux délimités, et une partie des terrains de football ont été remplacés par des terrains de volleyball. Suite à cela, la ville a pu constater un retour des jeunes filles dans les parcs.

A travers ces exemples et bien d’autres, il s’avère  donc que l’approche ‘neutre du point de vue du genre’ de la majorité des politiques publiques peut en réalité omettre les besoins spécifiques des femmes et devenir de fait discriminatoire à l’égard des femmes, même si cela n’était pas l’intention de départ. L’économie verte offre une occasion unique de corriger ces biais à grande échelle car l’action climatique nécessitera de repenser de manière fondamentale des pans entiers de l’économie et de la vie sociale. L’intégration de la dimension du genre de manière native dans ces projets verts permettra donc de bâtir un monde plus durable et plus inclusif.

Cerise sur le gâteau, il a été prouvé que les femmes sont des agents positifs du développement durable, pour peu qu’on les implique au sein des projets verts. Les villes pionnières en matière d’environnement sont aussi celles où les femmes sont les mieux représentées dans la gestion urbaine.

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