«Le premier long Métrage est une promesse qu’on fait au public»

«Le malentendu» ou «Matfahmnach» est l’intitulé du premier long métrage du jeune réalisateur marocain, Ayoub El Aiassi. Le film, qui a été présenté récemment au siège national du Parti du Progrès et du Socialisme à Rabat dans le cadre du Salon culturel du PPS organisé par la section d’Agdal-Riad, est une adaptation de la célèbre pièce de théâtre en trois actes d’Albert Camus, «Le malentendu». Un film où le jeune réalisateur confirme son aptitude à s’imprégner du texte de l’un des grands philosophes et écrivains des temps modernes. «Matfahmnach» est une incarnation de l’absurde, de la solitude, de la mort, de l’angoisse, de l’amour, de la perte de soi et de sa recherche, du voyage. Le réalisateur a non seulement traduit dans le langage cinématographique les valeurs universelles prégnantes dans le texte universel de Camus, mais a en outre fait un travail de transplantation en inventant et réinventant une nouvelle écriture cinématographique.

Al Bayane : «Le malentendu» ou «Matfahmnach» est l’intitulé de votre premier long métrage, une adaptation de la célèbre pièce de théâtre en trois actes d’Albert Camus.  Parlez- nous de cette « aventure cinématographique»?

Ayoub El Aiassi : Le premier long métrage est une sorte de promesse qu’on fait au public, en lui présentant une nouvelle proposition de mise en scène et de choix esthétique. C’est une aventure quand il s’agit d’une autoproduction comme c’est le cas pour mon premier long métrage «Matfahmnach». D’un autre point de vue, toute nouvelle production est une aventure, dans le sens où il faut la mener à bout. Ce sont les comédiens et les techniciens qui adhèrent à ce rêve et participent à sa concrétisation.

Pourquoi Albert Camus?

Parce que les thématiques Camusiennes et la philosophie de l’Absurde me parlent beaucoup et me permettent de mener une réflexion sur la société marocaine actuelle en abordant de grandes questions d’ordre universel telles que l’enfermement, l’Amour, l’absence de l’Amour, la solitude, la Mort… Ainsi, dans mon film «Matfahmnach», je m’inspire du «Malentendu» de Camus. J’adapte son histoire et ses personnages librement dans un contexte marocain, en ajoutant un personnage d’inspecteur qui n’existait pas, pour écrire mon propre film, avec ma propre manière d’utiliser le langage cinématographique.

Vous avez opté pour la transplantation. Parlez-nous de ce processus d’écriture du scénario, de ce passage de la langue française à la darija marocaine, du langage du théâtre à l’incarnation cinématographique?

Le travail de transplantation vise à aborder les thématiques et questions d’ordre universel et les émotions et tranches de vie qu’incarnent les personnages d’une civilisation à une autre, d’une Europe où règne le froid et où le désir de voyager est animé par la rencontre du soleil et de la mer en Afrique, à un Maroc où nous sommes en Afrique, jouissant d’un beau soleil à Lala Takerkoust, mais les personnages veulent fuir vers d’autres cieux, rencontrer la mer et quitter le village et son Barrage d’eau…

Les dialogues sont écrits dans une darija un peu recherchée, faisant le pari de transmettre les grandes idées philosophiques et la psychologie des personnages. La direction d’acteur vers un jeu intérieur et sobre a beaucoup aidé à donner forme à cette transplantation, en créant un univers glacial d’enfermement. J’ai aussi tenu à raconter cette fable, en utilisant les codes du thriller, pour embarquer le spectateur enfin de compte vers un cinéma d’auteur qui s’assume. Ainsi, nous sommes loin d’être face à une représentation ou une reproduction de la pièce, mais devant un film qui est en lui-même une œuvre de l’esprit ayant sa propre singularité.

L’absurde est omniprésent dans le film aux côtés d’autres thématiques comme la solitude, la mort, l’amour, le voyage, l’angoisse existentielle et la quête de soi. Pensez-vous que ces thématiques soient toujours d’actualité dans le contexte marocain actuel?

Ces thématiques sont toujours d’actualité puisqu’elles mettent en question l’humain et sa réaction face à des situations de non dit et de jeu de masque qu’on retrouve dans toutes les sociétés et à différentes époques. Le personnage de Driss veut certes revenir pour retrouver sa mère et sa patrie, mais même à son retour, il a du mal à se retrouver entre les siens et hésite à leur révéler directement son identité. Il est partagé entre son Amour choisi pour sa femme et celui inné pour sa petite famille. Entre rester dans son pays Natal ou revenir dans son pays de naissance. Ce sont des questions que se posent beaucoup de jeunes ou moins jeunes qui ont émigré ou même qui sont restés dans leur pays et vivent virtuellement entre deux cultures.

Vous retrouve le huis clos dans le film. Est-ce un choix esthétique ou une exigence? Peut-on parler du Huis clos de Jean-Paul Sartre dans «Matfahmnach»?

Le huis clos dans mon premier long métrage est à la fois un choix esthétique qui me permet de pousser mon travail sur le langage cinématographique et de créer une atmosphère fermée même si elle ne se restreint pas à l’auberge mais s’étend au village. C’est aussi une contrainte, qui a peut-être permis d’optimiser les moyens de production, mais qui a imposé beaucoup d’exigences pour gérer l’espace et le temps. Mais ce sont toujours les contraintes qui ont poussé à faire des choix et découvrir de nouvelles formes d’esthétique et de langage. Oui il y a du Sartre certainement puisque nous sommes dans l’Absurde et l’existentialisme et dans ce grand enfer qui est l’enfermement et les autres qui peuvent tuer un des leurs pour arriver à des fins mercantiles. L’Homme est un loup pour l’Homme. Il y a plein de références dans le film, que ce soit en hommage au théâtre ou des références de cinéma ou encore des liaisons intertextuelles.

Lbatoul, une jeune qui rêvait du soleil, de la mer, de la liberté… sous d’autres cieux. Le bonheur et la liberté de la femme marocaine sont-ils toujours ailleurs?

Le rêve d’un «Ailleurs» meilleur pour cette femme qu’est Lbatoul est une forme de thérapie. Cet «Ailleurs» est une métaphore/ incarnation du bonheur. Et ce genre de femmes qui s’ennuient et chantent leurs pleurs en tissant les tapis ou en cherchant l’eau dans les sources sont victimes d’une injustice dans le sens où au contraire de l’homme, son frère Driss, elle n’a pas eu le droit de quitter le village. Elle n’a aucun droit, que rester enfermer et épouser le rêve. Alors que si elle avait le droit d’étudier et de travailler, la famille ne se serait peut-être pas appauvrie après la mort du père.

Comptez-vous réaliser un film universel en travaillant sur l’un des grands textes d’Albert Camus?

Je veux surtout faire des réflexions sur des questions humaines au niveau local et c’est pour cela que je choisis des thématiques universelles. J’espère par la suite pouvoir aborder l’universel en choisissant des thématiques et histoires locales. Ceci est le rêve peut-être de toute personne qui fait des créations artistiques. Mais une œuvre s’inscrit dans le temps et sa perception évolue et peut prendre plus de valeur.

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

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