Radicalité(s)

Par Mustapha Labraimi

Dans un pays comme le nôtre où le cours du processus démocratique divague dans un champ politique qui se rétrécit, le risque de radicalité est présent et tend à s’agrandir en prenant plusieurs formes.

Les chaines de télévision nationale, chaque fois que c’est le cas, diffusent les images concernant le démantèlement par le Bureau Central d’Investigations Judiciaires (BCIJ) de cellules terroristes ; 200 cellules depuis 2003,sans préjuger du nombre des cellules dormantes ou en cours de constitution.

Si l’on ne peut que se féliciter de l’action sécuritaire du BCIJ et de sa vigilance, on ne peut occulter le fait que le danger persiste en relation certainement avec l’étranger, mais il faut le reconnaitre en relation aussi avec la situation interne du royaume.

Malgré les efforts consentis pour son éradication, il existe encore des aliénés qui s’enrôlent dans l’aventure du terrorisme par une radicalité nourrie par l’ignorance, la mal vie et une exaltation exacerbée par les inégalités de tout genre. Tout en développant l’approche sécuritaire nécessaire, le tarissement de l’enrôlement dans ces circuits subversifs et nuisibles est corollaire au développement humain souhaité dans tous ses aspects. L’intérêt de la société dans son ensemble réside dans la prévention de ce fléau et de s’en prémunir grâce à l’action du BCIJ et en agissant sur les facteurs du développement humain (éducation, santé, logement décent, emploi, protection sociale, justice et démocratie…).

D’autres formes de radicalité s’expriment par une certaine intransigeance envers la dynamique que connaît la société en fonction des rapports de force qui la régissent.

Dans une société qui se cherche encore entre une « modernité » qui se vit et un conservatisme séculaire ; face au désenchantement d’une grande partie de la population dont les attentes et les aspirations à vivre à l’abri du besoin sont souvent restées au niveau de la promesse, l’esprit conservateur et intégriste anticipe sur « un retour aux sources » et prône une radicalité de proximité avec les laissés-pour-compte de l’évolution socioéconomique en cours.

Par l’action charitable, il mobilise des cohortes pour peser sur l’acte politique dominant sans arriver à se transformer en un acteur du champ politique intégré dans le processus du changement sociétal, qu’il refuse par ailleurs car non conforme à sa volonté.  Il reste à l’affût pour rappeler son existence chaque fois que la population manifeste pour une cause.Un iceberg « barbu » qui dérive … que seule l’affirmation et la consolidation du processus démocratique dans tous ses aspects fera fondre.

Dans le même genre, et après des adaptations pour se constituer en organisation politique, une autre radicalité s’est éparpillée sous l’effet de l’exercice gouvernemental sans pouvoir ni réformer la justice et encore moins initier le développement du pays. Cherchant une revitalisation qui ne vient pas, cette radicalité FM plonge dans l’obscurantisme pour expliquer une catastrophe naturelle et freine des quatre fers quand il s’agit de la réforme du code de la famille où l’égalité des droits femmes-hommes serait reconnue. Hors-jeu, sans espoir de retour.

Le gauchisme est une autre radicalité qui s’était propagée dans les milieux de la jeunesse universitaire. Le contexte des « années de plomb », lors du siècle dernier, a été marqué par l’apparition de mouvements caractérisés par la surenchère révolutionnaire et le jusqu’auboutisme des actions revendicatives. Vilipender les réformistes en se prenant pour l’avant-garde, la chaleur communicative de l’alcool aidant, n’a eut comme résultat que l’interdiction du syndicat étudiant et une répression infernale que « l’année blanche » a facilitée.

Si certains l’ont payé par leur vie, par des années de prison et une santé défaillante ; d’autres sont devenus, après les travaux de l’Instance équité et réconciliation, des commis de l’Etat et des leaders de partis politiques, le plus souvent sans autocritique et par opportunisme.

La radicalité « gauchiste » reste présente. Elle obscurcit la vision des masses populaires par un discours tout feu tout flammes et prône des solutions radicales dont l’effet est beaucoup plus théorique que réellement applicable pour le bienêtre de la population. L’art du possible pour transformer la société est considéré comme une compromission et une reddition devant « les forces du mal » ; et pour l’anecdote, il fut un temps où la sécheresse (!) était considérée comme un facteur révolutionnaire…

Il reste que la radicalité la plus sournoise est celle des gouvernants qui appliquent des schémas de développement importés et dont les conséquences, à travers le temps, font accroitre les inégalités au sein de la société, poussant de plus en plus des pans de la population vers la pauvreté et la vulnérabilité.

Faisant du profit leur objectif, le développement humain est ainsi différé par la marchandisation de tout ce qui peut assurer à la personne humaine son émancipation. La politique, pour eux, n’est qu’un vernis pour des technocrates grandement diplômés mais sans attache réelle avec le peuple ou un enrobement pour faire passer la pilule, qu’ils savent amère, pour une population en détresse.

Au lieu de ces radicalités qui peuvent aboutir à la violence d’une manière ou d’une autre, cherchons le consensus pour conduire le changement de notre société dans le respect des droits de la personne humaine et dans l’œuvre pour son émancipation.

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