Toi le Marocain, cette «montagne majestueuse»!

Pourquoi le (la) Marocain (e) croirait-il qu’il est une «majestueuse montagne» ?  «Jabal Chamekh» en bon arabe…En fait, il (elle) le croirait si sa maladie incurable de se prendre pour un seigneur, appartenant à un «peuple exceptionnel», s’aggravait encore, surtout avec la récente révélation scientifique, mondialement admise, que le Maroc est le berceau de l’humanité! Berceau qu’une équipe franco-marocaine de paléoanthropologues réputés vient d’extraire, en mai dernier, preuves de séquences d’ADN comprises, du site chaotique de la mine du Jbel Ighoud (la «belle montagne»). Ceux de nos linguistes amazighs qui ont eu la chance, en tant que Marocains, de ne pas être amputés dans leur identité d’une des deux langues du pays (l’amazigh ou l’arabe) nous proposent pour le mot (mont) «Ighoud» : bon, bien, mont droit, belle montagne, ou encore haute ou géante montagne, majestueuse montagne comme proposé par Charles Foucault dans son dictionnaire «Français – Touareg» rédigé entre 1905 et 1915, publié à titre posthume sous une forme réduite en 1918/20 sous le titre «Touareg-Français», puis dans sa version intégrale en 1952.

«Idda zinan ighoudan !» («fini le bon temps !») chantait feu Rouicha…Dirions-nous aujourd’hui, en empruntant la voix de ce grand chantre des montagnes de l’Atlas, qu’il est fini le temps de « goulou al aâm zine », mystification qui nous a tellement avilis, ridiculisés, méprisés, opprimés, au point que le marocain(e) est de nos jours plus «haggar» que «mahgour», plus méprisant que méprisé, plus conservateur que progressiste (dixit le rapport du cinquantenaire), plus rétrograde que moderne, plus obscurantiste que libre et digne, plus aliéné que jamais par ce sentiment de seigneur déchu qui ne s’en rend pas compte ou refuse de l’admettre et veut toujours croire qu’il est d’un peuple élu, qu’il est de la pâte la meilleure qui soit de l’humanité!  On pouvait donc craindre que ces tares bien marocaines, qui expliquent en grande partie notre persistante traîne derrière nos ambitions annoncées de développement, de prospérité, de culture et de créativité, deviennent des tares davantage hypertrophiées par cette nouvelle, universellement entendue et «admise» : le premier homme bipède intelligent (Homo Sapiens, «Homme Savant», et non primate comme l’éthiopienne Lucy, réputée jusque-là mère de l’humanité) habitait nos terres, plutôt, nos montagnes, dont la « belle et majestueuse montagne » d’Ighoud , à 62 kms au sud-est de Safi … il y a 315 000 ans… Soit plus de 10 000 ans avant les spécimens du même échelon de l’humanité (Homo Sapiens) qui ont été extraits du Rift éthiopien ou ailleurs (lac Tchad, Kenya, Afrique du Sud…). De quoi nous faire crier sur tous les toits du monde et toiles cybernétiques : nous sommes l’«Origine» de l’Homme, nous somme les élus, nous sommes les meilleurs, les premiers de l’espèce humaine sur terre… Avouez quand même que ça  serait plus légitime que la fanfaronnade lassante de nos cousins égyptiens : «l’Egypte est mère du monde!». Rendez-vous compte : au milieu du périmètre d’un triangle isocèle renversé, tracé entre trois points, Sebt Gzoula, Chemaiia et Chichaoua, se dresse, d’une hauteur de juste 307 mètres, notre belle montagne où vivaient des compatriotes à nous il y a plus de 300 000 ans ! De quoi réconcilier tous les ancêtres des populations qui peuplent ou traversent l’histoire de cette région et qui, par le passé, ne manquaient pas de se faire la guerre ou d’autres misères : les Abda, les Chiadma, les H’mar, les Hahha, les Doukkalas …

Le père de l’humanité au «Souk Tlat»

Le Marocain d’Ighoud trône comme père de l’humanité entière mais aussi de cette mosaïque de Marocains et Marocaines vivant actuellement en ces contrées administrées par l’État Marocain de 2017 dans le cadre du «Cercle de H’mar» de la Province d’El Youssoufia. «Cercle» qui réunit Ighoud (3.500 ménages, 23.000 habitants) avec «Jdour», «Jnane Bouih» et «Sidi Chiker»…Le père – Marocain- de l’humanité est de ce terroir peuplé par une mosaïque humaine, arabo-amazigh, bien de chez nous, et il est  domicilié au «Centre administratif d’Ighoud» (365 ménages, totalisant moins de 2000 habitants), dont les villageois se retrouvent chaque mardi au souk de «Tlat Ighoud» et, une fois l’an (en Mars), organisent leur «Moussem de Tlat Ighoud» avec troupes de Tbourida sur fond de chants célébrissimes de la «Aïta Al Aâbdia» et la communication qu’il faut avec, de nos jours, un portail : (www.ighoud.com) avec vidéos via youtube (ighoudchaine) !

Maintenant, Ighoud est à la «une» de tous les médias du monde : «Djebel Irhoud n’a sans doute pas dit son dernier mot comme enracinement initial de notre espèce», écrit le journal «Le Monde», à la « une» duquel son caricaturiste Plantu s’en inspira pour pasticher «l’ère Macron» ! Alors que le prestigieux et austère magazine britannique, «The Economist» estime, sous le titre «Le 1er Homme», que les «cinq individus collectés au Jebel Irhoud, au Maroc, ressemblent aux hommes modernes et semblent avoir vécu il y a plus que 300.000 ans» … Mais, alors qu’une «news» (nouvelle) de chez nous a bouleversé la connaissance humaine et impressionner le monde entier, nous, on a fait, pour une fois, dans la retenue et la mesure, pas dans le triomphalisme bête et l’emphase de vendeur de lubies et de pacotilles, style «goulou al aâm zine», «goulou Al Maghrib zine» … Tant mieux ! Bien sûr ! Mais est-ce juste un moment de distraction passager ou l’annonce d’une maturité, d’une intelligence enfin rencontrée pour que ce peuple devienne un peuple conscient de ses réalités vraies, de ses potentialités et richesses vraies, de ses limites et faiblesses vraies, que ses montagnes soient majestueuses ou hideuses et perlées, que ses arts soient bien inspirés ou bricolés et factices, que ses ambitions soient sérieuses ou démagogiques, que ses habitants vivent dans la dignité et l’honneur ou dans la servilité, la rapine, le peu d’effort et les mythes du passé?

Les habitants de ce «berceau de l’humanité» n’ont pas eu toujours le sort facile comme population, majoritairement de mineurs, puisque le «Maroc utile» les identifie avant tout par rapport à la richesse que d’autres Marocains et étrangers exploitent dans leur territoire : le gisement de «Barynite», qui affiche encore des réserves de 300.000 tonnes, et qu’utilisent plusieurs industries : la construction en béton, celle des ports et terminaux pétroliers, la construction de centrales nucléaires et bases militaires atomiques, pour renforcer les gros fours électriques, pour produire de la peinture, du papier, du verre, du plastique, du caoutchouc, pour la fabrication des plaquettes de frein, les disques d’embrayage… Riches donc de leur sous-sol, les «Ighoudiens» ou «ighoudanes» (si Rouicha le permet), les voilà riches aussi de leur préhistoire incomparable ! Pourtant, dernièrement, avant que leur localité ne défraie la chronique, ils ont tenté de se faire remarquer en manifestant et en protestant publiquement pour dénoncer leurs conditions de vie et les agressions sauvages que font subir à leur environnement des industriels véreux, surtout privés…En septembre 2014, ils exprimèrent leur colère contre la Société Générale des Travaux du Maroc (SGTM) qui exploite chez eux, sans étude d’impact environnemental préalable, une carrière de pierre et une autre de calcaire, causant des nuisances inouïes pour leur environnement de vie. Surtout, à cause des explosifs utilisés qui causent des fissures dans les murs des maisons et les gros camions de la SGTM et d’autres opérateurs qui dégradent leurs voies et routes et qui, en plus, au mépris – impuni – pour la sécurité routière, provoquent des accidents graves dont des mortels parmi cette population ! Les enfants de l’Homo Sapiens d’Ighoud accusaient alors le népotisme, inconnu du vivant de leur lointain ancêtre, et qui permet l’octroi d’autorisations d’exploitation de carrières en fonction des positions et influences politiques des soumissionnaires… !

Un musée à 1000Dhs et des cavernes en béton

Si nous pouvons parier que, son actualité universalisée aidant, le «Cercle d’Ighoud», verra débarquer, à l’occasion de son prochain festival de Tbourida, de mars, dignitaires de l’État, élus, activistes civils, journalistes, caméras et photographes, ses habitants ne risqueront pas encore de trouver des oreilles sérieusement attentives à leurs doléances et «chikayas»… Mais, gageons, en même temps, qu’ils dresseront quand même leurs tentes pour célébrer désormais aussi la découverte de leur lointain ancêtre, « père de l’humanité pensante », l’Homo Sapiens d’Igoud !

Il reste qu’on peut se demander si cet ancêtre à nous tous, Marocains et Marocaines, que nous partageons avec le reste des Africains et les autres Homo Sapiens du reste du globe, a paradoxalement insufflé en nous de la modestie et l’esprit de sérieux labeur de long terme qui, tous les deux, comptent dans le destin humain ici-bas. Ce «Ben Ighoud» qui a façonné par ses périples de chasseur, de cueilleur, par ses feux et ses armes, les contrées si nourricières pour nos proches ancêtres chiadma, haha, abda, h’mar, doukkala, Oulad Bou Sbai de Sid El Mokhtar, pas si loin… Et plus anciennement, les arabes Beni Hilal et Beni Soulaim, ces «hordes de sauterelles» comme les qualifiait le maghrébin Ibn Khaldoun… La découverte de ce «Ould Ighoud», entouré de quatre individus de ses proches, grands et petits, nous poussera-t-elle à systématiser nos fouilles, dans notre terre, dans nos montagnes, oueds et plaines, dans nos deux mers, réserves alimentaires sans limites pour notre futur de survie et qui sont aussi deux vastes cimetières d’inestimables et loquaces pans et trésors de notre histoire humaine, commerciale et guerrière… Cette nouvelle mondiale, nous poussera-t-elle à systématiser nos fouilles dans la logique adoptée à ce jour dans la gouvernance et le développement de nos territoires et de nos diverses populations, de nos cultures, nos langues, croyances, traditions et coutumes, arts, métiers et instruments ? La culture, dont l’archéologie et sa sœur siamoise, l’anthropologie, et leur cousine germaine la sociologie, charpentent les fondements et la toiture, aura-t-elle désormais un nouveau destin dans notre gouvernance à la faveur de la prise de parole dans le livre de notre grande histoire, par ce «Safioti» d’Ighoud ?

Au milieu des années 80, le musée des Oudaya, dans la capitale du Royaume, recevait de son ministère de tutelle, un budget de moins de 1000 dirhams ! Ce budget ne doit pas avoir énormément augmenté, puisque le budget global du ministère dit de la culture n’a pas spectaculairement bougé ces dernières années ! Autre illustration, pire, remontant au début des années 90 : un dépositaire de l’autorité de l’État dans des contrées du Tafilalet était fier de raconter dans les salons de Rabat qu’il avait emmuré dans du béton des peintures rupestres, pour ne plus avoir à gérer, en termes de veille et de sécurité, ces «cailloux» et «cavernes» et leurs visiteurs, notamment des touristes étrangers visiteurs qui exigent des égards particuliers !! Qui est l’homme des cavernes, ce responsable ou notre ancêtre d’Ighoud? A votre avis?

Pourtant… «Que la montagne est belle !», chantait le français Jean Ferrat sur le registre de l’amour. Que notre «Ighoud» et sa révélation au monde entier, nous procure le plus grand et le plus solide élan d’amour pour les profondeurs et les origines humaines et culturelles de cette partie du globe, en toute humilité mais avec loyauté et fidélité pour ce grand cadeau de mémoire concédé par le vieux Ssi «Ould Ighoud», premier humain de souche marocaine.

Jamal Eddine Naji

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